Sékouba Konaté : l’homme qui n’aimait pas le pouvoir

Félicité par les grands de ce monde pour son action à la tête de la Guinée, respecté par les dirigeants africains, le président de la transition, Sékouba Konaté, n’en donne pas moins l’impression de vouloir quitter au plus vite le pouvoir. Enquête sur un type de leader qui fait défaut sur le continent.

Arrivée à Abidjan, le 13 avril dernier, à bord de l’avion présidentiel ivoirien. © ISSOUF SANOGO/AFP

Arrivée à Abidjan, le 13 avril dernier, à bord de l’avion présidentiel ivoirien. © ISSOUF SANOGO/AFP

Publié le 17 septembre 2010 Lecture : 10 minutes.

Sékouba Konaté : l’homme qui n’aimait pas le pouvoir
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Sékouba Konaté : l’homme qui n’aimait pas le pouvoir

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Si le second tour de l’élection présidentielle se passe sans heurt, Sékouba Konaté restera celui qui a tourné la page de la dictature en Guinée. En dépit des lourdes incertitudes qui pèsent sur le scrutin, ce général de corps d’armée, président par intérim et ministre de la Défense, suscite déjà interrogations, attentions et honneurs. Après lui avoir offert une voiture blindée, le président des États-Unis, Barack Obama, lui a envoyé via son ambassadrice à Conakry un visa de séjour aux États-Unis « en reconnaissance de ses efforts pour instaurer la démocratie ».

La France de Nicolas Sarkozy lui a déroulé le tapis rouge à l’occasion du sommet Afrique-France des 31 mai et 1er juin à Nice. Et le chef de la diplomatie Bernard Kouchner ne manque aucune occasion pour lui témoigner son estime. Jean Ping, le président de la commission de l’Union africaine (UA), lui a exprimé la volonté des chefs d’État du continent de l’accompagner dans ses projets et de l’impliquer dans la résolution des conflits. Il n’a que 46 ans… Alors qu’il est toujours aux affaires, des pays comme le Sénégal ou le Maroc lui proposent de l’accueillir, puisqu’il souhaite s’éloigner de la Guinée – au moins pour un temps – sitôt son successeur élu.

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Par tempérament et par réalisme

Arrivé au sommet sans l’avoir voulu, ni recherché, au lendemain de la tentative d’assassinat contre Moussa Dadis Camara – gravement blessé à la tête –, le 3 décembre 2009, l’ancien numéro trois de la junte a hérité d’une mission à hauts risques dictée par les circonstances. Il a contenu l’armée, neutralisé ses éléments récalcitrants, renvoyé les hommes en arme dans les casernes, renoué le dialogue avec la classe politique, nommé un Premier ministre – Jean-Marie Doré – et un gouvernement de consensus, conduit le pays à des élections auxquelles ni lui ni aucun autre membre des organes de la transition n’a été candidat…

Fait rare en Afrique, où la majorité de ceux qui s’emparent du pouvoir s’emploie à le conserver, il fait montre d’un (trop ?) grand empressement à le quitter. Par tempérament comme par réalisme, il n’est pas à l’aise dans ce qu’il a toujours perçu comme une « atteinte » à sa tranquillité, une remise en cause de sa liberté d’aller et venir et une menace pour son droit à mener une vie ordinaire et anonyme. Son bonheur repose sur des plaisirs simples : vivre dans la discrétion, sans ostentation, pouvoir sortir et prendre un pot avec des amis…

Il n’attend d’ailleurs pas la fin de la transition pour recouvrer cette liberté. La nuit tombée, il quitte fréquemment sa villa de fonction, qui surplombe l’océan, à Kaloum, pour se rendre chez l’homme d’affaires Mamadou Diouldé Diallo, à Camayenne, dans la banlieue proche de Conakry, où il devise jusque très tard. Porté à prendre du bon temps, ce militaire de carrière qui a grandi dans l’ambiance festive de Conakry se sent à l’étroit dans l’immense résidence présidentielle de Boulbinet.

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L’enfermement inhérent au pouvoir le déprime. Il n’en peut plus d’être cloîtré entre sa chambre et son salon privé, où s’entassent officiers et membres du cabinet présidentiel qui lui rendent visite. Il dort d’ailleurs de moins en moins dans cette immense bâtisse coloniale cernée de véhicules militaires et occupée de toutes parts par des hommes surarmés. Et passe le plus clair de ses nuits à Taouyah, à son domicile privé, un modeste duplex où vivent sa femme et ses quatre enfants. Là-bas, au milieu des siens, il mange « le riz du pays » et s’adonne à ses hobbies : regarder la télé, surfer sur internet, griller une cigarette… Sans être entouré.

