Après Abdallah, qui ?
Dans la droite ligne du roi Fayçal, l’actuel souverain a introduit quelques réformes timides, mais significatives, dans un royaume réputé pour son conservatisme. Trois hommes sont aujourd’hui en pole position pour lui succéder. Et assumer – ou renier – cet héritage.
Nicolas Sarkozy l’attendait à Paris pour le défilé du 14 Juillet, des contrats d’équipement prêts dans un porte-documents. Mais le roi Abdallah, 86 ans, souverain d’Arabie saoudite depuis 2005, a annulé son déplacement sans donner de raison officielle. De quoi relancer les spéculations sur sa santé – et sur sa succession. D’autant que son impressionnante longévité n’est pas sans susciter l’impatience des quelque deux cents princes de la famille régnante qui pourraient tôt ou tard prétendre au trône.
Dans la droite ligne du roi Fayçal (1904-1975), Abdallah a introduit une série de réformes, certes timides, dans un pays réputé pour son conservatisme et son opacité. Et œuvré au renforcement de l’influence régionale du royaume. S’il venait à disparaître, lequel de ses demi-frères lui succéderait ? Et que ferait celui-ci de cet héritage ?
Depuis le décès, en 1953, d’Abdelaziz Ibn Saoud, qui a unifié le royaume d’Arabie en 1932, la transmission du pouvoir se fait selon le droit d’aînesse – exclusivement masculin. À la mort du souverain, le trône revient au fils le plus âgé d’Ibn Saoud, et ce jusqu’à la disparition de tous les frères. Ce n’est qu’ensuite que la génération des petits-fils du fondateur du royaume pourra accéder au pouvoir. Les fils étant vieillissants, on risque d’assister au cours des prochaines années à une série de règnes de courte durée. Sous d’autres cieux, une suite de couronnements d’hommes très âgés, avec le risque de devoir destituer un roi impotent, serait de nature à ébranler le système. Mais, en Arabie saoudite, aucune succession ne porte en elle un germe de déstabilisation. Le pays est parfaitement « encadré » par les services de sécurité, et le régime wahhabite est suffisamment solide. Il faut donc s’attendre à une passation de pouvoir sereine, selon la coutume.
Sont donc en pole position trois demi-frères d’Abdallah : d’abord Sultan, 82 ans, l’actuel prince héritier et ministre de la Défense, puis Nayef, 77 ans, ministre de l’Intérieur, promu second vice-président du Conseil des ministres en mars 2009 – un poste toujours attribué au deuxième héritier dans l’ordre de succession –, et, enfin Salman, 74 ans. Tous trois représentent la continuité du pouvoir des Saoud. « Le point commun entre Sultan, Nayef et Salman, selon le chercheur Pascal Ménoret, de la Harvard Academy for International and Area Studies, c’est qu’ils participent au pouvoir depuis l’arrivée de Fayçal sur le trône, en 1964. Ils partagent la responsabilité du développement fulgurant du pays après le boom pétrolier de 1973, mais aussi de la progression de la corruption. » Pas de rupture à l’horizon donc avec ce trio.
D’autres demi-frères d’Abdallah pourraient aspirer à devenir roi. Sur les 36 enfants mâles qu’a eus Ibn Saoud, 18 sont encore vivants – et ont tous plus de 65 ans. Bandar Ibn Abdelaziz, par exemple, pourtant plus âgé que Sultan et Nayef, a l’inconvénient d’avoir une mère non pas saoudienne, mais marocaine, ce qui le disqualifie. De même que, pour citer les plus influents, Miqrin et Hidhlul, de mères yéménites, et Mishal, Mitab, Talal et Nawaf, de mères arméniennes. Talal s’est d’ailleurs distingué en s’attirant la désapprobation familiale pour avoir souhaité que le royaume se transforme en monarchie constitutionnelle. « Le Coran est notre Constitution », avait proclamé le roi Fayçal – et c’est toujours le cas aujourd’hui. En mars 2009, Talal avait aussi exigé d’Abdallah qu’il dise clairement si la promotion de Nayef en faisait le deuxième prince héritier. Il n’a jamais obtenu de réponse.
Être d’un âge avancé, avoir une mère saoudienne et être dans les petits papiers de la famille ne suffisent pas pour autant pour être roi. D’autres règles non écrites compliquent la succession, comme l’équilibre entre les différents clans de la dynastie. Le clan des Soudaïri, par exemple, composé des enfants de Hassa Bint Soudaïri, épouse favorite d’Abdelaziz, regroupe aujourd’hui six fils très influents – dont les trois premiers prétendants au trône. Pour prévenir des querelles fratricides, Abdallah a créé, en 2006, un Conseil d’allégeance chargé de désigner le nouveau roi. Composé de trente-cinq membres éminents de la famille royale, celui-ci est censé décider par consensus. « Le Conseil n’a pas encore eu l’occasion de se réunir pour la nomination d’un roi. La disparition d’Abdallah servira de test », estime Christopher Boucek, chercheur associé au Carnegie Middle East Center.
