Ramadan, audimat et polémiques
Propice à la consommation, le mois sacré a donné lieu cette année à une guerre sans merci entre les différentes chaînes de télévision pour capter le marché publicitaire.
À l’heure du ramadan
À peine le ramadan était-il entré dans sa dernière semaine qu’on entendait déjà des « ouf » de soulagement. Non seulement parce que le mois sacré a coïncidé cette année avec une période caniculaire, mais aussi et surtout parce que les téléspectateurs tunisiens, captifs volontaires de leur petit écran à partir de la rupture du jeûne, supportent de moins en moins le matraquage publicitaire et la médiocrité qui caractérise, tout compte fait, la plupart des feuilletons diffusés au cours de cette période.
Les quatre chaînes de télévision tunisiennes ont en effet truffé lesdits feuilletons de coupures publicitaires à raison d’une vingtaine de minutes par épisode, pour des recettes qui devraient se situer entre 30 millions et 35 millions de dinars (entre 15,7 millions et 18 millions d’euros), selon Taoufik Habaieb, le gourou tunisien de la communication. Un jackpot qui a suscité une course effrénée à la programmation de feuilletons grand public et déclenché une vive concurrence entre les chaînes, aujourd’hui au nombre de quatre : TV7 (canal historique public), Hannibal TV (privée), Tunisie 21 (publique) et Nessma TV (privée).
Feuilletons controversés
Cette année, c’est à une véritable guerre de l’audimat que nous avons assisté, doublée de polémiques au cœur desquelles on retrouve les promoteurs de Nessma TV : les deux frères Karoui (K&K) et l’homme d’affaires Tarak Ben Ammar, qui détiennent respectivement 50 % et 25 % de la chaîne privée, le reste étant détenu par le groupe italien Mediaset, de Silvio Berlusconi.
Publicitaires aux dents longues, les frères Karoui ont tout fait pour que l’on parle d’eux, notamment en programmant deux feuilletons jugés (volontairement ?) provocateurs. Nabil Karoui, épaulé par Ben Ammar, s’en est également pris publiquement aux deux instituts d’audiométrie du pays, dont Nessma TV n’a pas apprécié les statistiques d’audience.
La série la plus controversée diffusée par la chaîne privée est Nsibti Laziza (« ma chère belle-mère »). Elle a suscité une vive réaction des téléspectateurs originaires de Sfax, deuxième ville du pays, mécontents que l’on ait mis en scène des personnages supposés être des leurs, mais dont l’imitation de l’accent par des acteurs non sfaxiens tournait parfois à la caricature. La polémique a fait tache d’huile dans les médias et sur la Toile, au point de virer à la controverse identitaire, la chaîne s’étant faite la championne d’un jargon mêlant le français et le dialecte tunisien. « Il semble, à regarder certaines émissions, écrit à ce propos Abdallah Labidi, un analyste politique, que pour Nessma TV, la Tunisie se limite à deux ou trois quartiers huppés de la proche banlieue de la capitale. L’arrière-pays, la Tunisie profonde, arabophone, n’apparaît pas sur l’écran de son radar… »
Le deuxième feuilleton qui a suscité nombre d’interrogations est Youssef (« Joseph », le prophète). Comme la série est une production iranienne, elle est présumée avoir une approche chiite, ce qui a interpellé certains. Au même moment, au Liban, il a fallu l’intervention du chef de l’État pour que la programmation de Youssef soit suspendue après la diffusion de deux épisodes afin d’apaiser la colère des milieux chrétiens. En Tunisie, le prophète Youssef, abondamment cité dans le Coran, ne pose pas de problème, mais le fait qu’en ce mois de ramadan les chaînes locales aient programmé trois productions iraniennes a provoqué quelques froncements de sourcils.
Outre Youssef, Sayyed al-Masih (« Jésus ») et Meriem al-Mouqaddasah (« la Vierge Marie »), diffusés sur Hannibal TV, ont embarrassé les milieux du pouvoir. Et si les autorités ont pris la sage décision de ne pas exercer de censure, il y a fort à parier, selon les informations qui ont filtré, qu’elles seront plus vigilantes à l’avenir.
Rappel à l’ordre présidentiel
Les remous provoqués sont tels que le président Zine el-Abidine Ben Ali a dû intervenir personnellement, convoquant successivement Tarak Ben Ammar et Abdelbaki Hermassi, président du Conseil supérieur de la communication (CSC). À ce dernier, le chef de l’État a demandé qu’on mette un peu d’ordre dans les secteurs de l’audiovisuel et de la publicité, où le vide juridique provoqué par la libéralisation et les nouvelles technologies de l’information a entraîné, appât du gain oblige, une série de dérapages. Des chantiers sont désormais ouverts et devraient se traduire prochainement par l’élaboration de textes réglementaires sur l’audiométrie, le respect des langues, les limites de la téléréalité, le contenu des programmes sportifs et la durée des interruptions publicitaires durant les feuilletons.
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