Algérie : le secteur privé explose

Presque inexistant il y a vingt ans, le secteur privé explose malgré les pesanteurs administratives. Et les patrons demandent encore un effort d’assouplissement au gouvernement.

Spécialisé initialement dans la transformation de blé, SIM a su se diversifier, notamment dans les eaux minérales. © Samir Sid

Spécialisé initialement dans la transformation de blé, SIM a su se diversifier, notamment dans les eaux minérales. © Samir Sid

Publié le 3 juin 2013 Lecture : 7 minutes.

Seule entreprise privée cotée à la Bourse d’Alger, Alliance Assurances n’existait pas il y a dix ans. Le centre d’affaires Al Qods de Chéraga, qui accueille dans la banlieue algéroise l’équipe dirigeante de la société, non plus. « Le secteur privé était le parent pauvre de la politique économique antérieure », se rappelle son PDG, Hassen Khelifati, qui ajoute aussitôt : « Il commence maintenant à faire sa place. » Malgré son jeune âge, la compagnie d’assurances revendique 5 % de part de marché au niveau national et vise les 10 % d’ici à 2015.

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Comme elle, et malgré les maux d’une économie droguée aux fonds publics et au pétrole, toute une série d’entreprises ont émergé au cours de la dernière décennie, portées par une génération d’entrepreneurs quadragénaires. Toufik Lerari (36 ans) et Lakhdar Marhoun Rougab (27 ans) font également partie de ceux-là. Allégorie, leur agence de conseil en communication, emploie trois ans après sa création une quarantaine de collaborateurs, et ses locaux situés dans le quartier des ambassades et des universités de Ben Aknoun, à Alger, n’ont rien à envier à ceux de ses consoeurs parisiennes en termes d’équipements.

Laïd Benamor : « Nous constatons une volonté et un dynamisme remarquable des investisseurs privés »

Spécialisé dans l’agroalimentaire (conserverie alimentaire, production de pâtes, de semoule et de couscous), le groupe familial Benamor figure parmi les plus grandes entreprises privées algériennes, avec un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros en 2011. Fort de ses résultats, le groupe a fait son entrée à la 433 ème place du classement exclusif des 500 premières entreprises du continent réalisé par Jeune Afrique. Le fils du défunt fondateur et actuel PDG du groupe, Laïd Benamor, livre son témoignage sur les conditions du secteur privé algérien.Le groupe familial figure parmi les plus grandes entreprises privées algériennes. Laïd Benamor, actuel PDG du groupe, livre à Jeune Afrique son témoignage sur les conditions du secteur privé algérien.

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Les statistiques officielles confirment ce boom. Avec les mesures de libéralisation initiées au milieu des années 1990 et poursuivies au cours des années 2000, le secteur privé dépasse désormais largement le secteur public, comme l’atteste un recensement économique effectué en 2011 par l’Office national des statistiques. L’Algérie dénombrait alors 934 316 entreprises privées, soit 98 % des entités économiques du pays ! Certes, 89 % d’entre elles sont concentrées dans les activités commerciales et de services, qui en général requièrent peu de capital et de main-d’oeuvre. Mais, preuve d’un réel dynamisme, plus des trois quarts de ces sociétés privées ont vu le jour entre 2000 et 2011. L’année dernière, plus de 181 000 entreprises ont été créées, d’après le Centre national du registre du commerce. Et deux actifs algériens sur trois travaillent désormais dans le secteur privé.

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« Le groupe SIM connaît beaucoup moins de contraintes qu’auparavant. Depuis les années 1990, l’Algérie a fait de grands pas », se félicite Abdelkader Taïeb Ezzraïmi. Le PDG du groupe agro-industriel fait partie de ces patrons « heureux » du secteur privé algérien. Un discours dont on ne sait pas clairement s’il est sincère ou forcé, tant l’État peut faire ou défaire les fortunes. Car l’Algérie n’est assurément pas le plus simple des pays pour les entrepreneurs privés. Procédures réglementaires longues et lourdes, rareté et cherté du foncier rendant difficiles les implantations d’unités de production, permis de construire octroyés selon le bon vouloir des fonctionnaires, garanties bancaires trop élevées… On ne sait lequel de ces maux est le pire.

« Un désastre »

Beaucoup de patrons ont en tout cas en ligne de mire la loi de finances de 2009 qui, pour limiter les importations (sans d’ailleurs y être parvenue), a instauré la règle des 51/49 régissant les investissements étrangers (cf. encadré ci-dessous), l’obligation de recourir aux crédits documentaires pour les activités d’import-export et des exigences fiscales accrues. « Cette loi a été un désastre pour l’économie. Aucune étude d’impact de cette décision n’a été faite en amont, ni de ses résultats par la suite. L’Algérie doit revoir sa copie », estime Slim Othmani, président du conseil d’administration de NCA-Rouiba (60 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012).

Premier groupe privé et champion de l'agroalimentaire, Cevital est aussi présent dans la distribution, les matériaux de construction, etc. © Omar SefouaneQuels sont les secteurs porteurs

Hormis le tertiaire, c’est dans l’agroalimentaire que le privé algérien s’est taillé la part du lion, comme l’illustre la réussite de Cevital, premier groupe privé du pays, avec un chiffre d’affaires (CA) de 2,6 milliards d’euros en 2012. Benamor, producteur de conserves de tomates, de pâtes alimentaires et de couscous, monte en puissance, avec des projets de boulangeries industrielles et d’unités de transformation de céréales. SIM, spécialisé initialement dans la transformation de blé, a su diversifier ses activités, notamment dans les eaux minérales, les jus et les conserves. Les revenus de ces groupes se chiffrent en centaines de millions d’euros.

