Retraites : un continent en quête de cotisants
L’Afrique comptera 200 millions d’habitants de plus de 60 ans en 2050. Soit cinq fois plus de retraités potentiels qu’aujourd’hui. Un défi majeur attend les pays subsahariens francophones, où le système par répartition est encore défaillant.
Quarante-cinq milliards d’euros : c’est le montant estimé du déficit des caisses de retraite en France en 2020. Calqués sur le modèle hexagonal, les régimes de retraite d’Afrique subsaharienne n’en sont pas là, mais ils doivent, eux aussi, s’assurer de leur équilibre financier pour garantir leur pérennité et leur capacité à procurer un véritable revenu de substitution aux salariés partis à la retraite à 60 ans (en théorie) dans la plupart des pays : Cameroun, Bénin, Sénégal, Centrafrique…
Au Congo, en revanche, les hommes se retirent à 65 ans, les femmes à 60. Au Burkina Faso, les ouvriers ont le droit de quitter leur activité professionnelle à 56 ans, les employés, à 58, les cadres, à 60, les médecins et les enseignants, à 63 ans.
Malgré ces quelques particularités, les États ont tous opté pour le système par répartition en vigueur en France, fondé sur la solidarité entre les générations (les actifs cotisent pour financer les pensions des inactifs). Un principe qui n’existe que sur le papier. Car la comparaison s’arrête là. Selon la Banque mondiale, environ 90 % de la population active ne bénéficie d’aucune couverture sociale.
Parmi ceux qui peuvent compter sur une pension de retraite : les travailleurs du secteur public et les salariés des entreprises privées les plus importantes, ainsi que les cadres des multinationales, des organismes internationaux ou des banques, qui cotisent parfois à deux caisses, celle de l’État et celle de l’entreprise. Certaines de ces sociétés n’hésitent pas à faire de la cotisation retraite un élément de leur package destiné à séduire les cadres les plus performants.
Caste de privilégiés
De l’autre côté de la barrière, les indépendants – malgré parfois des rémunérations confortables –, les personnes à faibles revenus et celles qui travaillent de façon intermittente ou évoluent dans l’informel sont tenus à l’écart de cette « caste de privilégiés ». « La question de la retraite doit être analysée à l’aune de la société tout entière, recommande le Camerounais Thomas Babissakana, responsable d’un cabinet d’ingénierie financière. Se limiter à en examiner le fonctionnement pour les 10 % de “privilégiés” revient à accepter une injustice légalisée par les États. L’Afrique subsaharienne est engluée dans un système où les prestations ne profitent qu’à une poignée de personnes, la majorité ignorant jusqu’à l’existence de ces services modernes. »
Avec une pyramide des âges composée d’une forte population jeune et d’une petite minorité de seniors, tout régime par répartition aurait pourtant de beaux jours devant lui au sud du Sahara. Malheureusement, les multiples crises économiques, les politiques d’ajustements structurels à partir des années 1980, gelant les recrutements sur des décennies, ont profondément nui au développement des secteurs économiques créateurs d’emplois.
Depuis, la capacité des actifs à cotiser pour les inactifs s’amenuise. Au Sénégal, dans les années 1970 et 1980, six salariés cotisaient pour un retraité. En 2010, on est passé à deux pour un. Et 124 000 personnes seulement (secteurs public et privé confondus) bénéficient d’une pension. Cette tendance devrait perdurer, voire s’amplifier, avec la baisse de la mortalité. L’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) estime à environ 40 millions le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus sur le continent. Ce chiffre devrait doubler en 2030 et dépasser les 200 millions en 2050.
« Dans la sous-région, la question des retraites se pose davantage en termes de réduction du chômage, estime Roger Tsafack-Nanfosso, professeur de sciences économiques à l’université Yaoundé-II. L’État doit améliorer le climat des affaires et permettre au privé de produire, de créer des richesses et de recruter. C’est indispensable pour élargir l’assiette des cotisations et proposer des niveaux de retraite acceptables. »
SOURCE : ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Car déjà les régimes de retraite sont en proie à de fortes tensions de trésorerie. À en croire un responsable de la Caisse générale de retraite des agents de l’État (CGRAE) ivoirienne, c’est la vie même du système des retraites qui est en jeu, avec un déficit de 53 milliards de F CFA (81 millions d’euros) pour l’année 2010. Et les retraites anticipées n’arrangent rien. Si la retraite est à 60 ans au Congo, une personne de 50 ans ayant suffisamment cotisé peut partir par anticipation. Conséquence : la Caisse de retraite « perd » dix années de cotisations sociales, mais elle doit aussi anticiper le paiement d’une pension avant terme !
