Franck Baelongandi
Désigné meilleur DJ de Pékin, cet homme d’affaires congolais installé en Chine a représenté la diaspora lors de la commémoration de l’indépendance à Kinshasa.
« Avec Franck, c’est très pratique. Quand vous lui téléphonez à 18 heures – horaire de Kinshasa –, il a beau être 1 heure du matin à Pékin, il est debout et sur le pied de guerre. Et, surtout, il est excellent. » Après huit mois de bons et nocturnes services, Charles Okundji, responsable de l’Adec, une jeune agence de conseil spécialisée dans les contrats énergétiques, se félicite d’avoir misé sur Franck Baelongandi pour lancer sa firme à Pékin. Le CV de ce Belgo-Congolais en aurait pourtant fait sourciller plus d’un. Franck Baelongandi est businessman et DJ, jonglant la nuit avec les sets de hip-hop, négociant le jour des contrats en hydrocarbures ou miniers entre la RD Congo et la Chine.
« Parfois, c’est vrai que c’est un peu fatigant, lorsque je rentre à 5 heures du matin pour enchaîner sur un rendez-vous à 9 heures. Mais que voulez-vous ? La musique, j’aime tellement ça que je ne pourrai jamais arrêter. Quant au business, ce serait idiot pour moi de ne pas essayer en étant en Chine. Tout est tellement tourbillonnant ici, il y a tellement d’opportunités qu’avec le regard d’un entrepreneur il est impossible de ne pas se lancer. C’est comme un terrain vierge, il faut y aller. »
Franck Baelongandi avait pourtant déjà bien roulé sa bosse avant d’atterrir en Chine. Fils de diplomate né à Kinshasa en 1982 dans une famille de huit enfants, il a suivi son père en poste en Tanzanie, en Roumanie et en Belgique, où il a vécu des années et dont il a acquis la nationalité. En 2002, après une année de droit à Bruxelles, il quitte les bancs de la fac pour s’installer à Pékin, poussé par « l’appel de la Chine » ressenti lors de visites rendues à son père, en poste dans le pays. Baelongandi aurait pu s’inscrire en fac de chinois comme nombre de jeunes aspirants businessmen, « mais, pour ça, il faut passer des journées à recopier des caractères et, franchement, concède-t-il, je suis trop turbulent pour ça ». Il a donc opté pour une formule moins austère : formation dans un institut de business (Raffles BICT) le jour et découverte de la scène pékinoise le soir. C’est ainsi qu’il a mis le pied dans le cercle des DJ de la capitale chinoise, sous le nom de « DJ Kefra » – Franck en verlan.
« En fait, je mixe depuis que je suis ado. Je faisais ça dans ma chambre, avec un tourne-disque et un lecteur CD, le tout branché sur une table de mixage achetée avec mon argent de poche. J’en ai fait, des enregistrements pourris ! Mais j’ai eu la chance d’avoir un cousin DJ qui mixait au Mondial, l’une des meilleures boîtes d’Europe. Il m’a appris. Arrivé à Pékin, un ami m’a mis en contact avec le patron du Vics, l’un des gros clubs de la ville. J’ai commencé par leur donner des disques, puis je suis allé mixer de temps en temps. Finalement, ils m’ont proposé de venir tous les week-ends. »
En quelques années, DJ Kefra se fait un nom dans le monde de la nuit pékinoise – et pas seulement. Lorsque, pendant les Jeux olympiques de 2008, l’équipe de basket américaine, le footballeur David Beckham ou le musicien Quincy Jones louent un lounge privé pour une soirée, c’est à lui que l’on fait appel. L’année suivante, il est désigné meilleur DJ de Pékin par le label Fuck me I’m famous, qui récompense des personnalités de la nuit dans le monde entier.
