Les tourments du pasteur Ntumi
Nommé à un poste taillé sur mesure, Frédéric Ntumi Bintsamou n’a pas les moyens de ses ambitions. Depuis son retour à Brazzaville en décembre 2009, l’ancien chef charismatique de la rébellion du Pool se sent marginalisé.
Soumouna, petite bourgade située à 45 km au sud de Brazzaville, dans la région du Pool. Le village passerait inaperçu s’il ne comptait parmi ses administrés l’ancien chef de la rébellion qui, entre 1997 et 2003, ensanglanta le sud du Congo : Frédéric Bintsamou, 46 ans, plus connu sous le nom de pasteur Ntumi. Nommé en 2007 au poste de délégué général chargé de la Promotion des valeurs de paix et de la Réparation des séquelles de guerre, il n’est pas encore très à son aise dans ses bureaux brazzavillois. C’est à Soumouna qu’il se sent en sécurité.
Pour y arriver, il faut emprunter la nationale 1, qui mène à Dolisie. La route n’est que partiellement bitumée et fut un véritable coupe-gorge durant les années de guerre. En cet après-midi d’août, la circulation n’est pas dense. Seuls quelques véhicules surchargés de marchandises roulent en direction de la capitale pour approvisionner ses marchés. Les barrages autrefois dressés par les forces de sécurité et par les rebelles ont disparu, même si quelques gendarmes, assis à l’ombre, guettent une éventuelle proie.
La voiture s’arrête soudain devant un domaine, à quelques mètres de la nationale. C’est la concession de Ntumi. Un mur en parpaings, bas et inachevé, l’entoure. L’entrée est protégée par un simple tronc d’arbre hissé sur des fûts. Un homme en soutane violette s’avance vers les visiteurs et les met au courant du cérémonial d’usage : d’abord la prière, en lari. Puis il faut frapper des mains, à douze reprises, avant de se défaire de son téléphone portable. Raisons de sécurité, nous explique-t-on. Une fois cet étonnant rituel accompli, la voie est libre.
La concession s’étend sur plusieurs hectares. En son centre, deux gros tout-terrain de fabrication américaine, un minibus – en panne, nous précise-t-on –, un pick-up, un tracteur, deux camions hors d’usage, un camion-citerne… À l’entrée, un hôpital en construction. Plus loin, des habitations en paille ou recouvertes d’une simple bâche. C’est là que vivent plusieurs dizaines de malades mentaux, que le maître des lieux prétend guérir par la prière. Assis sur un banc, l’air désorienté, pendant que des drapeaux blanc, violet et bleu claquent au vent, quelques-uns « attendent d’être reçus par le pasteur Ntumi », explique à voix basse un habitué des lieux.
« Illuminé »
Ntumi nous reçoit à l’ombre des arbres, dont le feuillage tamise les rayons du soleil. Fini les sandales et la soutane violette qu’il affectionnait pendant les années de guerre. Fini aussi les cheveux et la barbe hirsutes. Il porte maintenant un costume bleu de belle coupe, une chemise blanche, une cravate bleue à pois et des chaussures noires. Les cheveux sont bien taillés, tout comme les moustaches et la barbiche qui pend au menton. « Tout ça, c’est pour la forme, commente-t-il. Quand on est un homme politique, il faut savoir s’adapter au milieu dans lequel on évolue. » Son français est impeccable et surprend ceux qui l’ont connu, quasi illettré, au tournant des années 1990. Cette métamorphose, explique-t-il, c’est à Dieu qu’il la doit.
