Le Maghreb au stéthoscope
Régimes d’assurance maladie, efficacité des hôpitaux, disponibilité des professionnels de santé, offre privée… D’un pays à l’autre, dans le Maghreb, de fortes disparités apparaissent. Mais les progrès sont là.
Santé : l’Afrique au banc d’essai
Maroc : un système peu performant
Avec une espérance de vie passée de 47 ans dans les années 1960 à 72 ans aujourd’hui, une mortalité infantile de 37 ‰ le classant au 71e rang mondial (contre 75e cinq ans plus tôt), le Maroc a notoirement fait des progrès. Mais, selon que l’on soit riche ou pauvre, urbain ou rural, les chances d’être pris en charge diffèrent encore beaucoup. Les plus démunis peuvent obtenir, après moultes tracasseries administratives, un certificat d’indigence auprès du ministère de l’Intérieur.
Depuis 2008, ils peuvent également bénéficier du Régime d’assistance médicale (Ramed) mis en place pour améliorer l’égalité des citoyens dans l’accès aux soins. « Quand il s’agit d’une urgence, on soigne, même si la personne n’a pas les moyens de payer l’opération. C’est beaucoup plus compliqué quand il s’agit d’une maladie chronique », ajoute notre médecin. Or, du fait de la transition épidémiologique, les maladies cardio-vasculaires, les cancers ou le diabète touchent de plus en plus de citoyens et coûtent cher au système de santé.
Aujourd’hui encore, 70 % de la population n’est pas couverte et jongle entre la médecine privée et un système public où elle ne veut pas payer. Jusqu’à il y a quatre ans, l’hôpital accueillait 95 % des démunis. Grâce à la mise en place du Ramed et de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), et au développement des assurances privées, l’hôpital public n’accueille plus que 65 % des plus pauvres. « Il y a une évidente volonté politique d’améliorer le secteur, mais ce sont des processus très longs à mettre en place », regrette le praticien.
SOURCES : UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE ET OMS
Le secteur public reste néanmoins prédominant : 50 % des médecins, 80 % du personnel paramédical et plus de 60 % des activités de consultation sont dans le public. L’État alloue 1,3 % du PIB au ministère de la Santé, mais plus de la moitié de ce budget va aux salaires, au détriment des équipements et de la remise à niveau de centres hospitaliers universitaires (CHU) vétustes. « À l’hôpital public, on est plutôt bien soigné mais il ne faut pas être exigeant en termes d’hôtellerie : murs écaillés, chambres surchargées et nourriture infecte sont le lot commun des malades », raconte Fahd, interne à Rabat.
Si le système de santé publique est peu performant, c’est essentiellement en raison d’une centralisation excessive, d’une répartition inéquitable sur le territoire et d’un personnel démotivé par les faibles salaires et parfois corrompu. Trop peu nombreux, les CHU disposent d’un budget insuffisant et drainent une population trop importante.
Cette situation a des raisons en partie historiques, car la santé publique a tardé à être une priorité pour les autorités marocaines. Dans les années 1970, la sécheresse chronique et la guerre au Sahara ont grevé le budget de l’État. Les programmes d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI), mis en place dans les années 1980, ont eu pour première conséquence de réduire les budgets de la santé et de l’éducation.
Quant au privé, le secteur est resté très limité jusque dans les années 1990. C’est à cette époque que les médecins du public ont obtenu le droit d’exercer à mi-temps en libéral. Les cliniques privées, équipées des dernières technologies, pullulent à présent dans le royaume. Si elles offrent une bonne qualité de soins et moins d’attente que dans le public, elles souffrent néanmoins d’une mauvaise réputation. De récentes affaires, révélées par la presse locale, ont montré que certaines cliniques pratiquaient régulièrement une surfacturation des soins.
Tunisie : un bilan honorable
Espérance de vie de 74 ans, éradication de toutes les maladies endémiques, mortalité infantile inférieure à 25 ‰, gratuité des soins : le bilan d’un demi-siècle de la politique de santé publique en Tunisie est impressionnant. Aujourd’hui, le pays compte plus de 10 000 médecins, dont la moitié exerce dans le privé, et quatre facultés de médecine, toutes aux standards internationaux.