Solitaire, timide, introverti

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Solitaire, timide, guère à l’aise en public – si ce n’est peut-être avec ses compagnons d’armes, Sékouba Konaté est un introverti. Le fruit de son enfance et des blessures infligées par la vie. Élevé par un père (Doubany) intransigeant, commandant dans l’armée aussi sévère avec ses subordonnés qu’avec sa famille, il a très tôt été inhibé par cette forte autorité qui s’exerçait sur lui. Ce père omniprésent est décédé en 1982, l’année de son bac, sa sœur Delphine en 1985, alors qu’il venait d’intégrer l’armée, et sa mère (Jeannette) en 1988, lorsqu’il était en formation à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc. Une succession de drames personnels qui l’ont sans doute poussé à enfouir ses douleurs intimes sous une épaisse carapace et un caractère en acier trempé.

À ces malheurs sont venues s’ajouter les séquelles d’une carrière militaire sous le feu des baïonnettes. Surnommé le Tigre du fait de sa férocité au combat, il a côtoyé la mort, comme en témoignent ses blessures de guerre : une cicatrice entre les paupières causée par une chute à Potoloko, en Sierra Leone ; une balafre sous l’œil droit provoquée par un éclat de mortier à la frontière libérienne ; une marque sous la joue droite héritée de combats pour repousser des rebelles…

Le Tigre, en bon lecteur de L’Art de la guerre, se laisse difficilement impressionner. Pas même par les ors du pouvoir, dont il connaît les pièges et la vanité pour l’avoir côtoyé de près. Il a passé ses premières années d’enfance dans une villa située à un jet de pierre du palais d’Ahmed Sékou Touré. En jouant au football sur un terrain à proximité, il a pu observer les grandeurs affichées et les bassesses dissimulées.

Son père, directeur national des entreprises militaires agricoles, fut un ami intime de Lansana Conté, le successeur de Sékou Touré à la tête du pays. D’ailleurs, après son décès, c’est toute la famille Konaté qui a été placée sous la protection du général Kerfalla Camara, futur chef d’état-major de l’armée, avec la bénédiction de Conté. Lequel a ensuite veillé sur la carrière du jeune militaire, l’a fait libérer au lendemain de la mutinerie des 2 et 3 février 1996 (alors que ses coaccusés écopaient de très lourdes peines de prison) et l’a nommé en juillet 2008 commandant de l’unité d’élite du Bataillon autonome des troupes aéroportées (Bata).

Sa mission : mettre fin aux soulèvements répétés dans les rangs entre 2007 et 2008. Avant sa mort, le 22 décembre 2008, le « Mangué » (« le chef », en soussou) répétait à l’envi à ses proches : « C’est mon neveu, le fils de Doubany, qui va me succéder à la tête de l’État. »

Pièce maîtresse du coup d’État de décembre 2008

Sa prévision s’est réalisée. Pièce maîtresse et instigateur depuis le camp Alpha-Yaya-Diallo du coup d’État du 23 décembre 2008, le lieutenant-colonel Sékouba Konaté (devenu ensuite général) a laissé le pouvoir au capitaine Moussa Dadis Camara, très populaire au sein de la troupe. Après le temps de « l’amitié », le divorce entre les deux hommes intervient le 28 septembre 2009. Sékouba est en déplacement à Nzérékoré (Guinée forestière) quand la sauvagerie des hommes de Dadis s’abat sur les manifestants de l’opposition.

De retour à Conakry au lendemain du massacre, le Tigre lance au chef de l’État : « La situation est très grave. Cesse de jouer. Organise des élections et remet le pouvoir aux civils. Fais arrêter Toumba, qui a dirigé cette expédition criminelle. » Dadis refuse. Ironie du sort : l’aide de camp Aboubacar « Toumba » Diakité finira par tirer, le 3 décembre 2009, sur son protecteur, précipitant sa sortie de scène.

Propulsé président de la République par intérim par les accords de Ouagadougou du 15 janvier 2010 – après avoir vainement tenté de se défausser sur le général Mamadouba Toto Camara, le numéro deux de la junte –, Sékouba Konaté a abordé ses nouvelles responsabilités en ayant conscience de ses limites. Reconnaissant ses lacunes, l’homme en treillis s’est concentré sur les questions militaires – les seules sur lesquelles il a une expertise – et a confié tout le reste à Tibou Kamara, l’un des « survivants » du marigot politique, qu’il a nommé ministre secrétaire général à la Présidence.


Avec Rabiatou Serah Diallo, le présidente du Conseil national de transition, et Jean-Marie Doré, le Premier ministre (à dr.).
© YOURI LENQUETTE

Le bâton et la carotte

« Allez voir Tibou », « Voyez avec Tibou », « Demandez à Tibou »… Chaque fois qu’il est saisi d’un problème, la réponse du président par intérim est la même. Il n’a jamais signé un document non paraphé par son « ministre secrétaire général », ni lu un discours non écrit par ce dernier, ni pris une décision non agréée par lui. Tout comme il a toujours respecté les prérogatives reconnues par l’accord de Ouagadougou au Premier ministre, Jean-Marie Doré, et à son gouvernement.

