L’Afrique, un continent en quête d’indépendance pharmaceutique
Le continent, qui importe 80 % de ses médicaments, entend se doter de ses propres unités de production. Çà et là apparaissent des entreprises à capitaux locaux, qui misent sur la fabrication de produits non brevetés.
Santé : l’Afrique au banc d’essai
Poids lourd de l’économie mondiale, l’industrie pharmaceutique génère plus de 600 milliards d’euros par an. Et on estime déjà qu’en 2020 ce montant sera de 1 000 milliards d’euros. L’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient contribuent à ce marché à hauteur de 12 % à 15 %. Et alors que les importations de médicaments représentent 80 % du marché africain, le continent entend se doter de sa propre industrie, comme en témoigne l’émergence d’entreprises à capitaux locaux un peu partout en Afrique.
Elles se répartissent autour de deux grands pôles : l’Afrique du Nord – notamment l’Égypte, la Tunisie et le Maroc –, et l’Afrique du Sud, dont les firmes sont les plus réputées. Mais le reste du continent rattrape son retard : l’Afrique de l’Ouest compte aujourd’hui une centaine d’usines de fabrication de médicaments, l’Afrique de l’Est (Kenya, Éthiopie, Tanzanie) est également bien avancée. Et malgré la faiblesse du secteur dans cette zone, les pays d’Afrique subsaharienne francophone génèrent déjà un chiffre d’affaires pharmaceutique compris entre 360 millions et 460 millions d’euros par an.
L’exemple Maghrébin
Le continent nourrit donc ses ambitions et se fait une place sur un marché très exigeant où la sélection des produits doit être rigoureuse, le conditionnement adéquat, le stockage garanti et, enfin, la distribution optimale.
L’Afrique du Nord a donné l’exemple. D’ailleurs, Rachid Kadiri, directeur général adjoint de l’usine du marocain Sothema, peut en témoigner. Son entreprise, créée en 1976 et cotée à la Bourse de Casablanca depuis 2005, est le premier laboratoire de fabrication de médicaments sous licence du continent, avec un chiffre d’affaires annuel de 800 millions de dirhams (environ 71 millions d’euros).
« Le Maroc arrive à couvrir 70 % à 80 % de ses besoins au niveau pharmaceutique », commente-t-il. Le pays compte aujourd’hui une trentaine de laboratoires de fabrication réglementés par le ministère de la Santé. En Tunisie, la production locale de médicaments couvre la moitié de la consommation nationale (contre 7,5 % en 1987) avec, en particulier, le développement et la fabrication de médicaments génériques répondant aux normes internationales édictées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : qualité, innocuité, efficacité, pureté des ingrédients…
Au sud du Sahara, la situation diffère quelque peu. En Afrique centrale, 99 % des médicaments sont importés. Pour pallier ce problème et apporter une solution à celui de l’accessibilité des médicaments, Célestin Tawamba, à la tête du groupe agroalimentaire Cadyst Invest, a créé Cinpharm, la première usine pharmaceutique du Cameroun et la plus moderne de la région, à Maképé, dans la banlieue de Douala. Avec un capital de 11 milliards de F CFA (16,8 millions d’euros) « 100 % camerounais », cette unité de fabrication de médicaments génériques a été inaugurée en avril dernier.
Le transfert de technologie a été réalisé avec l’appui de l’indien Cipla. « Avec l’Inde, qui a apporté son savoir-faire, nous avons mis en place un contrat de partenariat gagnant-gagnant », explique Célestin Tawamba. L’objectif à long terme est de s’émanciper de ce partenariat pour acquérir une indépendance en matière de santé.
D’ailleurs, Cinpharm est « la seule plateforme au Cameroun qui offre aux étudiants une formation pratique », rappelle-t-il. L’entreprise fabriquera une soixantaine de médicaments génériques (antidouleur, antiparasitaires, antipaludéens, antirétroviraux et antituberculeux) conformes aux normes de l’OMS, c’est-à-dire commercialisables non seulement en Afrique, mais aussi dans les pays voisins.
Un secteur promis à un bel avenir
Si le rêve de Célestin Tawamba est de « faire en sorte que les gens se soignent avec moins de 1 dollar par jour », les pouvoirs publics devront nécessairement donner la priorité aux médicaments fabriqués localement pour que son initiative soit rentable. Car les entreprises à fonds locaux comme Cinpharm, qui ne produisent que des génériques, doivent faire face à une forte concurrence internationale : 70 % de ces produits sont importés d’Inde et « ne correspondent pas forcément aux standards internationaux », déplore Clive Ondari, médecin à l’OMS.
De plus, les grandes firmes asiatiques – mais aussi européennes – ne se privent pas d’implanter sur le continent des succursales qui, outre des médicaments brevetés, fabriquent aussi des génériques. « Entre 40 % et 50 % des investissements viennent d’Inde et d’Asie du Sud-Est », précise Clive Ondari.
Quoi qu’il en soit, les spécialistes s’accordent pour prédire un bel avenir à l’industrie pharmaceutique en Afrique, à condition évidemment que les gouvernements nationaux fassent de la santé leur priorité. « La politique pharmaceutique nationale doit être définie en collaboration avec l’OMS », estime le professeur Emmanuel Eben-Moussi, consultant international et auteur de L’Afrique doit se refaire une santé (L’Harmattan, 2006).
« La production locale dépend de la politique industrielle des pays, laquelle doit privilégier l’implantation d’unités locales de fabrication et ne pas favoriser les grandes firmes délocalisées », poursuit-il. C’est ce que semble avoir compris l’Algérie. Début août, le gouvernement a finalisé un projet de loi réorganisant le système de santé. Objectif prioritaire : réduire les importations de médicaments et promouvoir la production nationale. L’une des mesures pour y arriver consistera en une réduction de 50 % du taux d’impôt appliqué aux producteurs.
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