Lula, le sauveur

À la fin de l’année, il arrivera au terme de son second mandat à la tête de l’État. En moins de huit ans, l’ancien syndicaliste aura presque réussi à faire de son pays une grande puissance. Sacré bilan !

À Buenos Aires, le 25 mai, pour le 200e anniversaire de la révolution de mai. © Marcos Brindicci/Reuters

À Buenos Aires, le 25 mai, pour le 200e anniversaire de la révolution de mai. © Marcos Brindicci/Reuters

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 25 août 2010 Lecture : 6 minutes.

Que manque-t-il à l’hagio­graphie du président brésilien, Luiz Inácio da Silva, dit Lula, qui quittera le pouvoir à la fin de cette année ? Deux institutions de l’ONU, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), viennent de le couronner « champion de la lutte contre la faim ». Son alter ego Barack Obama l’a qualifié d’homme « le plus populaire de la planète », et Greenpeace estime qu’il « peut être fier » de son action contre la déforestation. En 2014, son pays organisera la Coupe du monde de football et, en 2016, les Jeux olympiques. Les appuie-têtes des sièges des avions de la compagnie domestique TAM clament que l’économie brésilienne passera de la dixième à la cinquième place mondiale d’ici à 2016. Et 80% de ses compatriotes plébiscitent son action.

Bref, le petit cireur de chaussures analphabète jusqu’à l’âge de 10 ans, le syndicaliste charismatique qui occupe depuis le 1er janvier 2003 le Palais du Planalto, l’Élysée brésilien, est en passe d’être statufié de son vivant.

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Lle frein de la ferrari

À vrai dire, son règne se scinde en deux parties très différentes, qui correspondent à ses deux mandats. Élu avec 61,3% des suffrages et 52 millions de voix en octobre 2002, il vit un premier mandat complexe et surprend tout le monde en pratiquant une politique économique et financière d’une totale orthodoxie. Lui qui, dans les meetings, hurlait « le FMI dehors ! » et demandait la suspension du remboursement de la dette de son pays fait tout le contraire : il applique à son pays une « potion amère » en limitant la hausse du salaire minimum et en mettant en sourdine le programme « faim zéro », qui avait été son slogan de campagne.

En 2005, il rembourse par anticipation la dette extérieure, pratique le taux d’intérêt le plus élevé du monde pour juguler l’inflation et fait mieux que ce que lui demande le FMI en matière d’excédent budgétaire. Résultat : le cours du real remonte, les capitaux reviennent, mais le taux de croissance plafonne à 3%. Lula cherche désespérément à « desserrer le frein de la Ferrari » qu’est le Brésil.

Politiquement, la réussite n’est pas au rendez-vous. Déçus par ses choix « libéraux », les militants les plus à gauche quittent son Parti des travailleurs (PT). En 2005 et en 2006, Lula vacille dans les sondages et se voit contraint de se séparer de proches collaborateurs compromis dans des affaires de corruption.

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En octobre 2006, il est pourtant réélu avec 60,83% des suffrages et 58 millions de voix. Il ne va pas tarder à faire mentir la boutade attribuée à Georges Clemenceau (1841-1929), qui voyait dans le Brésil « un pays d’avenir… et qui le restera longtemps ». Celui-ci devient l’un des chouchous des investisseurs internationaux. Le tsunami de la crise se réduit ici à une « vaguelette » (– 0,2% en 2009), comme le souligne Lula à l’envi. Puis la croissance repart à un train d’enfer – grâce à la Chine et aux exportations de matières premières – pour culminer à + 9,8% au premier trimestre de cette année.

Le pari fait par Lula de l’agro-industrie paie. Il a certes un peu oublié les paysans sans terre, mais le Brésil est devenu « la ferme » du monde. Son excédent commercial repose sur le soja, le poulet, le bœuf ou le jus d’orange, dont il est à chaque fois le premier producteur mondial. Un tiers du produit intérieur brut du pays est d’origine agricole.

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Culture de soja, près de Bahia : l’agroalimentaire,
clé du miracle brésilien.
(Paulo Whitaker/Reuters)

Il vole de succès en succès. En 2008, pour la première fois depuis deux siècles, le Brésil devient créditeur et se voit reconnaître la qualité de « pays sûr » par les agences de notation. Un « moment magique », dit-il. En 2009, il contribue pour 4,5 milliards de dollars à l’amélioration des réserves du FMI. Commentaire : « Prêter au FMI, n’est-ce pas du dernier chic ? » Au large des côtes brésiliennes, les géologues découvrent un gisement d’hydrocarbures à 7 000 m sous la surface de l’océan : « Dieu est brésilien ! » s’exclame le président.