Tout le monde s’accorde également pour reconnaître la qualité des soins et l’excellente formation des médecins tunisiens. Ils sont d’ailleurs les seuls sur le continent (hormis en Afrique du Sud), à effectuer fréquemment des greffes rénales, cardiaques ou de moelle osseuse. Dans ces conditions, pas étonnant que les Libyens, les Mauritaniens ou les Sénégalais se déplacent par milliers pour se faire soigner en Tunisie. « Je fais plus de 50 % de mon chiffre d’affaires avec des étrangers », reconnaît un radiologue tunisois. Quant aux Occidentaux, ils sont chaque année plus nombreux à coupler leurs vacances avec des soins, surtout esthétiques et dentaires.
SOURCES : UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE ET OMS
En Tunisie, contrairement à ce qui se passe au Maroc, les pathologies lourdes sont prises en charge par la sécurité sociale : les insuffisants rénaux ou les malades du sida n’ont pas à débourser d’argent pour se faire soigner. Une situation qui a aussi des explications historiques. Très impliqués politiquement, les médecins tunisiens ont réussi, dès l’indépendance du pays, en 1956, à faire de la santé publique un dossier central. Sur tout le territoire des dispensaires sont construits, de larges campagnes de vaccination sont menées, la gratuité des soins est étendue à tous et le régime de sécurité sociale devient obligatoire.
Du fait de la transition épidémiologique et du coût des nouvelles maladies, le régime de l’assurance maladie a été réformé en 2008 afin d’améliorer la couverture santé et le remboursement des assurés, et surtout contenir la dérive des coûts. Aujourd’hui, les médecins sont néanmoins préoccupés par leur avenir. Selon certains membres du corps médical, la Tunisie forme trop de praticiens (600 par an), d’où une paupérisation de la profession. D’autant que le nombre de postes hospitaliers à pourvoir chaque année ne dépasse pas les 120 et que l’entrée dans le privé reste difficile.
Algérie : des efforts insuffisants
À l’indépendance, le pays comptait 500 médecins pour 10 millions d’habitants. La mortalité infantile y était de 180 ‰ et l’espérance de vie n’y dépassait pas 50 ans. Dès 1974, l’État instaure la gratuité des soins, ce qui élargit l’accès de la population aux services de santé. Les études médicales sont réformées, afin d’améliorer la qualité de l’enseignement et le renforcement de l’encadrement, ce qui a permis de disposer d’un grand nombre de praticiens ; des hôpitaux et des CHU sont également construits. Malgré cette politique volontariste, le système de santé publique souffre aujourd’hui de grandes disparités régionales en matière de ressources humaines. Les établissements publics sont inadaptés à l’évolution de la demande de soins et se sont considérablement paupérisés. Dans ce contexte, les médecins algériens sont nombreux à opter pour le privé ou pour l’étranger. Par ailleurs, pendant la décennie noire, des centaines de praticiens ont fui le pays, laissant un grand vide derrière eux.
Les progrès réels en matière de santé ne doivent cependant pas être occultés : le taux de mortalité infantile est estimé à 38 ‰ (contre 80 ‰ en 1984) ; l’espérance de vie est passée de 67,8 ans en 1990 à 72 ans ; et des maladies comme la rougeole et la tuberculose connaissent un recul appréciable.
SOURCES : UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE ET OMS
Ces résultats sont le fruit d’un effort humain et matériel qui s’est traduit par la multiplication des infrastructures sanitaires, totalisant plus de 70 000 lits d’hospitalisation (un lit pour 485 habitants), une augmentation du nombre de professionnels de santé (plus de 36 000 praticiens, soit un ratio d’environ un médecin pour 1 000 habitants), et un accroissement des dépenses.
Si les autorités ont beaucoup investi dans les équipements, les salaires des fonctionnaires restent très faibles et alimentent la grogne dans le secteur. En Algérie, un médecin généraliste commence sa carrière à 250 euros par mois et un spécialiste de niveau bac+12 à 450 euros (au Maroc, ils commencent à 727 euros et 910 euros, et en Tunisie à 791 euros et 935 euros). Depuis 2009, les CHU sont régulièrement paralysés par des grèves. Pour le docteur Mohamed Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique, « le système en vigueur encourage l’incompétence. Le gouvernement est en déphasage avec ses élites, qui se sentent méprisées malgré l’aisance financière du pays ».
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