Alternance, alliances et transhumance

Premier pays africain à organiser une conférence nationale, en 1990, le Bénin se distingue par son échiquier politique ouvert. Regard sur vingt ans de démocratie qui ont vu se succéder alternance, alliances et transhumances.

Vue aérienne de la place de l’Étoile-Rouge, à Cotonou. © www.ccibenin.org

Vue aérienne de la place de l’Étoile-Rouge, à Cotonou. © www.ccibenin.org

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Publié le 1 septembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Bénin : Objectif 2011
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Bénin : Objectif 2011

Sommaire

Au cours des premières années de son indépendance, de 1960 à 1972, le Bénin, alors Dahomey, est considéré comme l’un des pays africains les plus instables. Les coups d’État militaires à répétition, l’occupation de l’espace politique par l’armée, la mésentente et les coups bas entre leaders deviennent la norme. Miné par le régionalisme prononcé de ces derniers, le pays trouve une formule de gouvernement inédite dans l’Afrique des années 1960 : l’instauration d’une présidence tournante à trois têtes. On croit alors que c’est le seul moyen d’apaiser les tensions régionalistes. Mais c’est un coup d’épée dans l’eau. Pire : l’expérience se termine, en octobre 1972, par un nouveau putsch de l’armée, conduit par Mathieu Kérékou (voir p.84).

L’ère Kérékou est marquée par le changement de nom du pays – qui devient République populaire du Bénin en 1975 –, la fin du système multi­partite et l’avènement d’un marxisme-léninisme tout-puissant, celui du Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB, parti unique). Désormais, aucune initiative ne peut être prise hors du cadre du PRPB. Dans son élan, Kérékou va jusqu’à interdire la pratique du vaudou. Le musellement et l’embrigadement de la population n’empêchent cependant pas quelques groupes hostiles au pouvoir de mener des actions clandestines. Au fil des années, le régime finit par s’essouffler, confronté à une contestation de la rue canalisée par les étudiants et les enseignants, touchés par la crise économique comme le reste de la population.

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Cette montée en puissance de la contestation coïncide, en 1989, avec la chute du mur de Berlin et l’exécution du président roumain Nicolae Ceausescu. Habile, ou pressé par les événements, Kérékou décide, en décembre 1989, de mettre fin au rôle dirigeant du PRPB. Il convoque les forces vives du pays afin de trouver une issue à la crise, mais va être pris à son propre jeu : les assises de février 1990, qu’il voulait consultatives, se transforment en Conférence nationale des forces vives – un modèle qui va être adopté ensuite par nombre de pays africains. Le procès du régime marxiste-léniniste moribond est implacable. Préférant l’humilité à l’arrogance, Kérékou s’incline et demande pardon au peuple béninois.

Une nouvelle ère commence : celle du renouveau démocratique. L’heure est alors à la prolifération des mouvements politiques, favorisée par le caractère non contraignant de la charte des partis, adoptée en 1990.

Des candidats indépendants

Depuis 1991, année de la première élection présidentielle post-Conférence nationale – remportée par Nicéphore Soglo (voir pp. 84-85), un technocrate nouvellement entré en politique –, la démocratie semble s’être bien implantée, et, alors que les élections législatives restent réservées aux formations politiques, le scrutin présidentiel est, lui, ouvert à tous. En presque vingt ans de « renouveau démocratique », le Bénin a connu l’alternance à plusieurs reprises : victoire de Soglo en 1991, du revenant Kérékou en 1996 (contre toute attente) et en 2001, et du président actuellement en exercice, Boni Yayi, en 2006. Curiosité béninoise : aucun de ces trois hommes n’a été élu en tant que porte-étendard d’un parti, mais plutôt grâce au regroupement de plusieurs autour de son nom.

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Si, en 1996, Soglo avait déjà avec lui la Renaissance du Bénin (RB), il lui a manqué des soutiens importants, dont celui d’Adrien Houngbédji, pour pouvoir battre Kérékou. Lequel, après avoir abandonné le marxisme-léninisme, ne s’est plus jamais réclamé d’un quelconque parti. Pas plus que Boni Yayi, qui remporte la présidentielle de 2006 en tant que candidat indépendant, sans avoir eu d’accointances particulières avec la classe politique traditionnelle. Il faut aller au Mali pour trouver un phénomène similaire, avec Amadou Toumani Touré, élu à deux reprises dans les mêmes conditions, sans appartenir, officiellement, à aucun camp.

D’une façon générale, le choix des électeurs, qualifié par certains d’« incompréhensible » et de « politiquement aberrant », est perçu comme une volonté de sanctionner des états-majors politiques jugés défaillants.

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Sans idéologie ni programme ?

À l’heure où les idéologies ont quasiment disparu, les Béninois, habitués à ce jeu, se demandent si les grands regroupements de partis autour d’une personnalité à l’occasion de la présidentielle ne sont pas qu’un opportunisme de haut vol, chacun cherchant par tous les moyens à se faire une place au soleil. Le tableau qu’en fait le chercheur béninois Djibril M. Débourou est inquiétant : « Les partis politiques appa­raissent comme des regroupements autour d’une personnalité fortunée qui polarise les énergies et fait courir les courtisans intéressés. L’absence de programme politique est la conséquence de l’absence de débats idéologiques au sein des partis. »

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le clivage Nord-Sud observé au cours de la première décennie d’indépendance est toujours en vigueur. Par conséquent, les leaders politiques, en bons fils du terroir, réalisent le plein de voix dans leurs fiefs naturels, confirmant par là même le caractère régionaliste du vote.

Souvent homme politique varie

Il est communément reproché aux hommes politiques béninois de manquer de constance et de se livrer – plus qu’ailleurs ? – à la « transhumance » : une pratique qui consiste à retourner souvent sa veste et à nouer des alliances jugées contre-nature.

La transhumance est le corollaire du débauchage auquel recourt souvent le vainqueur. Mais est-elle assimilable à un vagabondage politique, à la peur de vivre une traversée du désert ou, tout simplement, à un manque de conviction aggravé par l’appât du gain ? Elle n’a, en tout cas, épargné aucun camp, sous aucun régime, depuis 1991, dans un pays où l’on compte quelque 200 partis. C’est trop pour une population de 8 millions d’habitants, de l’avis de certains observateurs qui estiment que les motivations des fondateurs de la plupart de ces mouvements ne sont pas nobles – certains courent après la notoriété, d’autres cherchent une immunité parlementaire, etc.

Dans ces conditions, comment ne pas se demander si les partis concourent à une saine pratique de cette démocratie issue du « renouveau » de 1990 ou, au contraire, en brouillent les cartes… au détriment des programmes politiques, des débats d’idées et, donc, de l’information des électeurs.

En attendant le prochain scrutin présidentiel, qui devrait se tenir en mars 2011, la classe politique béninoise est déjà en ordre de bataille. Un consensus s’est dégagé au sein de l’opposition pour la candidature unique d’Adrien Houngbédji (voir p.91). Objectif : battre Boni Yayi, s’il se représente.

De son côté, le chef de l’État (voir pp. 86 à 88), toujours sans parti, est soutenu par une coalition de mouvements et consulte régulièrement les anciens présidents Mathieu Kérékou et Émile Derlin Zinsou. Et, s’il ne s’est pas encore déclaré, son site web affiche le slogan « Encore plus loin… ». Le face-à-face se précise. À moins qu’un trouble-fête ne vienne perturber l’échiquier.

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