Bac : promotion galère

Du choix de la filière pédagogique aux formalités administratives, l’inscription à l’université est un véritable chemin de croix pour les nouveaux bacheliers, dont le nombre a littéralement explosé.

Deux bacheliers sur trois sont des bachelières, ce qui préfigure une féminisation de l’élite. © Louiza Ammi

Deux bacheliers sur trois sont des bachelières, ce qui préfigure une féminisation de l’élite. © Louiza Ammi

Publié le 31 août 2010 Lecture : 4 minutes.

Du jamais vu depuis l’indépendance : sur trois candidats au baccalauréat, deux ont obtenu leur sésame pour l’université, soit un taux de réussite de 61%. Mieux : sur trois nouveaux bacheliers, deux sont des bachelières. Une tendance apparue ces dernières années et qui préfigure une plus grande féminisation de l’élite. Selon Abou Bakr Benbouzid, ministre de l’Éducation nationale, « il n’y a pas de secret, les réformes introduites dans le système éducatif en 2003 portent leurs premiers fruits ».

En deux décennies, les demandes d’inscription à l’université ont augmenté de près de 400 %, passant de 45 000 en 1990 à 212 500 en 2010. Les structures de l’enseignement supérieur se sont-elles préparées à ce grand rush ? « Sans l’ombre d’un doute, affirme Noureddine Kheraïfia, chargé d’études et de synthèse au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. En 2009, l’université algérienne a formé 186 000 diplômés, qui devraient libérer autant de places pédagogiques et de lits dans les cités universitaires. Nous avons enregistré la livraison de nombreuses nouvelles infrastructures, dont l’université de Saïda, à l’ouest, celle d’El-Affroun, au centre, ou encore celle de Jijel, à 300 km à l’est de la capitale. Quant aux capacités d’hébergement des 54 cités universitaires du pays, elles ont augmenté de près de 74 000 lits pour la rentrée 2010-2011. En matière de transport des étudiants, chaque université a signé des conventions avec des entreprises locales de transport collectif pour assurer les déplacements à des prix défiant toute concurrence. » Il est vrai que les tarifs pratiqués sont quasi symboliques. Là où un usager ordinaire des transports collectifs paie sa place 10 dinars (0,10 euro), il en coûtera vingt fois moins à l’étudiant (0,50 dinar). Mais, pour l’heure, les préoccupations du nouveau bachelier sont ailleurs que dans les problèmes de transport ou d’hébergement.

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Orienté… par un logiciel

L’université algérienne propose quelque 2 500 filières pédagogiques aux nouveaux bacheliers. Ces derniers sont soumis à une préinscription par voie électronique dès la réception de leur attestation de succès accompagnée de leur relevé de notes. Au cours de cette procédure, entamée le 18 juillet, le nouveau bachelier est tenu de consulter les sites web créés spécialement pour l’orientation pédagogique et de créer un compte e-mail afin d’être informé, en temps réel, du traitement de son dossier. Toutes les filières y sont détaillées, avec les conditions pour y accéder, en fonction des moyennes obtenues, de la répartition géographique et des places disponibles. Au cours de la préinscription, le postulant dresse une liste de dix filières choisies par ordre de priorité. Chaque postulant dispose d’un numéro d’inscription et d’un code personnel (mot de passe) pour éviter toute intervention extérieure dans l’élaboration de la fiche de vœux. Une fois celle-ci confirmée par un second envoi, un logiciel réalisé par l’École supérieure d’informatique (ESI) traite les demandes en fonction des disponibilités et des notes obtenues. Un centre de traitement animé par une dizaine d’ingénieurs en informatique travaille 24 heures sur 24 pour passer au crible les 212 500 dossiers. Onze jours plus tard, soit le 29 juillet, l’administration a rendu publics les résultats, et chaque bachelier a reçu, dans sa boîte de courrier électronique, son bulletin d’affectation. Si celui-ci ne lui convient pas, il dispose d’un droit de recours, mais il a très peu de chances d’obtenir satisfaction. « La fiabilité de notre logiciel exclut toute forme d’injustice ou de traitement de faveur, note Mohamed Koudil, directeur de l’ENI, promoteur du programme. Tous les paramètres sont pris en compte et les marges d’erreur sont insignifiantes. »

L’état civil débordé

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Commence alors la galère du bachelier avec l’étape de l’inscription définitive. Le dossier comprend, outre le bulletin d’affectation, l’original de l’attestation de réussite au bac, trois photos, ainsi que deux extraits d’acte de naissance. Or obtenir ce banal document d’état civil en cette période de l’année relève de l’exploit. « Il n’y a pas que les 212 000 bacheliers qui sont concernés. Ce sont des millions d’Algériens qui en ont besoin. On attend près de 2 millions de nouveaux écoliers, près de 4 millions d’inscriptions dans les collèges et lycées, explique Fayçal Belmihoub, officier de l’état civil à Sidi M’hamed, plus grande commune de la ville d’Alger. Ajoutez à cela plus de la moitié des 600 000 émigrés qui profitent de leur séjour au pays pour se faire délivrer leurs papiers d’état civil. » Pour ne rien arranger, l’introduction de la carte d’identité numérique et du passeport biométrique a fait exploser la demande de documents d’état civil. « Ce sont, au bas mot, plus de 12 millions de citoyens, soit près d’un Algérien sur trois, qui sollicitent les services des municipalités en quelques semaines, déplore Fayçal, c’est presque mission impossible. »

Dès les premières lueurs du jour, les files d’attente s’allongent devant les guichets des 1 600 communes du pays. À l’explosion de la demande, s’ajoute, période de congés payés oblige, la faiblesse des effectifs dans les différentes municipalités, aggravée par la rupture de stock des formulaires dans les communes les plus peuplées. Crise de nerfs garantie. Pour les nouveaux bacheliers, cela peut virer à l’hystérie, les délais étant très courts : les établissements universitaires devaient impérativement clôturer les inscriptions, au titre de l’année 2010-2011, le 6 août à 23 h 59. Qu’importe la déception provoquée par l’affectation non désirée, la vocation heurtée ou le choix froissé…

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Le chemin de croix de l’inscription parcouru, le désormais nouvel étudiant entame celui des formalités d’accès aux œuvres universitaires : bourse, transport, restauration, résidence, accès aux bibliothèques… À chaque étape sa galère. « Il est des moments où je regrette d’avoir eu mon bac », soupire Souhila, 18 ans, qui n’est pourtant pas la plus malheureuse. Elle a choisi de faire du journalisme ; elle a atterri à l’École supérieure du commerce.

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