Enfin le temps des élections ?

Les scrutins présidentiels ne manqueront pas sur le continent en 2010-2011. Mais certains s’annoncent plus périlleux que d’autres…

Dépouillement du premier tour de la présidentielle guinéenne (illustration). © Youri Lenquette

Dépouillement du premier tour de la présidentielle guinéenne (illustration). © Youri Lenquette

cecile sow

Publié le 31 août 2010 Lecture : 8 minutes.

La Guinée ouvre le bal, la RD Congo le ferme. De septembre prochain à novembre 2011, six élections présidentielles à haut risque sont prévues sur le continent. Signe de l’importance des enjeux : partout, les dates ont été contestées. À Madagascar, celle du 4 mai 2011 n’est pas encore définitive. En Côte d’Ivoire, le 31 octobre 2010 a été officiellement retenu. Mais avec cinq reports depuis 2005, comment ne pas être tenté, comme saint Thomas, d’attendre de voir pour croire ?

Paradoxalement, le Niger est le pays où l’adoption d’un « chronogramme » – c’est la Côte d’Ivoire, spécialiste en la matière, qui a mis ce néologisme à la mode – s’est déroulée avec le moins d’anicroches. Là où le gouvernement, issu d’un coup d’État, est pourtant le moins légitime a priori. Preuve que la qualité des dirigeants compte autant que celle des institutions… En Guinée, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, au Niger, à Madagascar et en RD Congo, la réussite des scrutins dépendra de la bonne volonté des candidats à respecter les résultats s’ils sont en leur défaveur. Et, avant cela, à faire en sorte que le combat soit loyal. Jusqu’à présent, le cas ne s’est pas souvent présenté.

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En Centrafrique et en RD Congo, la prime au sortant devrait fonctionner. Ailleurs, les jeux sont plus ouverts. Le vote doit clore une fois pour toutes les ères Conté (en Guinée) et Tandja (au Niger). En Côte d’Ivoire, il est censé solder des années de crise et, à Madagascar, faire le tri entre les innombrables acteurs politiques. Tour d’horizon.

Coûts estimés des élections dans six pays ayant prévu une présidentielle en 2010-2011.

Illustration Christophe Chauvin/J.A.

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Guinée : l’inévitable confrontation ?

« Mon combat n’est pas dirigé contre les Peuls, mais contre une mafia qui veut s’accaparer le pays », déclarait Alpha Condé, le 11 août dernier à Conakry. À l’approche du second tour de la présidentielle, prévu le 19 septembre prochain, ces propos du candidat malinké appelé à affronter le Peul Cellou Dalein Diallo sonnent comme une mise au point alors que beaucoup redoutent des affrontements communautaires.

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Si les candidats démentent avoir une vision ethnique du pouvoir, du côté des militants, le discours est moins rassurant. Chaque camp estime qu’il est « mathématiquement » impossible que l’autre l’emporte. Il faut ainsi s’attendre à des contestations. La Force spéciale de sécurisation du processus électoral (Fossepel) manque cruellement de moyens, et la configuration de Conakry, surpeuplé, avec des quartiers chauds difficiles d’accès, rend toute intervention délicate.

L’autre danger vient des militaires. « Une partie de l’armée, habituée à profiter de sa position pour racketter et organiser des trafics, est réticente. À la moindre occasion, elle pourrait reprendre le pouvoir », confie un agent des renseignements. Ce risque, le général Sékouba Konaté, à la tête de la transition, en est conscient. Au cours de ces derniers mois, il a pris des mesures pour récupérer les armes en circulation, démanteler des camps d’entraînement illégaux, promouvoir des militaires longtemps mis à l’écart et engager la construction de casernes.

Côte d’Ivoire : solder l’héritage d’Houphouët

Ce serait donc pour le 31 octobre 2010. Échaudés par cinq reports de l’élection présidentielle depuis 2005, les Ivoiriens restent sceptiques. Alors, certains se raccrochent aux signes. L’annonce a été faite le 5 août dernier à Yamoussoukro, village du premier président, Félix Houphouët-Boigny, décédé en 1993 et dont l’héritage ne sera soldé que lors de cette élection tant attendue.

