Où s’arrêtera la Ligue du Nord ?
La rupture entre Silvio Berlusconi et Gianfranco Fini le président du Parlement, est une aubaine pour le très xénophobe parti d’Umberto Bossi. Dernier allié du président du Conseil, celui-ci peut d’autant plus aisément faire monter les enchères qu’il a le vent en poupe dans les sondages.
Depuis que Gianfranco Fini a rompu leur alliance et fondé un groupe autonome rattaché à la majorité, Silvio Berlusconi n’est plus assuré de disposer d’une majorité automatique au Parlement. Le coup est rude pour l’exécutif, déjà affaibli par les démissions de deux ministres et d’un sous-secrétaire d’État, tous impliqués dans des affaires de corruption. Mais plus encore pour Il Cavaliere, dont la cote de popularité s’effondre : 39 % d’opinions favorables, selon un sondage publié fin juillet.
Cette désaffection est largement liée à l’adoption de la cure de rigueur imposée par Bruxelles après la crise grecque. Pour le président du Conseil, la situation est d’autant plus embarrassante que la Ligue du Nord, son encombrant mais indispensable allié, commence à s’interroger. Non sur sa fidélité, toujours acquise à en croire les cadres du parti, mais sur la marge de manœuvre de l’exécutif, à long terme. « Dans le contexte actuel, nous pouvons difficilement aller de l’avant », a récemment déploré Umberto Bossi, le fondateur et grand patron du parti. En fait, l’analyse de la Ligue du Nord se résume à un seul dossier : les retombées de l’affaire Giacomo Caliendo.
Trafic d’influence
Le 4 août, le Parlement a rejeté de justesse une motion de censure présentée par l’opposition visant le sous-secrétaire d’État à la Justice, impliqué dans une affaire de trafic d’influence. Avant le vote, les trente-trois députés « finiens » s’étaient entendus avec les centristes pour s’abstenir. L’idée était de faire entendre au chef du gouvernement que le temps des décisions complaisantes était révolu et que, pour rester en selle, il devra désormais composer avec l’ensemble de sa majorité. « Nous soutiendrons le gouvernement, mais pas dans le cadre de lois injustes ou contraires à l’intérêt public », avait souligné Fini, quelques jours auparavant. Une attitude inacceptable pour la Ligue du Nord, qui dénonce une mise sous tutelle du gouvernement.
Désormais, tous les scénarios sont envisageables. Pour la Ligue du Nord, l’essentiel semble être de sauver la réforme sur le fédéralisme, menacée de passer à la trappe. Les dissidents de la majorité n’ont-ils pas déjà demandé une révision des conditions de l’introduction du fédéralisme ? Du coup, les cadres de la Ligue se disent prêts à affronter rapidement, sans attendre la fin de la législature (en 2013), le verdict des urnes. Cette solution permettrait – en cas, bien sûr, de victoire électorale – de couper l’herbe sous le pied des dissidents. Lesquels n’ont, à l’inverse, aucun intérêt à précipiter les choses. « Les centristes, Fini et plusieurs personnalités du monde de l’industrie et de la finance sont en train de constituer un troisième pôle moderne et libéral pour battre le Cavaliere aux prochaines législatives. Mais, pour cela, ils ont besoin de temps », analyse Achille Occhetto, qui fut le dernier secrétaire général du Parti communiste italien (1988-1991).
« Si le gouvernement se contente de vivoter jusqu’en 2013 sans appliquer les réformes libérales promises il y a deux ans, soit les Italiens ne voteront pas, soit ils se tourneront vers l’opposition », estime pour sa part Flavio Tosi, maire de Vérone et étoile montante de la Ligue du Nord. Avec un taux de popularité estimé à 11,5 % en avril dernier et un trend de croissance stable, ce parti ne peut prendre le risque de ruiner son capital politique en maintenant au pouvoir un gouvernement affaibli, sinon paralysé. D’autant que, selon l’institut de sondage IPR Marketing, des élections anticipées auraient toutes les chances de lui être favorables…
Percée en Toscane
Fondée en 1989 dans l’arrière-boutique d’un bar de province, la Ligue est désormais une valeur sûre de la scène politique italienne. Et pas uniquement dans le nord du pays. À preuve, la percée réalisée aux élections régionales en Toscane et dans les Marches, deux régions traditionnellement à gauche, où elle a réalisé des scores avoisinant 6 %.
