Nebiha Gueddana, femme de terrain et de consensus

Pendant trois décennies, elle a patiemment œuvré à la promotion et à la défense des droits des Tunisiennes. Une longue expérience qu’elle pourrait être appelée à mettre au service des Nations unies.

Fawzia Zouria

Publié le 15 septembre 2010 Lecture : 6 minutes.

Question femmes, Nebiha Gueddana, candidate de la région arabe au poste de secrétaire générale adjointe d’ONU Femmes*, en connaît un rayon. « Elle est notre conscience sociale », dit d’elle Soukaïna Bouraoui, militante féministe et directrice du Centre des femmes arabes pour la formation et la recherche. « Elle a l’énergie et la volonté de dix hommes », renchérit le comédien Raouf Ben Amor, qu’elle compte parmi ses amis. Pourtant, derrière ce petit bout de femme au regard rêveur, aux gestes mesurés, au sourire affable et à l’allure coquette se cache une dame de fer connue pour son franc-parler. Une caractéristique qui, dit-on, a séduit Zine el-Abidine Ben Ali. De fait, Nebiha Gueddana a souvent parlé au président avec franchise et conviction, défendant ses projets bec et ongles.

Ce caractère bien trempé, elle le tient de sa famille, originaire de Djerba, mais c’est à Tunis qu’elle est née, le 26 janvier 1949. De sa maman, femme au foyer, elle a appris à ne jamais se soumettre aux décisions du sort : « Ma mère m’a fait comprendre sans me le dire que j’avais plus de chance qu’elle et qu’il me fallait refuser la misère et l’analphabétisme. » De son père, commerçant, elle a hérité l’austérité et le sens de la mesure. Enfin, son métier de médecin – spécialisé en pédiatrie – lui a donné l’aptitude à écouter la douleur de l’autre. D’où une vraie « méthode Gueddana » : « Autant je suis militante, autant je me méfie des théories, redoute les discours creux et les effets d’annonce, préfère soigner le mal que pérorer dessus. » Gueddana est une pragmatique, elle ne croit qu’aux bases de données, aux systèmes d’information, aux numéros verts qui soulagent. Femme de terrain, elle est aussi femme de consensus. Ses collègues en témoignent : « Chaque fois qu’elle lance un programme, elle recourt à la même stratégie, toujours avec succès : identifier les ministères concernés pour les solliciter, s’entourer de professionnels et de chercheurs, utiliser les ONG comme moyen de “pression positive”, obtenir les partenariats privés, travailler sans choquer les mentalités, sensibiliser pour mieux infléchir la décision, ouvrir les brèches, mobiliser des réseaux. » S’agit-il de traiter des faits de violence ? Elle se hâte d’inviter les personnels des commissariats et des hôpitaux afin d’y trouver des appuis, profite des représentations régionales pour passer des messages, et va jusqu’à convoquer les imams afin qu’ils dénoncent publiquement les violences faites aux femmes.

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Une culture du résultat

On l’aura compris, ce qui l’intéresse, ce sont les résultats concrets et les mesures réelles. Or, des mesures, Gueddana en aura proposé durant trois décennies, en tant que secrétaire d’État aux Affaires sociales d’abord, puis comme secrétaire d’État aux Affaires de la femme et de la famille, avant de prendre la tête de l’Office national de la famille et de la population (ONFP, ex-planning familial).

C’est elle qui a préparé la réforme de 1992 à travers laquelle le président Ben Ali a consolidé les acquis du code du statut personnel (CSP) grâce à une législation révolutionnaire sur la santé, l’alphabétisation, l’éducation, la promotion de la femme rurale ou le soutien aux mères célibataires. Parmi les cent mesures présentées dans l’un de ses rapports, beaucoup seront adoptées, dont l’égalité des chances devant l’emploi, la possibilité pour une mère tunisienne mariée à un étranger de transmettre sa nationalité, ou la promulgation de la loi contre le harcèlement sexuel.