Son credo musical, c’est la simplicité. « C’est ce qu’il y a de plus dur à réussir, explique-t-il, mais c’est aussi le must. C’est pour ça que la house a beaucoup de succès : il n’y a pas de parlotte ni d’artifices, ça fonctionne. Je passe pas mal de house au Vics, mais pas seulement. Il en faut pour tous les goûts. C’est l’une des boîtes les plus internationales de Pékin. Il faut faire danser ensemble des Chinois, des Russes, des Kazakhs ou des Américains… C’est un casse-tête chinois ! »
L’unanimité aux dépens de la qualité ? C’est l’avis d’un autre DJ pékinois, pour qui le Vics « est une boîte à fric qui ne vaut rien, mais qui a les moyens de se payer de grosses pointures, notamment internationales. »
DJ Kefra, en tout cas, réussit à faire swinguer 2 000 à 3 000 personnes tous les samedis. « Je le programme aussi à Shanghai, à Hong Kong… Parmi les DJ de toutes nationalités avec qui je travaille, c’est l’un des meilleurs, témoigne Jay C, son agent. Et, en plus, il est beau ! Sur tous les plans, on le remarque. »
Difficile, en effet, de passer à côté de ce colosse (1,86 m, 115 kg) courtois et souriant, qui n’ose pas danser parce que « ça prendrait trop de place », mais se réjouit de la joie donnée à ceux qui se déchaînent sur la piste. Notamment quand, en ambassadeur de son continent, il passe de la musique africaine. « Ça marche très bien ici ! Les Chinois accordent beaucoup d’importance au rythme. D’autant plus que les hits sont généralement en anglais et que la plupart d’entre eux ne comprennent pas les paroles. Alors il faut les accrocher avec le rythme. »
Très à l’aise en Chine, un pays dynamique où « on adore le bruit » et où il y a « un vrai sens de l’unité », Franck pense rester à Pékin encore plusieurs années. Lui et son frère Éric viennent de monter leur boîte de production musicale, Stardom Limited. De quoi occuper le tandem un bon moment avant, peut-être, de rentrer en RD Congo. « C’est drôle, mon côté congolais s’est réveillé depuis que je suis en Chine. En voyant un pays se développer aussi vite avec une économie encore si mal en point il y a quelques décennies, je me dis que nous aussi, on pourrait le faire ! À l’époque où la Chine connaissait la famine, Mobutu envoyait des avions de nourriture, souligne-t-il. Mais, maintenant, ce sont les Chinois qui envoient des milliards comme si c’était de l’argent de poche ! » Cet enrichissement, d’ailleurs, rend selon lui les relations plus difficiles. « Certains deviennent dédaigneux. Mais ce qui me chiffonne, c’est que c’est la même chose au Congo, chez les nouveaux riches ! Ils deviennent arrogants… »
Soucieux de faire connaître les ressources de son pays, Franck fait partie du Yaps, association de jeunes entrepreneurs africains en Chine. Il accompagne parfois les représentants d’entreprises chinoises en RD Congo. Il s’est aussi rendu à Kinshasa, le 30 juin, comme représentant de la diaspora, lors du 50e anniversaire de l’indépendance. Un rôle « déjà politique » qu’il endosse avec plaisir. « Je projette de m’installer au Congo pour faire de la politique. Je baigne dedans depuis que je suis né. Sous Mobutu, on a dû demander l’asile politique en Belgique, car mon père écrivait des articles critiques sur le pays. Nous nous sommes cachés pendant des mois dans un appartement de 40 m2, à huit. On dormait dans le salon, dans la cuisine… Mon père a été rappelé lorsque Laurent-Désiré Kabila est arrivé au pouvoir. Ça m’a donné le goût de l’engagement. Mais j’ai le temps, je n’ai que 28 ans… Quoique, quand j’y pense, Joseph Kabila est arrivé au pouvoir à 30 ans. Il faut peut-être que je m’active ! »
DJ Kefra serait-il prêt à tirer sa révérence ? Pas le moins du monde. « Je me verrais bien mener les deux de front, la politique et l’entertainment, à la Ronald Reagan. Et finir en passant d’une ville à l’autre, derrière les platines. »
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