À l’origine de ce succès, la stratégie mise en œuvre par les nouveaux cadres du parti, très éloignée des discours à l’emporte-pièce des dirigeants « historiques ». Principaux éléments de cette stratégie : l’immigration et la sécurité, bien sûr, mais aussi la gestion des finances publiques, l’introduction du fédéralisme étant censée mettre un terme à la gabegie supposée de l’État centralisé. Ou encore, la révision des relations avec l’Union européenne et la défense de l’identité nationale par le biais notamment de l’enseignement des dialectes dans les écoles, afin « d’éviter la disparition inacceptable des spécificités locales », comme dit Luca Zaia, nouveau gouverneur de la Vénétie.
« La Ligue du Nord est devenue incontournable », nous confiait récemment Matteo Bragantini, un de ses députés. Sans doute, mais, avant d’en arriver là, le parti a eu fort à faire pour faire oublier sa trahison de 1994, quand, au nom de la « morale », il avait froidement lâché Berlusconi, qui venait d’être mis en examen pour corruption. Alors qu’il recevait le couple Clinton dans le cadre d’un G8, à Naples, ce dernier avait été contraint de démissionner. Au cours des mois suivants, la Ligue avait multiplié les attaques virulentes contre le Cavaliere, allant jusqu’à l’accuser de collusion avec la mafia. Avec le temps, la page a fini par être tournée…
Aujourd’hui, la Ligue compte 261 maires, contrôle 6 provinces et dispose de 9 députés européens, Elle est fort bien implantée dans tout le nord du pays grâce à quelques figures de proue comme Flavio Tosi, le « maire-shérif » de Vérone, ou Matteo Bragantini, en Vénétie. Elle peut en outre compter sur des centaines de secrétaires de section, inconnus du grand public mais très actifs, qui frappent méthodiquement à toutes les portes, visitent les marchés et tiennent d’innombrables réunions publiques. L’idée est toujours la même : basta avec l’immigration, l’Europe technocratique, les impôts qui ruinent le Nord et ne profitent qu’aux « bouseux du Sud » et ces opposants qui s’obstinent à ne pas comprendre que la Ligue du Nord est synonyme de bien-être pour tous. À Vérone, la population paraît avoir parfaitement intégré le raisonnement puisqu’en mai 2007 Tosi y a été élu avec 60,7 % des suffrages.
Ce dernier administre sa ville d’une main de fer. Au lendemain de son élection, il a organisé en fanfare l’expulsion des Roms installés dans la banlieue. Les bulldozers municipaux ont complété l’opération en rasant le campement sous le regard des télévisions convoquées pour l’occasion. Condamné par la justice pour incitation à la haine raciale, Flavio Tosi se défend bec et ongles : « Nous voulons seulement faire comprendre qu’il existe des lois et que Vérone n’est pas le Far West », dit-il.
« White Christmas »
Dans la petite ville de Turate, dans la province de Côme, en Lombardie, le maire a carrément ouvert un bureau de délation. « Nous ne disposons que de trois agents pour neuf mille habitants, explique Ambrogio Carioni, le maire. Alors nous avons demandé à nos concitoyens de nous aider à débusquer les clandestins, avec modération toutefois. » À Coccaglio, toujours en Lombardie, Franco Claretti a monté une invraisemblable opération baptisée « White Christmas ». L’idée était de fêter Noël en contrôlant systématiquement les immigrés afin de chasser les clandestins. « Ce n’est pas une question de racisme. Des opérations semblables ont été organisées dans d’autres villes et sont passées inaperçues », plaide Roberto Maroni, numéro deux du parti et ministre de l’Intérieur.
Face aux sévères condamnations du Vatican et de l’opposition, le parti a peu à peu mis une sourdine à ses excès xénophobes et s’efforce désormais de mettre l’accent sur les dossiers économiques et sociaux. Apparemment, ça marche. Alors que l’Italie s’apprête à reprendre avant l’heure le chemin des urnes, la victoire de la Ligue du Nord se profile à l’horizon.
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