Dans le secteur de la construction, quelques entreprises privées ont également fleuri, profitant des besoins énormes du pays en matière de logements et d’infrastructures. ETRHB Haddad (400 millions d’euros de CA 2011) est particulièrement actif. La promotion immobilière, avec Arcofina et Eden, ou encore la santé, avec Biopharm (300 millions d’euros de CA 2011), sont également des secteurs porteurs.

L’encadrement drastique des investissements à l’étranger par la Banque d’Algérie rend de surcroît extrêmement compliqué le développement de véritables champions régionaux algériens. Pour Issad Rebrab, patron de Cevital, qui souhaite investir en Afrique et en Europe, il est désormais plus compliqué de réfléchir à la manière de se projeter en dehors des frontières algériennes que de trouver de bonnes opportunités d’investissement ! « Le climat des affaires est hostile », déplorait récemment le patron algérien.

Un constat partagé par de nombreux experts et chefs d’entreprise. Pour le Mauritanien Zeine Ould Zeidane, chef de mission pour l’Algérie au Fonds monétaire international (FMI), « la promotion du secteur privé est nécessaire. Cela passe par une amélioration du climat des affaires et une simplification des procédures administratives ». Et d’ajouter, alors qu’un comité chargé de fluidifier le climat des affaires a été mis en place au mois de mars : « L’Algérie devrait avoir pour ambition d’être dans les 40 premiers du classement « Doing Business », au lieu de sa 152e place. »

Bouchées doubles

Les différentes organisations patronales saluent la prise de conscience du gouvernement d’Abdelmalek Sellal, entré en fonction en septembre 2012, qui donne l’impression de mettre les bouchées doubles avec certaines mesures d’assouplissement inscrites dans la loi de finances de 2013, comme les procédures de dédouanement. Autre progrès : les autorisations sont désormais obligatoires pour tout investissement supérieur à 15 millions d’euros, contre 5 millions d’euros seulement auparavant. « Il y a une volonté affichée de changement de la part du gouvernement, mais je m’interroge sur la capacité à réformer, tempère Slim Othmani. L’exécution des mesures est longue et complexe, car l’Algérie est surbureaucratisée. »

Cliquez sur l'image.Nassim Kerdjoudj, PDG de Net-Skills et vice-président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), a sa solution : « L’empilement successif des lois et mesures de correction des politiques économiques a fait prendre un poids considérable à l’administration, qui est devenue au fil du temps une sorte de citadelle imprenable. C’est un risque réel à moyen terme pour le pays. La création d’un ministère ou d’une agence de « débureaucratisation » serait une bonne solution. »

La culture entrepreneuriale, elle, reste faible, et le secteur privé est toujours perçu avec une certaine méfiance. Les scandales de détournements de fonds tels que l’affaire Khalifa y sont pour quelque chose, mais le problème est plus large. « Il n’y a pas encore de culture d’investissement privé chez nous », insiste Abdelmadjid Mesbah, enseignant à l’École des hautes études commerciales d’Alger (HEC Alger), qui conclut : « Il est difficile de perdre l’habitude d’une économie administrée. »

La règles des 51 / 49 est trop rigide !

La loi qui interdit aux étrangers d’être majoritaires dans une société n’a pas causé une chute des investissements. Mais des aménagements seraient appréciés.

Instaurée par la loi de finances complémentaire en juillet 2009 pour limiter à 49 % la part du capital des investisseurs étrangers dans une société algérienne, la règle des 51/49 n’a pas eu d’incidences importantes sur les flux d’investissements directs étrangers (IDE). Ainsi, d’après des chiffres compilés par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), les IDE ont presque retrouvé en 2011 (2 milliards d’euros) leur niveau de 2009 et restent nettement au-dessus des 913 millions d’euros de 2005. « Les investisseurs semblent s’être adaptés » à cette règle, souligne une étude publiée en mars par Anima, un réseau d’observation de l’espace économique en Méditerranée, qui estime que l’intérêt pour l’Algérie a encore progressé en 2012. Plus souple qu’on le croit, la loi permet aux entreprises étrangères de détenir les fonctions managériales et de limiter l’influence de leurs partenaires algériens en en prenant plusieurs.

Radical

Mise en place pour protéger les entreprises locales, la réforme n’a pourtant pas profité à tous. Les firmes étrangères, à l’instar des français Alstom ou Renault, semblent avoir privilégié des partenariats avec des entreprises publiques. Résultat : les patrons du privé restent nombreux à critiquer la rigidité de la loi, qui s’applique à tous les secteurs de l’économie, sans exception. Le Forum des chefs d’entreprise (FCE) souhaite ainsi un assouplissement pour que les investissements soient libéralisés dans les secteurs non stratégiques pour l’économie nationale. Plus radical, le Fonds monétaire international (FMI) recommande son abrogation pure et simple. « La révision de la règle du 51/49 permettrait au pays de s’ouvrir sur l’extérieur et de bénéficier de transferts de technologie, de savoir-faire, de bonne gouvernance, de gestion… Cette règle augmente le poids du secteur public », estime Zeine Ould Zeidane, chef de mission pour l’Algérie au FMI. R.B.

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