« Je ne veux aucun problème avec le Premier ministre, répète-t-il à tous ceux qui le sollicitent pour une intervention. C’est lui qui doit administrer le pays. Je ne m’immisce pas dans son domaine réservé. » Le contraste est saisissant entre cette souplesse et la fermeté avec laquelle le général a discipliné l’armée. Craint par la troupe et redouté pour sa promptitude à sanctionner le moindre écart, il s’est imposé et a fait le ménage en démantelant, notamment, le camp de Kaliah, où 7 000 éléments recrutés par Moussa Dadis Camara recevaient une formation dispensée par des instructeurs israéliens.

Appliquant la maxime de Napoléon (« on ne gouverne qu’avec ses propres hommes »), il a fait sauter tout l’état-major pour placer aux postes stratégiques des proches avec qui il a fait le coup de feu. Dans un subtil dosage du bâton et de la carotte, il a relevé le traitement des soldats, amélioré leur équipement, notamment en véhicules, et fait appel au magnat local du BTP, Kerfalla Person Camara, alias KPC, pour reconstruire toutes les casernes du pays.

Accusation d’ethnocentrisme

Faire ce qu’on sait faire, déléguer ce qu’on ne sait pas faire… Ce style de gouvernement a fonctionné au point de le placer à l’abri de toute critique. Jusqu’à ce 5 juillet où, à la suite de la proclamation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, les partisans de Sidya Touré, arrivé troisième, marchent pour protester. Injurié, accusé par les manifestants d’avoir défavorisé leur candidat au profit d’Alpha Condé pour des raisons ethniques – Sékouba est malinké comme ce dernier –, le président par intérim convoque les leaders politiques pour leur dire leurs quatre vérités.

Se disant « beaucoup touché », il menace de démissionner si les candidats n’appellent pas leurs supporteurs au calme. Devant l’insistance des chefs d’État malien, Amadou Toumani Touré, et sénégalais, Abdoulaye Wade, il revient sur une décision qui semblait irrévocable.

Le Tigre s’est senti blessé par l’accusation d’ethnocentrisme. Fils d’un Malinké musulman de Kankan et d’une métisse libano-guinéenne chrétienne de Kissidougou, il est né et a grandi à Conakry, en pays soussou, d’où sont originaires ses meilleurs amis (Laye Keira, Baïdy Aribot, Lansana Keïta, alias Gaucher…). Parlant sommairement la langue de son père, maîtrisant le soussou et les dialectes de la région forestière, il s’est marié avec une femme peule, Aïssatou Bah, fille d’un officier supérieur. De quoi transcender les clivages communautaires.

Accro à la télé, à la radio et à internet – il lit et écoute tout ce qui s’écrit et se dit sur lui et sur la Guinée –, il est sensible aux évolutions de l’opinion publique. En dehors du domaine militaire, dans lequel il décide et ordonne rapidement, il fait ainsi montre d’une certaine capacité à dialoguer sur les autres questions. Cette patience frise même quelquefois la passivité ou l’indécision. Au point qu’Abdoulaye Wade, en séjour à Conakry le 6 août, lui lance : « Vous avez écouté toutes les parties. Pour ne pas laisser pourrir la situation, fixez la date du second tour de la présidentielle. C’est votre responsabilité de président de la République. »

Les « politiciens » l’ont déçu

L’invite n’a pas été immédiatement suivie d’effets. Prudent, équilibriste, trop soucieux de ne pas être accusé de partialité, le général a pris son temps. Faisant appel aux bons offices d’un journaliste de RFI dont il est proche et qui entretient de bonnes relations avec les deux candidats du second tour, Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, il a tenté un premier rapprochement des positions. Avant de charger Tibou Kamara de mener avec tous les acteurs (la Commission électorale nationale indépendante, le Conseil national de transition, le gouvernement, les deux candidats…) une concertation qui avait abouti au choix de la date du 19 septembre (reportée sine die depuis).

Échaudé par le précédent Sidya Touré, Sékouba Konaté entretient des rapports distants avec les deux finalistes. Dans l’ensemble, les « politiciens » l’ont déçu. Se méfiant d’eux, il est pressé de quitter leur monde.

Si le second tour se déroule comme il le souhaite, il pourra alors quitter – au moins un temps – la Guinée, se mettre au vert, se reposer et s’occuper de sa santé, après avoir déjà sensiblement réduit sa consommation d’alcool. Après des séjours médicaux au Maroc en 2009 et en 2010, à la suite d’une embolie pulmonaire, il confie à ses proches la nécessité de continuer à se soigner.

Son départ du pays reste toutefois problématique. Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé lui ont tour à tour proposé de le maintenir au ministère de la Défense. « Tous, à commencer par le président Compaoré, sont unanimes pour que le général reste à la tête des forces armées pour sécuriser le règne de celui qui va être élu et protéger la démocratie guinéenne des risques de déstabilisation », assure Tibou Kamara à J.A. Prépare-t-il l’opinion à un oui de son patron ?

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