Depuis sa mort, le pays est en crise. Il y a eu d’abord le scrutin de 1995, boycotté par l’opposition, puis le coup d’État de Noël 1999, l’élection calamiteuse de 2000 et la tentative de putsch de septembre 2002 qui a dégénéré en guerre civile et conduit à la partition du pays, sans parler de l’affrontement avec la France, en novembre 2004.

Des années troubles, auxquelles seul un scrutin peut mettre un terme. Trois favoris : Laurent Gbagbo, président sortant et opposant historique d’Houphouët – mais qui fait tout pour réhabiliter sa mémoire –, et les héritiers naturels du « Vieux » : Henri Konan Bédié, son successeur, et Alassane Dramane Ouattara, son unique Premier ministre.

Mais la route est encore longue. Il faut se mettre d’accord sur la liste électorale définitive, distribuer cartes d’électeur et cartes d’identité, obtenir des ex-rebelles et des miliciens qu’ils déposent les armes avant d’engager la bataille finale. En espérant qu’elle ne dégénérera pas.

Niger : même casting

Cette fois, le Niger semble avoir de la chance : il est dirigé par un putschiste éclairé, Salou Djibo. « Ce n’est pas un intellectuel, mais il sait où il veut aller et il s’y tient », estime un diplomate. De l’avis des observateurs, la commission électorale est apte à organiser les scrutins à venir. Le défi réside plutôt dans le nombre de ces rendez-vous électoraux : pas moins de six en quatre mois.

Au programme : un référendum constitutionnel le 17 novembre prochain, suivi d’élections municipales, régionales et législatives. Et pour finir, le 3 janvier 2011, le premier tour de la présidentielle, et le 14 janvier 2011, le second tour (éventuel). Évalué à 30 milliards de F CFA (45 millions d’euros), le budget est loin d’être bouclé. Pour le moment, l’État a débloqué 3 milliards, et les bailleurs de fonds, déjà mis à contribution pour lutter contre la crise alimentaire, seront largement sollicités.

Parmi les candidats, celui du parti de Mahamadou Tandja, Seïni Oumarou, ancien Premier ministre soupçonné de détournements ; Mahamane Ousmane, ancien chef de l’État ; Mamahadou Issoufou, ex-président de l’Assemblée ; Hama Amadou, ancien Premier ministre ; et Moussa Moumouni Djermakoye, qui a repris le flambeau de son frère, Moumouni Adamou Djermakoye, décédé en juin 2009.

Tous sont des politiciens connus, qui ont pour la plupart été aux affaires. C’est l’une des raisons qui a conduit la junte, malgré le manque de temps, à organiser des élections régionales. « Salou Djibo pense que c’est le seul moyen de voir émerger des figures locales et de renouveler un peu le paysage politique », indique un observateur. Ce serait là le vrai changement pour le Niger.

Centrafrique : en finir avec les putschs

Cette fois, les observateurs y croient. Le 11 août dernier, les dates de la présidentielle ont été fixées : premier tour le 23 janvier 2011, second tour le 20 mars. Le recensement aura lieu en septembre. Ce nouveau calendrier intervient après deux reports. Mais il est jugé plus crédible, car il résulte d’un consensus : après maintes tergiversations, le pouvoir, l’opposition et l’ex-rébellion ont signé un accord. C’était la condition de l’Union européenne pour financer le scrutin (6,5 millions d’euros).

Élu en 2005 après un coup d’État en 2003, François Bozizé ne court pas grand risque. Face à lui, l’opposition est divisée entre deux candidats : Martin Ziguélé, chef du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), et son ancien allié, Ange-Félix Patassé. L’enjeu est donc moins le passage de témoin que la consolidation d’un système démocratique mis à rude épreuve, le pays ayant connu neuf putschs depuis l’indépendance. Enfin, la sécurité de la campagne et du scrutin sera à surveiller de près. Les attaques rebelles dans le Nord-Est, aux alentours de Birao, et dans le Sud-Est, à la frontière avec la RD Congo, n’ont toujours pas cessé.