Tout, sauf un caudillo

Grâce notamment à la bolsa família, cette aide publique qui permet aux familles pauvres de doubler leurs revenus dès lors qu’elles envoient leurs enfants à l’école et les font vacciner, le pourcentage des Brésiliens vivant sous le seuil de pauvreté tombe de 45% en 2001 à 24% en 2007. La malnutrition recule de 70% et la mortalité infantile de 47%.

En 2009, il refuse de modifier la Constitution pour pouvoir se présenter une troisième fois à la présidentielle, comme l’y invite certains de ses amis. Il ne se voit pas en caudillo et répond que « le changement de président est important pour la démocratie ». Pour atteindre ses deux objectifs – « tirer le peuple de la merde où il se trouve » et « changer la géographie économique et politique du monde » –, Lula pratique un équilibrisme réformiste inédit à la tête d’une coalition de vingt et un partis. « C’est l’un des hommes politiques les plus intelligents du monde », reconnaît son adversaire Rubens Ricupero, un ancien ministre des Finances. De fait, il met en œuvre une sorte de gauchisme responsable. Il tient un discours de centre gauche, mais mène une politique de centre droit. Ce qui lui vaut d’être applaudi partout (du Forum social mondial de Porto Alegre au Forum économique mondial de Davos) et par tous (de George W. Bush à Mahmoud Ahmadinejad).

Lula joue la carte du Sud et, surtout, de l’Afrique, où il s’est rendu à douze reprises. Quatre-vingts millions de Brésiliens ne sont-ils pas d’origine africaine ? Il y mêle les affaires (les exportations brésiliennes vers ce continent ont quintuplé sous son règne) et l’aide au développement. Par ailleurs, il pratique un activisme international forcené, ouvre trente-cinq ambassades, visite l’Iran, refuse de voter les sanctions contre la Corée du Nord, sabote le marché commun panaméricain voulu par Bush et renforce le Mercosur, le marché commun sud-américain. Son objectif : faire reconnaître son pays comme un « grand », digne de figurer parmi les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et de peser lourd au FMI comme à la Banque mondiale. La substitution du G20 au G8 est à mettre à son actif.

« Métamorphose ambulante »

C’est un négociateur hors pair qui, à la différence d’un Hugo Chávez, peut faire condamner les États-Unis à l’OMC pour leurs subventions cotonnières, dénoncer « les blonds aux yeux bleus » qui ont déclenché la crise ou soutenir le régime castriste sans se fâcher avec personne. Il tente même de s’entremettre pour éviter des sanctions à l’Iran ou pour rapprocher Palestiniens et Israéliens.

Exemple de la mobilité tactique de celui qui se présente comme « une métamorphose ambulante » : en bloquant les plantations de palmiers en Amazonie, il fait d’une pierre deux coups. D’une part, il coupe l’herbe sous le pied de Marina Silva, son ancienne ministre de l’Environnement, qui se présente à la présidentielle contre Dilma Roussef, sa candidate. De l’autre, il crée les conditions pour obtenir les certifications ouvrant aux produits agricoles brésiliens les portes des pays soucieux de l’environnement.

Pourtant, le « Père des pauvres » n’a pas tout réussi. Ainsi, les centaines de milliards de dollars de ses « programmes d’accélération de la croissance » ne produisent que très lentement leurs effets. Seules 2% des routes sont asphaltées et 17% des foyers ne disposent pas d’eau potable, notamment dans les quelque mille favelas que compte Rio de Janeiro. Le transport aérien est chaotique et les transports collectifs inexistants. Les gangs tiennent le haut du pavé dans de nombreuses métropoles où la sécurité est très loin d’être assurée. Enfin, Lula n’a rien fait pour réformer le système politique, qui atomise les partis et les contraint à des négociations sans fin – voire à des pratiques corruptrices – avec de minuscules formations dont les voix sont indispensables pour gouverner.

Quel sera l’avenir de celui qui a presque métamorphosé son pays en grande puissance ? Secrétaire général de l’ONU ? Mais il ne parle que le brésilien. Responsable de la FAO ou d’une grande ONG ? Permanent d’un G20 enfin institutionnalisé ? Ou simplement candidat à la présidentielle brésilienne de 2014 ? Il n’aura alors que 69 ans…

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Le président Lula da Silva et son homologue sud-africain Jacob Zuma, lors d’un précédent voyage. © Archive/AFP

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