La santé, un marché comme un autre ?
Confrontée à des défis sanitaires majeurs, l’Afrique attire toujours plus d’investissements. Médicaments, formation, infrastructures…Les groupes privés jouent un rôle prépondérant dans le développement du secteur de la santé.
Santé : l’Afrique au banc d’essai
L’appel au marché conclu en juin par l’un des trois plus gros opérateurs hospitaliers sud-africains, Life Healthcare International Limited (63 hôpitaux en Afrique du Sud et au Botswana), qui a conduit à une valorisation du groupe coté sur la place de Johannesburg à 1,5 milliard d’euros, illustre l’appétence croissante des investisseurs privés pour le secteur de la santé en Afrique. Celui-ci représente, selon le cabinet d’études Merrill Lynch, les investissements les plus prometteurs derrière les infrastructures et les télécoms.
La première puissance mondiale ne s’y est d’ailleurs pas trompée : un rapport remis en 2009 par des patrons américains au président des États-Unis, Barack Obama, demande à son administration « d’étendre son soutien à l’implication du secteur privé dans la prise en charge médicale en Afrique, d’encourager les investissements dans la santé et d’élargir les programmes de santé internationaux du gouvernement ». Il y a des parts de marché à prendre : à l’horizon 2016, le marché global de la santé en Afrique sera multiplié par deux, pour atteindre quelque 35 milliards de dollars (environ 27 milliards d’euros).
Pas de limites
La présence du secteur privé est déjà une réalité : au moins la moitié de l’offre de santé en Afrique subsaharienne lui est imputable. Et malgré la méfiance du secteur public à l’évocation d’entreprises commerciales – soupçonnées de privilégier les profits au détriment du bien-être – dans le domaine de la santé, l’Afrique est loin d’être le seul continent a y avoir massivement recours : en Inde, le privé représente 80 % des services de soins ambulatoires et 60 % des soins en hospitalisation. La Chine elle-même a décidé de faire appel aux investisseurs privés pour atteindre ses objectifs en termes de santé publique (accès aux soins pour tous les Chinois).
Dans son étude « Investir dans la santé en Afrique », la Société financière internationale (SFI, bras armé de la Banque mondiale pour financer le secteur privé) évalue à 30 milliards de dollars d’ici à 2016 les besoins d’investissements et indique que les deux tiers proviendront du secteur privé. Qu’il s’agisse des infrastructures et de la fourniture de soins, de la fabrication et de la distribution de médicaments, des assurances ou encore de la formation, les entreprises commerciales seront mises à contribution dans tous les domaines.
Seules ou en partenariats – public-privé ou avec de grands bailleurs de fonds –, il n’y a pas de limites aux flux financiers. « Le monde n’a aucune chance de résoudre le problème global de la santé si nous ne pouvons pas tous travailler ensemble », assure d’ailleurs le vice-président des affaires extérieures de Merck, Jeff Sturchio. Le troisième groupe pharmaceutique mondial s’est notamment distingué lors de son partenariat avec la fondation Bill & Melinda Gates au Botswana (programme Achap, doté de 50 millions de dollars) qui a permis de réduire le taux de prévalence du VIH/sida chez les adultes de 37 % en 2002 à 24 % aujourd’hui.
Et les investisseurs peuvent attendre de substantiels revenus : les réseaux de centres de soins primaires et secondaires à but non lucratif, comme le Christian Health Association (Kenya), AAR Clinic (Éthiopie), ou encore Clinic Africa (Ouganda), affichent des chiffres d’affaires annuels allant jusqu’à 300 000 dollars par établissement, pour un investissement n’excédant pas 600 000 dollars. Et que dire des petits centres haut de gamme qui peuvent générer 10 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel pour un investissement trois fois inférieur ?
Investir dans les pme
Par ailleurs, selon le cabinet africain Performances Management Consulting (PMC), « l’intervention du secteur privé rassure et facilite la levée de fonds ». Rien d’étonnant, de fait, que la Banque africaine de développement (BAD) ait décidé d’allouer, en avril, 10 millions de dollars au Fonds d’investissement pour la santé en Afrique (Investment Fund for Health in Africa, IFHA). Basé à Maurice et soutenu par la banque Goldman Sachs et par Pfizer, le numéro un mondial de l’industrie pharmaceutique, ce fonds a pour objectif d’investir dans 15 à 25 entreprises de taille moyenne à fort potentiel de croissance, dans les domaines de l’offre pharmaceutique, de l’assurance santé, des centres de soins privés ou des laboratoires.
Illustration probante, aussi, avec le groupe français Sanofi-Aventis, qui emploie déjà 4 250 personnes sur le continent et possède six usines (Maroc, Algérie, Tunisie, Sénégal, Égypte, Afrique du Sud). Ou encore avec le fabricant de matériels GE Healthcare (branche médicale de General Electric) qui prévoit de doubler ses investissements en Afrique à travers des partenariats public-privé. Quant au laboratoire anglo-américain GlaxoSmithKline (GSK), il investira plus de 97 millions de dollars dans les dix ans.
Mais le dynamisme des privés ne doit pas cacher une certaine réalité : taux de mortalité infantile le plus élevé au monde, continent le plus touché par le sida avec 65 % des cas, et des Objectifs du millénaire pour le développement qui ne seront pas atteints à l’échéance de 2015… « D’une manière générale, le secteur privé ne se développe pas assez en concertation avec les politiques publiques », explique Philippe Renault, chargé de mission au département santé de l’Agence française du développement (AFD), qui appuie le secteur à travers notamment des prêts bonifiés directs ou via des banques locales. « Le secteur doit être mieux encadré et mieux régulé », poursuit-il. Le marché de la santé en Afrique a de quoi aiguiser l’appétit d’acteurs en recherche de croissance. Reste au continent à s’assurer qu’elle se fera dans l’intérêt de tous.
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