Contradiction idéologique
La succession saoudienne pourrait être un plaisant feuilleton royal si l’avenir d’une puissance majeure et influente du Moyen-Orient n’était en jeu. Avec Abdallah (qui a été, à partir de 1995, le régent informel du roi Fahd, incapable de gouverner jusqu’à son décès, en 2005), le pays semble avoir amorcé une ouverture : promotion du dialogue interreligieux, libéralisation économique, soutien à l’éducation supérieure des femmes, réforme du système judiciaire… Mais Pascal Ménoret, qui rappelle que le terme de « réforme » a été systématiquement associé à tous les rois depuis Fayçal, préfère parler d’« attentisme prudent, ponctué de déclarations de principe sur l’arabité et l’islamité d’un pays par ailleurs aligné sur la politique de Washington ». De son côté, Neil Partrick, consultant britannique sur le Golfe persique, évoque plutôt des « changements d’environnement, modestes aux yeux des standards internationaux, bien que significatifs pour l’Arabie saoudite. Mais ils ne sont pas suffisamment inscrits dans les institutions pour que leur pérennité soit garantie ». De fait, peu de textes de lois ont réellement été adoptés ou mis en œuvre. Or le royaume, fort de 29 millions d’habitants, 26e puissance mondiale, va devoir faire des choix importants, d’autant que sa jeunesse (60 % de la population ont moins de 25 ans) appelle de ses vœux des réformes, notamment en matière de démocratisation.
En tant que gardien des lieux saints de l’islam (La Mecque et Médine), Riyad est dans une position délicate, car il ne peut à la fois se poser comme le tenant d’un islam fondamentaliste et faire la chasse aux djihadistes, idéologiquement proches du wahhabisme saoudien. Une contradiction embarrassante pour un pays qui se veut influent et sage, et dont l’acte diplomatique majeur fut l’Initiative de paix arabe de 2002, qui offrait à Israël la reconnaissance de tous les pays arabes en échange d’un retrait de tous les territoires occupés – y compris le Golan. Mais l’Arabie saoudite incarne aussi, avec l’Égypte, l’islam sunnite. Son inquiétude face à la montée en puissance de l’Iran chiite l’a poussée à se rapprocher de la Syrie – alliée de Téhéran – pour renforcer sa position dans la région, comme l’a montré la visite commune d’Abdallah et de Bachar al-Assad à Beyrouth, le 30 juillet.
Exit al-walid
Il est difficile de dire si les demi-frères de l’actuel souverain marcheront dans ses pas sur le terrain des réformes sociales et politiques. Et qu’en sera-t-il des princes de la deuxième génération, celle des petits-fils d’Ibn Saoud, quand arrivera leur tour ? Le roi Fahd avait promulgué, en 1992, une loi ouvrant la succession « aux fils et petits-fils » d’Ibn Saoud, dont il faudrait désigner « le plus apte ». Une procédure de nomination délicate qui n’a jamais été détaillée. Toujours est ÂÂÂÂil que la génération des petits-fils est désormais sur les rangs. Ayant entre 50 et 60 ans, ils sont pourtant considérés comme trop jeunes. Certains sont cependant assez bien placés pour espérer, à terme, devenir roi : Mitab, 59 ans, fils du roi Abdallah et chef de la garde nationale ; Khaled, 61 ans, fils de Sultan et vice-ministre de la Défense ; ou Mohammed, 56 ans, fils de Nayef et responsable des opérations antiterroristes – activité qui lui vaut les faveurs des Occidentaux. Tous trois appartiennent au groupe des « sécurocrates » et ont été placés par leurs pères à des postes clés… il y a déjà trente ou quarante ans ! Souvent formés en Occident, ils pourraient être favorables à une libéralisation. Dix-neuf d’entre eux siègent au Conseil d’allégeance et auront leur mot à dire – à condition de respecter l’opinion des fils d’Ibn Saoud.
Le passage à la génération suivante interviendra tôt ou tard, mais il n’est pas encore à l’ordre du jour et n’entraînera pas, a priori, de grande révolution. Un personnage comme le libéral Al-Walid Ibn Talal, 55 ans et neveu du roi, sert pour l’instant de repoussoir. La 22e fortune du monde (en 2009), fils du provocateur Talal, n’a pas caché son ambition de monter un jour sur le trône. Mais ses prises de position en faveur d’une émancipation progressive des femmes et ses attaques contre le salafisme l’ont écarté des cercles du pouvoir.
Recherche du consensus
Qui ou quoi, en dehors des Saoud, pourrait influencer la désignation du roi ? La famille régnante domine l’Arabie depuis deux cent soixante-dix ans. Mais des rivalités intestines lui ont fait perdre le contrôle du pays au XIXe siècle. Autre souvenir douloureux : l’assassinat, en mars 1975, du roi Fayçal par l’un de ses neveux, qui cherchait visiblement à venger la mort de son frère ultrareligieux tué par la police lors d’une manifestation, dix ans plus tôt. C’est donc aujourd’hui le maintien de l’héritage unificateur du fondateur, gage de stabilité, qui prime. Les Saoud choisiront un souverain à la manière dont ils dirigent le pays : par consensus. La famille recueillera l’avis des différents groupes influents, au premier rang desquels le haut clergé. C’est lui qui confirme le choix du roi en le nommant imam. Le contrat tacite est le suivant : tandis que les oulémas ont la haute main sur les questions religieuses et veillent à la pérennité du wahhabisme, le roi s’occupe des affaires du pays.
Les États-Unis ont également leur petite idée : ils ne voient pas d’un œil favorable le couronnement de Sultan ou de Nayef. « Bien que proaméricain, explique Simon Henderson, du Washington Institute for Near East Policy, Sultan a la réputation d’être un homme corrompu. » Quant à Nayef, « il a rechigné à renforcer la sécurité après les attaques d’Al-Qaïda contre le royaume en 2003 ». Mais ni l’allié américain ni même le Majlis al-Choura, le Parlement, n’ont un accès direct aux arcanes de la famille royale. Dans les années à venir, on assistera probablement au défilé rapproché de plusieurs têtes couronnées au sommet de l’État – et à peu de changements significatifs. Au royaume des Saoud, la prudence est toujours reine.
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