Désignée en 1994 pour diriger ­l’ONFP, elle comprend très vite que la question de la limitation des naissances est désormais révolue dans une Tunisie qui a réussi à contrôler son taux de natalité. Elle met alors en route une mutation profonde de l’Office et élabore un programme qui s’oriente vers la santé des femmes, les conduites addictives ou les maladies sexuellement transmissibles. Elle ouvre des centres d’écoute et de prise en charge psychologique pour les victimes de violences, sensibilise les jeunes sur de nouvelles notions comme le respect de soi et de son propre corps, et prône une « sexualité responsable » visant à limiter les grossesses indésirables. Elle introduit des méthodes nouvelles de contraception, telles que la pilule du lendemain ou les avortements médicamenteux, et déclare vouloir lutter contre la fatalité du cancer féminin en lançant un programme national de dépistage gratuit des cancers du col de l’utérus et du sein chez les femmes par le biais de campagnes et de spots publicitaires, une première dans la région arabe et africaine. Enfin, elle crée des centres d’hébergement pour les mères célibataires, passant outre le tabou qui frappe cette population féminine : « Notre institution, a-t-elle l’habitude de répéter, a un mandat clair de services aux femmes sans juger de leur état patrimonial ni s’immiscer dans leur vie privée, encore moins jouer aux moralisateurs ou aux justiciers. »

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Grâce à son travail « minutieux, ordonné jusqu’à l’obsession, si strict qu’il la rend sévère », confie la journaliste Racha Tounsi, Gueddana réussit à faire de l’ONFP une institution de référence pour les recherches sur les états des lieux sociodémographiques. Outre les travaux du Centre de formation internationale et de recherche en santé de la reproduction (Cefir), qui accueille des stagiaires africains et arabes, elle lance périodiquement de grandes enquêtes, afin, dit-elle humblement, d’« édifier les instances dirigeantes du pays et de prendre de nouvelles mesures ». La dernière en date, intitulée Papfam, fait partie d’un projet panarabe sur la modernisation des structures familiales par rapport aux mouvances traditionnelles.

Aux tribunes internationales, elle aime citer en exemple l’expérience tunisienne, qu’elle considère comme « un rappel des fondamentaux ». Elle ne s’en voit pas moins « comme une femme arabe et musulmane qui doit mettre en exergue tous les aspects positifs de l’islam » et confie : « Je suis choquée par les réactions d’intolérance et les malentendus à propos du statut de la femme. Mon souhait a toujours été de mettre en lumière nos courants modernistes, mais aussi de lutter contre la stigmatisation de l’islam en Occident, en montrant qu’il n’y a pas un seul modèle de femme musulmane. À preuve, la Tunisie ! »

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De même, elle a réussi à vendre aux pays arabes son programme jeunes. « L’ONFP est devenu une agence d’exécution de programmes pour les pays tiers, se félicite-t-elle. Nous intervenons pour établir des partenariats solides et travailler avec tous les acteurs desdits pays pour le développement et la mise en œuvre d’expériences pilotes. »

Aux quatre coins du monde

Première présidente et membre fondateur de Partenariat Sud-Sud en matière de population et de développement, qui réunit vingt-cinq pays, elle met en place des réseaux africains francophones et arabes pour la coopération et des projets de formation – relatifs notamment à la contraception ou à l’accouchement assisté – au Niger, au Tchad, au Mali et en Mauritanie. Ses efforts au sein de cette organisation – elle réussit à y faire adhérer la Chine et l’Inde – lui valent le prix du programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Et celui de l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica).

Constamment sollicitée en tant qu’experte par des organismes internationaux – comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou l’Institut de formation et de recherche démographiques (Iford) – et courant les tribunes du monde entier, cette mère de trois enfants avoue n’avoir pas vu grandir sa progéniture. Ni réussi à voler assez de temps pour s’adonner à la peinture, à laquelle elle rêve de se consacrer entièrement un jour. Si sa candidature au poste de secrétaire générale adjointe d’ONU Femmes est retenue – on le saura le 15 septembre –, c’est deux fois plus de travail et d’actions qui l’attendent. Ce qui n’est pas pour lui faire peur ni pour dissiper son doux sourire.

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* Créée le 2 juillet, cette entité est appelée à regrouper les mécanismes onusiens chargés de la promotion de la femme.

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