Jérusalem : une barrière tombe, la séparation demeure

Israël décide de démanteler la barrière de sécurité séparant la colonie juive de Gilo du village palestinien de Beit Jala. Une mesure d’apaisement qui n’émeut personne dans les deux camps. Reportage.

Démantèlement du mur de sécurité, autour de la colonie de Gilo, à Jérusalem-Est. © Reuters

Démantèlement du mur de sécurité, autour de la colonie de Gilo, à Jérusalem-Est. © Reuters

perez

Publié le 15 septembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Au petit matin, ils n’étaient qu’une poignée de curieux à braver la canicule pour assister à l’événement. Face à eux, les camions-grues du génie militaire entament leur manège : huit cents blocs de béton sont méthodiquement retirés du flanc sud de Gilo, permettant à ses habitants israéliens de redécouvrir, quelques centaines de mètres plus loin, leurs voisins de Beit Jala et de Bethléem. Une journée aura suffi à faire disparaître ce symbole de la seconde Intifada. Le mur avait été érigé au printemps 2001 afin de protéger le quartier des attaques de snipers palestiniens. Depuis, il s’était fondu dans le paysage local, devenant même une attraction après que des artistes l’eurent recouvert d’une immense fresque pour rendre sa vision plus esthétique. Le 15 août, après une série de consultations sécuritaires, l’armée israélienne a donc jugé que le retour au calme dans le secteur autorisait son démantèlement. Un trottoir goudronné à la hâte efface désormais toute trace de l’ancienne fortification de 3 m et laisse place à un agréable lieu de promenade.

« Prématuré »

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« Tout cela est prématuré, déplore Norman Cohen, un octogénaire britannique installé dans la colonie depuis une vingtaine d’années. Il aurait fallu attendre la conclusion d’un accord de paix, c’est la seule garantie que les tirs ne reprennent pas. » Si ce vétéran du débarquement de Normandie assure ne pas être impressionné par la guerre, Lola, son épouse, garde un souvenir traumatisant des combats qui se sont déroulés sous ses yeux. « Les survols incessants d’hélicoptères, les chars, les rafales de mitrailleuse, tous ces bruits m’ont profondément bouleversée », raconte-t-elle, tout en admettant avoir toujours eu conscience des risques qu’impliquait son choix de vivre à Gilo.

Construite au-delà de la ligne verte, en Cisjordanie, cette colonie de 30 000 âmes fait partie du « Grand Jérusalem » : une ceinture d’habitations qui permet à Israël d’étendre son emprise sur la partie orientale de la Ville sainte, majoritairement peuplée d’Arabes. En novembre 2009, le gouvernement de Benyamin Netanyahou y a approuvé la construction de neuf cents nouveaux logements. Cette annonce avait provoqué de vives protestations internationales et, surtout, un sérieux accrochage avec l’administration américaine. « Ça m’énerve qu’on nous étiquette comme des colons, s’indigne Jane Iflah, avec un léger accent pied-noir. Quand je suis arrivée, au début des années 1980, il n’y avait rien ici et on ne gênait personne. » Véritable avant-poste, sa maison se dresse à l’extrême limite de Gilo et défie Beit Jala. Elle n’est séparée du village palestinien que par une clôture électrique qui traverse un champ d’oliviers. Il y a huit ans, le père de Jane a été atteint d’une balle dans le dos alors qu’il se trouvait dans le salon. Dehors, la façade porte encore les traces des nombreuses attaques du Tanzim, la branche armée du Fatah. « Regardez, on nous a mis des vitres blindées, car le mur n’arrivait pas jusqu’ici », explique Jane en faisant coulisser la porte-fenêtre de son balcon. Aujourd’hui, le retour au calme à Gilo ne change rien au quotidien de cette femme, ni à sa perception du conflit. « En Algérie comme ici, les Arabes ont toujours été mes voisins, raconte-t-elle en souriant. Même si je ne vais plus chez eux, je n’ai rien contre les gens de Beit Jala ou d’ailleurs. » Le regard fixe, elle conclut : « Mon destin est ici, je ne quitterai jamais mon quartier. »

« C’est de la rigolade ! »

Présentée par Israël comme un geste d’apaisement, la disparition du mur de Gilo n’a en réalité d’effet que sur le paysage. Pour se rendre du côté palestinien, il faut emprunter la route 60 – dite des tunnels –, une artère qui contourne Jérusalem et toute la région de Bethléem. Depuis l’Intifada, d’imposantes palissades de béton sectionnent la partie ouest de Beit Jala pour éviter que des véhicules israéliens soient pris pour cible. Dernièrement, les travaux de terrassement ont repris. Leïla Awad, la quarantaine, vit littéralement dans un chantier, au milieu des bulldozers. « Toute ma vie a changé, se plaint-elle. Mes amis n’osent plus venir me rendre visite et mes enfants n’ont plus d’endroit où jouer. » Sa maison, construite au bord de la route, se retrouve désormais encerclée par un mur. Bien qu’elle soit propriétaire du terrain, les autorités israéliennes n’ont pas daigné modifier le tracé. Désespérée, Leïla a entrepris de saisir la Cour suprême.

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« Le mur de Gilo, c’est de la rigolade ! » s’exclame Edmund Chehadeh, directeur du Centre de réadaptation de Bethléem. Du toit de son hôpital, il pointe l’horizon et désigne l’une après l’autre toutes les parcelles en construction. « Le vrai mur, vous voyez, il fait 750 km de long et sert à confisquer toujours plus de terres aux Palestiniens, il empêche le développement de notre économie. Aujourd’hui, les jeunes s’exilent dans les pays du Golfe ou en Amérique, car ici il n’y a pas d’avenir. » Pour assurer la pérennité de son établissement, qui accueille les 17 500 habitants de Beit Jala, ce chrétien parcourt les quatre coins du monde, tel un apôtre, en quête perpétuelle de généreux donateurs. « Étant donné la situation, cet hôpital est un miracle permanent », dit-il. Personnage charismatique, militant dans l’âme, Edmund Chehadeh expose alors avec fougue sa vision d’un État binational et laïc, seule solution qu’il juge réaliste pour mettre fin au conflit avec Israël. En voyant passer l’une de ses patientes, il reprend son calme et ajoute : « Nos souffrances doivent servir à la paix, pas à la vengeance. »

Beit Jala est aujourd’hui repassé entièrement sous contrôle palestinien. Mais, derrière son apparente tranquillité, la localité garde encore les stigmates des violents affrontements dont elle fut le théâtre. Ainsi, plusieurs bâtiments détruits il y a dix ans ont été laissés en l’état. « À chaque incursion, les chars israéliens se positionnaient dans mon parking et bloquaient l’entrée », se souvient Makram al-Arja, patron de l’Everest, un hôtel familial qui culmine sur la plus haute colline du village. De la terrasse de son restaurant, où il aime accueillir ses visiteurs, il analyse la situation avec agacement : « Tout ce tapage avec le mur de Gilo, c’est un leurre, il n’y a plus de tirs depuis longtemps. Pour nous, ça ne change rien à la réalité et à l’occupation de nos terres. » Reste que l’Everest fait pour l’instant les affaires de Makram. Son enseigne est connue pour être un lieu de rencontre entre hommes d’affaires et responsables politiques des deux camps. « Mon hôtel, c’est la dernière oasis de coexistence et d’échanges de la région. C’est un peu Israël et la Palestine en même temps. »

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