Toutefois, les exemples du Cameroun et du Gabon démontrent qu’il est possible de donner une nouvelle vie à ces organismes chargés des retraites. Lorsque l’actuel ministre camerounais de l’Économie, Louis-Paul Motazé, a pris la direction de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) en 1999, il découvre une structure exsangue, minée par la mauvaise gestion, les fraudes et le peu d’empressement des entreprises à verser leurs cotisations. Son arrivée marque le début d’une période d’assainissement et de recherche de fonds pour payer les pensions de retraite.
Ainsi, depuis 2001, une convention de partenariat lie la CNPS à l’administration fiscale avec comme conséquence l’assimilation des cotisations sociales aux créances fiscales. Leur recouvrement forcé devient plus efficace… Par ailleurs, les entreprises désireuses de répondre aux appels d’offres pour les marchés publics doivent être à jour de leurs cotisations. Cette stratégie se révèle payante : les cotisations passent de 49 milliards de F CFA en 1999 à plus de 90 milliards fin 2008. L’embellie est telle que la CNPS cherche à placer le surplus collecté dans des produits financiers ou bancaires, pour anticiper l’augmentation du nombre de retraités.
Des délais raccourcis
Pour ce qui est du service aux usagers, des aménagements permettent aujourd’hui aux retraités camerounais de percevoir leur pension trois mois après leur départ. Il est loin le temps où il fallait patienter cinq ans ! Au Gabon voisin, cinq jours suffisent désormais pour payer les pensions sur l’ensemble du territoire, contre 45 précédemment pour la seule ville de Libreville.
La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a également mis sur pied une stratégie de recouvrement des cotisations, et la grande majorité des entreprises les acquittent. De son côté, Brazzaville travaille à l’élaboration d’un système de retraite automatique. Dès la fin de sa carrière, sans démarches préalables, tout agent pourra bénéficier de ses droits.
Impulsées depuis 2002 par la Conférence interafricaine de prévoyance sociale (Cipres), ces réformes butent néanmoins sur l’immense secteur informel. Au point que le véritable défi consiste en priorité à déterminer les moyens d’étendre cette protection aux travailleurs de ce secteur, installés de manière plus ou moins légale dans leur activité. Surtout que, selon la Banque mondiale, 97 % des créations d’emploi ont lieu dans l’informel. Certaines de ces branches d’activité pourraient faire l’objet d’un suivi au travers d’organismes comme les chambres de commerce, d’agriculture ou d’artisanat. Grâce à cet encadrement, la prévoyance retraite pourrait être mieux structurée.
À Nairobi, un régime de pension consacré au secteur informel a été lancé par la Kenya National Jua Kali Co-operative Society Limited. Basé sur les cotisations individuelles (20 shillings kényans au minimum par jour, soit environ 0,19 euro, épargnés via les services de transfert d’argent), il cible 8,5 millions de personnes dans les PME. Il est destiné à devenir le plus important du pays et à s’étendre par la suite à toute la région de l’Afrique orientale. Selon l’Autorité des prestations de retraite, seuls 15 % des 10 millions de travailleurs sont couverts actuellement par un régime de retraite. 70 % des non-inscrits appartiennent au secteur informel.
De son côté, Roger Tsafack-Nanfosso propose d’autres pistes pour assujettir les travailleurs de l’informel à la législation sur les retraites, sans pour autant les pénaliser ou entraver leur activité. « Au Cameroun, par exemple, ils paient l’impôt libératoire [imposition annuelle sur le chiffre d’affaires, NDLR]. On peut imaginer qu’une part de cet impôt soit affectée à une caisse de retraite au prorata de ce que le travailleur aura versé. Parallèlement, les individus pourraient se prendre en charge au moyen d’assurances privées diverses, en incitant les entreprises de la microfinance à concevoir des produits plus attractifs. »
On le constate, le chantier est vaste. Et tous les États n’affichent pas encore la volonté politique de prendre le problème à bras-le-corps. À moins que le prochain Forum mondial de la sécurité sociale, du 29 novembre au 4 décembre au Cap, en Afrique du Sud, ne réserve d’agréables surprises.
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