Au Congo, Ntumi n’a pas bonne presse. Même chose dans le Pool, où ses combattants ont commis de nombreuses exactions pendant la guerre. « C’est un fou ! » Telle est la réponse, laconique et péremptoire, que la plupart des Congolais donnent lorsqu’on leur parle de Frédéric Ntumi Bintsamou. L’intéressé, lui, n’y voit qu’une conséquence de la propagande gouvernementale : « Pendant longtemps, la presse n’a pas eu accès aux zones où je me trouvais. Le pouvoir central, qui maîtrisait les médias, s’en est servi pour me ridiculiser devant la communauté internationale en me traitant d’illuminé. »
C’est en 1997, année du début de la guerre civile au Congo, que le destin de Ntumi bascule. Lui n’est encore qu’un simple pasteur (« un vrai », insiste-t-il, « pas autoproclamé ») né trente-trois ans plus tôt à Makélékélé, un arrondissement de la capitale, et qui a dû arrêter l’école en classe de troisième. Devenu « serviteur de Dieu », il s’est spécialisé dans le traitement des maladies mentales par la prière. Lorsque la guerre éclate entre les milices du président Pascal Lissouba, en fin de mandat, et celles de Denis Sassou Nguesso, Ntumi décide de fuir les combats qui font rage à Brazzaville et se réfugie dans la région du Pool, où il retrouve les combattants de Bernard Kolélas – les Ninjas, ralliés à Lissouba –, battus et traqués par les troupes de Sassou, redevenu président. Les hommes de Lissouba (Cocoyes et autres Mambas) se sont, eux, réfugiés dans les régions voisines du Niairi, de la Bouenza et de la Lékoumou, où l’armée leur donne la chasse.
Nous sommes en 1999, et Ntumi se sent de nouveau « appelé par Dieu » pour lutter « contre un pouvoir central qui maltraitait la population ». Il prend alors la tête des anciens combattants, qu’il décrit, aujourd’hui encore, comme « des brebis égarées », « des jeunes qui fumaient du chanvre et commettaient beaucoup d’exactions ». Ainsi naissent le Conseil national de la résistance (CNR) et sa branche armée, les Forces d’autodéfense de la résistance (FADR). Le pasteur se transforme en chef de guerre et gagne la forêt. Emporté par une verve messianique caractéristique du Pool, Ntumi se pose en héritier des leaders charismatiques que furent, avant lui, André Matsoua, Fulbert Youlou et Bernard Kolélas, parti en exil.
Vient ensuite le temps des négociations, sous les auspices du Gabonais Omar Bongo Ondimba. Un premier accord est signé entre le pouvoir et la rébellion, en décembre 1999, mais Ntumi et ses hommes accusent Brazzaville de ne pas tenir ses promesses, et les hostilités reprennent avant qu’un nouvel accord ne soit conclu, en 2003.
Une coquille vide
Ntumi, lui, prend du galon. En 2007, chargé de promouvoir la paix, il rejoint le gouvernement avec le rang de ministre délégué, rattaché à la présidence. Il tente une entrée triomphale à Brazzaville, en est empêché par le gouvernement, et prend finalement ses fonctions le 28 décembre 2009. Depuis, il n’a jamais été reçu par le président Sassou Nguesso. En 2010, il affirme n’avoir reçu que l’équivalent de trois mois de budget de fonctionnement. Sa fonction ne serait-elle qu’une coquille vide ? Rock Ludovic Ntondo, qui fut son conseiller diplomatique, n’est pas loin de le penser. «
Le poste qu’il a obtenu est le dixième de ce qu’il aurait pu avoir s’il avait bien joué. Quand on négocie avec un parti au pouvoir, il faut obtenir le plus de choses possible. Ntumi était confus, il s’est réfugié dans une dimension mystico-religieuse et, comme toujours, il a tergiversé au moment de prendre la décision finale. »
Force est de constater que Ntumi, désormais à la tête du Conseil national des républicains, a perdu de son aura depuis que Kolélas, rentré d’exil (et décédé en 2009), s’était rapproché de Sassou. Une aura ternie aussi par son ralliement à un régime qui l’a pris en charge financièrement, même s’il s’en défend : « Je n’ai pas été acheté. Je suis un partenaire du pouvoir. » Isolé sur la scène politique congolaise, Frédéric Ntumi Bintsamou n’a pas réalisé la percée espérée, ni aux législatives de 2007 ni à celles, partielles, de 2010. Il dit maintenant miser sur le scrutin de 2012. En attendant, trente soldats de l’armée nationale – des Laris, tous choisis par lui – assurent sa sécurité. Rock Ludovic Ntondo, l’ancien proche, en est convaincu : « C’est une question de confiance. Ne connaissant pas ceux qui sont en face de lui, il vit dans la peur de l’imprévu. »
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