B-Boy Junior, maître du hip-hop

Incroyable parcours que celui de ce Congolais devenu « le plus grand danseur de hip-hop du monde », en tournée solo internationale tout au long de 2010.

B-Boy Junior alias Buana. © Camille Milleran pour J.A.

B-Boy Junior alias Buana. © Camille Milleran pour J.A.

Publié le 26 août 2010 Lecture : 5 minutes.

« Je suis recordman du monde de tomates séchées », chantonne, hilare, B-Boy Junior. Loin d’être un mets délicat, la « tomate séchée » est en réalité une pirouette acrobatique que pratiquent, au sol, les « breakers ». Un de ces mouvements de virtuose qui impressionnent et que Junior aligne aisément. Trente-deux en une minute, c’est suffisant pour entrer dans le Livre Guinness des records. Une broutille, « un joli diplôme bien encadré », comme il le dit lui-même, qui vient s’ajouter aux nombreux titres de gloire et médailles remportés ces dix dernières années sur les différentes scènes mondiales du hip-hop.

À 29 ans, Junior, mec à la coule qui revendique son sale caractère – bien qu’il le « lave très souvent pourtant » –, est une star internationale. On lui colle l’étiquette de « plus grand danseur hip-hop du monde », une réputation dont il s’accommode mal, tant il mesure encore le chemin qui lui reste à parcourir pour maîtriser totalement son art. Modeste mais conscient de son parcours hors norme, Junior aime se remémorer son enfance : « Je suis né au Zaïre, que j’ai quitté à l’âge de 5 ans. J’ai été adopté par une famille bretonne, à Saint-Malo. » De son enfance dans la cité corsaire, entouré de ses six frères et sœurs, il retient une scolarité en dents de scie, qui l’a mené à la faculté de langues de Rennes – « Je me destinais à un Deug d’anglais mais, au bout de six mois, j’ai lâché l’affaire » – et, surtout, ses sorties, avec son crew, ses potes de danse. « À Saint-Malo, l’été, on dansait sur les remparts devant les touristes pour se faire de l’argent de poche ; ça marchait plutôt bien pour nous. À 16 ans, on a découvert le hip-hop à travers les clips… C’était une révélation en même temps qu’un nouveau kif ! »

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Rapidement à l’étroit dans la cité malouine, et fort du « Breizh Battle » remporté en 1999, Junior prend un aller simple Rennes-Paris, laissant derrière lui fac d’anglais, chambre d’étudiant et parents inquiets de voir le fiston s’embarquer dans une carrière de danseur. « À ce moment-là, mes parents auraient préféré que je leur annonce mon envie d’embrasser une carrière de footballeur à défaut de continuer la fac, mais, pour moi, c’était le hip-hop et rien d’autre », se souvient l’artiste. À l’aise dans la Ville Lumière, il peaufine son style tout en découvrant d’autres univers chorégraphiques : « Je ne peux pas affirmer tout de go aimer la danse classique ou contemporaine, mais je suis sensible à l’engagement corporel de ceux qui pratiquent ces styles. Je mesure les efforts physiques que cela engage, tout en appréciant la beauté du geste. »

En intégrant le très réputé Wanted Posse, compagnie professionnelle de break dance, Junior part à la conquête du monde. Les cachets se multiplient et la renommée va grandissant, jusqu’à une exposition médiatique inespérée : le jeu télévisé de la chaîne M6, Incroyable Talent, qu’il remporte en 2007. Là encore le sage breaker prend énormément de recul face à cette soudaine notoriété que lui offre, sur un plateau d’argent, la petite lucarne. « Je suis quelqu’un de très casanier. Être avec mes amis, tranquille, c’est vraiment ce que j’aime le plus. Me retrouver dans le milieu du show-biz, même si cela ne m’était pas étranger avant Incroyable Talent, ne m’a jamais grisé. Disons que c’est comme l’alcool, il ne faut pas en abuser ! »

Loin de l’aveuglement des paillettes, Junior a aujourd’hui un objectif précis : renouer avec ses origines pour mieux combattre ses démons. Un premier retour en RD Congo, en 2008, lui a permis d’établir de fragiles connexions avec sa famille biologique, notamment sa mère. Un processus long et douloureux s’enclenche, inéluctablement, jusqu’au grand saut : une résidence de plusieurs mois au Centre culturel français de Kin­shasa, d’où sortira son premier solo, Buana Ttitude.

« Créer seul ce solo, séparé pour la première fois de mon crew, fut une véritable thérapie. J’y aborde des pans entiers de mon histoire personnelle. Aidé d’Olivier Lefrançois, mon metteur en scène, je me suis révélé. Je lui ai confié toutes mes impressions recueillies après ce long séjour en RD Congo, puis nous les avons mises en mouvement. Les mots, les gestes : tout transpire mon histoire. »

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Touchante confession d’un jeune homme de retour dans son pays natal, Junior expose dans Buana Ttitude sa vision de l’Afrique, de la danse, de sa condition d’enfant adopté, mais aussi de handicapé d’une jambe qui le contraint, depuis son plus jeune âge, à un fort boitement qui ne l’a jamais empêché d’atteindre l’excellence. Il souligne d’ailleurs que les regards – jamais compatissants – du milieu du hip-hop et du public ont su exorciser le rapport complexe qu’il entretenait avec sa claudication. « Qu’importe votre culture, votre physique, vos origines… Dans le hip-hop on vous juge sur vos réelles compétences, ce qui est une bouffée d’oxygène dans une France qui aime vous étiqueter, voire vous stigmatiser », assène Junior.

Pourquoi le titre Buana Ttitude ? « Je me faisais appeler ainsi notamment quand je faisais, adolescent, des canulars au téléphone avec mes amis. Il y a un côté péjoratif dans ce surnom. Un côté “Y’a bon Banania”. Je l’ai certainement choisi pour jouer de cette image du bon petit Black débarqué chez les Blancs, mais récemment j’ai découvert que “buana” signifie “le maître” en swahili, au sens de “gentilhomme”, celui qui sait se contrôler. »

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Maître du hip-hop, pas de doute, et très prochainement du streetwear puisque le jeune artiste chorégraphe s’apprête à lancer sa ligne de vêtement siglée Buana, à la demande expresse de ses fans, qui s’impatientent de revêtir des baggys signés par leur idole. Une voie parallèle à la danse, que Junior n’entend pourtant pas lâcher de sitôt, malgré les doutes qui l’assaillent : « J’ai tellement de chemin à parcourir dans le hip-hop… Le jour où je serai chorégraphe, à la tête d’une compagnie de danseurs comme Kader Attou ou Mourad Merzouki, ce sera une vraie consécration. Pour l’instant, je débute. Progresser, enseigner, voyager avec ma danse, voilà ce qui me motive aujourd’hui. » Voyager justement : son Buana Ttitude va l’emmener aux quatre coins du monde pendant toute l’année 2010. Pour celui qui ne tient pas en place, c’est une vraie aubaine. « Et que ceux qui m’aiment me suivent… Ce ne sera pas dur : je ne cours pas vite ! » lâche, taquin, cet étonnant champion.

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