L’Afrique rurale, un désert médical ?
Les médecins sont une denrée trop rare sur le continent. Spécialisation des universités, émergence de facs privées, introduction de nouvelles pédagogies : le point sur les remèdes à cette carence.
Santé : l’Afrique au banc d’essai
Du nord au sud de l’Afrique, le constat du manque de médecins est implacable : pas un pays ne remplit actuellement l’Objectif du millénaire fixé à 2,28 médecins pour 1 000 habitants. Au Maghreb, le taux est situé entre 0,6 et 1,3. La palme de la pénurie revient à la Somalie, avec un arrondi statistique à… 0 pour 1 000 !
Facteur aggravant : le nombre de diplômés en médecine demeure insuffisant pour couvrir les besoins des populations. Et la fuite de près d’un quart d’entre eux vers les pays riches n’arrange rien. La Société financière internationale estime que, dans les dix ans à venir, il faudra former 90 000 médecins en plus de ceux déjà prévus.
Où ça ? Des pôles d’excellence existent sur le continent. La faculté d’Alger a été fondée en 1879, celle de Dakar en 1957, puis celles de Rabat (1962), Abidjan (1963), Tunis (1964)… L’Afrique subsaharienne compte aujourd’hui soixante-six facultés de médecine, l’Algérie dix, la Tunisie et le Maroc quatre chacun…
S’adapter aux évolutions
« Au Maghreb, le niveau des étudiants est très proche de celui des promotions françaises, juge le docteur Fouad Kahia Tani, directeur du Centre de recherche, d’études et de documentation en économie de la santé (Credes). Seuls les bacheliers les mieux classés peuvent s’inscrire en première année. »
Au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Bénin, les ambitions académiques sont identiques, mais au Cameroun ou en RD Congo, les exigences sont parfois revues à la baisse. « Au Tchad, cela pose de réels problèmes, estime Fouad Kahia Tani. L’université admet même des étudiants qui n’ont pas eu la moyenne au bac. »
Si les généralistes sont formés au plan national, les futurs spécialistes sont parfois amenés à quitter leur pays. En Afrique de l’Ouest, Dakar sort du lot et reste attractif pour toutes les disciplines, Abidjan se distingue en rhumatologie, en cardiologie et en pédiatrie, Cotonou est une référence en anesthésie, et certains Subsahariens vont faire leurs études au Maroc. Mais les facultés ne peuvent pas se reposer sur leurs lauriers : bien que financièrement limitées, elles doivent désormais adapter leurs spécialités aux évolutions du paysage sanitaire.
Engagé dans une transition épidémiologique, le continent voit le nombre de pathologies infectieuses diminuer, tandis que les affections chroniques (maladies cardiaques, allergies…) se multiplient. Des maladies pour lesquelles trop peu d’étudiants sont formés. « La gériatrie figure par exemple parmi les spécialités quasiment absentes sur le continent », relève Fouad Kahia Tani. Notamment au Maghreb, où le vieillissement de la population induit pourtant de nouveaux besoins sur les plans neurocognitif, respiratoire et cardiaque.
La solution des formations privées
Pour l’heure, « la préoccupation des États concerne surtout la bonne répartition des généralistes sur les territoires », explique le professeur Edmond Bertrand, ancien directeur de l’Institut de cardiologie d’Abidjan. Les zones rurales ressemblent souvent à un désert médical.
En Tanzanie, une étude pilotée par le Centre for Educational Development in Health suggère d’orienter la sélection des futurs praticiens en privilégiant ceux qui iront a priori renforcer la couverture sanitaire du pays. Les chercheurs suggèrent également d’adapter les enseignements pour mieux préparer les étudiants aux conditions d’exercice rencontrées dans les régions reculées.
La réponse à la démographie médicale viendra peut-être, en partie, des formations privées qui, depuis dix ans, émergent au Sénégal, au Cameroun, au Tchad, bientôt au Mali et au Maroc. Mais l’irruption d’acteurs non étatiques pose aussi des questions, tant sur le contrôle des programmes que sur la sélection des étudiants ou la reconnaissance des diplômes. À Dakar, le titre délivré par l’école privée St. Christopher Iba Mar Diop, qui existe depuis 2003, est accrédité par l’État. Mais le montant des frais de scolarité, 30 000 euros par an en fin de cursus, restreint son accès.
Au-delà de la formation initiale, de plus en plus de coopération entre centres hospitaliers permet aux médecins diplômés de renforcer leurs connaissances. C’est le cas du programme Raft (Réseau en Afrique francophone pour la télémédecine), géré par les hôpitaux universitaires de Genève en partenariat avec l’Université numérique francophone mondiale (UNFM).
« Connectés à internet grâce à des antennes Vsat, ce sont 200 praticiens travaillant pour 50 hôpitaux qui assistent tous les jeudis à des cours en visioconférence », explique le docteur Line Kleinebreil, de l’UNFM. Toutes les sessions sont ensuite mises en ligne et constituent ainsi une précieuse base documentaire pour le corps médical. Mais la fracture, numérique pour le coup, rend ces projets encore chers et donc difficiles à reproduire pour les pays africains.
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