Discrimination d’État
« Il ne faut pas que nous hésitions à réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité française. Celle-ci doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique. » Ces deux phrases, prononcées le 30 juillet à Grenoble par le président français, Nicolas Sarkozy, ont déclenché une vive polémique. En déplacement en Isère deux semaines après que des violences eurent éclaté dans le chef-lieu de ce département, mettant à nu les failles de sa politique sécuritaire, l’hôte de l’Élysée a voulu reprendre la main. Mais il s’y est pris de la pire des manières.
L’adoption d’une loi qui applique la déchéance de la nationalité aux seuls Français d’origine étrangère reviendrait à fouler au pied l’un des piliers de la République : l’égalité. Dès son article 1er, la Constitution française proclame en effet que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Mesure d’exception, la déchéance de la nationalité a donné lieu ailleurs à d’effroyables abus. Aux États-Unis notamment, où elle a été appliquée aux pacifistes (lors de la Première Guerre mondiale), à des anarchistes et à des communistes. Tirant les leçons de ce passé sombre, les gouvernements américain et britannique ont, depuis plusieurs décennies, très peu recouru à cette procédure. Ces dernières années, les rares cas de déchéance prononcés aux États-Unis ont concerné d’anciens nazis. Malgré la vive émotion suscitée par les attentats du 11 Septembre, George W. Bush n’avait pas réussi à faire adopter le principe du retrait de la nationalité américaine aux complices du terrorisme. Le Royaume-Uni, qui possède la plus ancienne législation en la matière – une loi de 1914 prévoit la déchéance de la nationalité pour atteinte à la sûreté de l’État, trahison et crimes graves –, n’en use qu’avec parcimonie.
Nicolas Sarkozy devrait se montrer d’autant plus prudent que ce thème rappelle à ses compatriotes une époque de triste mémoire. Dans l’histoire française, la déchéance de la nationalité renvoie au régime de Vichy, qui a appliqué cette mesure aux Juifs de France, ainsi qu’aux citoyens, dont le général de Gaulle, qui avaient quitté leur pays pour combattre le nazisme.
C’est pour éviter le retour à ce type d’arbitraire que les conventions et institutions dévolues à la protection des droits de l’homme veillent attentivement à préserver le droit de toute personne à conserver sa nationalité et à être prémunie contre l’apatridie. Le 12 août, le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale a d’ailleurs épinglé la « patrie des droits de l’homme », jugeant que le projet de l’Élysée est non seulement « discriminant », mais « constitue également une incitation à la haine ». En Afrique, outre la RD Congo, qui retire sa nationalité à chacun de ses ressortissants qui en a pris une autre, c’est la Guinée de Sékou Touré qui s’était distinguée en la matière, infligeant cette sanction aux « ennemis de la Révolution » !
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