Madagascar : l’indispensable appui des bailleurs

L’« ivoirisation » du processus démocratique : le terme est à la mode à Antananarivo et il en inquiète plus d’un. Comme en Côte d’Ivoire, les élections sont sans cesse repoussées depuis la prise de pouvoir par Andry Rajoelina, en mars 2009. Le président de la Haute Autorité de la transition (HAT) voulait les organiser avant le 26 juin 2010, date anniversaire des cinquante ans de l’indépendance. Mais, faute d’une entente avec l’opposition, il a dû revoir sa copie. Désormais, suite à l’accord signé le 11 août 2010 par plus de 80 partis et accepté par Rajoelina, on évoque les dates du 16 mars 2011 pour les législatives et du 4 mai 2011 pour le premier tour de la présidentielle.

« Nous espérons que cet accord sera le bon », indique Patrick Mounibou, vice-président de la HAT. Problème : les trois principales mouvances de l’opposition ne le reconnaissent pas. « Ce texte relève de l’unilatéralisme. Les décisions prises ont été dictées par Rajoelina, dans le seul but d’obtenir la reconnaissance de la communauté internationale », accuse Fetison Rakoto Andrianirina, porte-parole de la mouvance Ravalomanana, le chef d’État déchu et condamné depuis le 28 août aux travaux forcés à perpétuité. « Pour nous, il est hors de question de participer et de cautionner ces scrutins. Et je ne pense pas que la communauté internationale les reconnaîtra. »

C’est le nerf de la guerre : sans l’appui des bailleurs, le gouvernement de la transition semble incapable de financer ces élections. Selon les estimations, celles-ci coûteront entre 12 et 18 millions d’euros – très cher, pour un pays qui ne bénéficie plus d’aucune aide financière depuis dix-huit mois. Rajoelina a beau répéter que la solution sera malgacho-malgache, « il sait que la reconnaissance internationale est sinon indispensable, du moins très utile », confie l’un de ses proches. Pour financer la révision des listes électorales, le matériel de vote, mais aussi la présence d’observateurs indépendants. De toute façon, le scrutin sera contesté, comme chaque scrutin à Madagascar », conclut le journaliste et historien Denis-Alexandre Lahiniriko.

RD Congo : qui face à kabila ?

Présidentielle et législatives en novembre 2011, provinciales en juillet 2012, municipales en janvier 2013, locales en mai, nouvelles municipales en août… la RD Congo entre dans un cycle électoral chargé et donc coûteux. Selon Apollinaire Malu Malu, président de la Commission électorale indépendante (CEI), le budget global s’élève à 556 millions d’euros. L’État devrait en financer 60 %, le reste incombant sans doute aux bailleurs de fonds, qui ne se sont pas encore prononcés. La Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) jouera un rôle technique et logistique. « Nous sommes prêts à assurer la sécurité du scrutin si le gouvernement nous le demande », ajoute Madnodje Mounoubai, son porte-parole.

Les enjeux sont à l’échelle de la RD Congo. Dans un pays-continent de 63 millions d’habitants, où les infrastructures routières sont aussi rares que vétustes, l’organisation d’un scrutin est une gageure. D’autant que le pays n’a pas l’habitude de voter. Il s’apprête à connaître les deuxièmes élections libres (au suffrage universel direct) depuis l’indépendance.

Autre défi : la transparence. À peine annoncé par la CEI, le 10 août, le calendrier était critiqué. François Muamba, président par intérim du Mouvement de libération du Congo (MLC, dans l’opposition), estime qu’il est l’aboutissement d’une décision « unilatérale » et préconise une consultation « de toutes les parties ».

La controverse donne une idée de la tension. L’opposition voit arriver une chance de s’emparer enfin du fauteuil présidentiel. Mais elle n’a aucun poids lourd susceptible de l’emporter sur Joseph Kabila. L’adversaire de ce dernier en 2006, Jean-Pierre Bemba, le chef du MLC, est derrière les barreaux depuis mai 2008, inculpé de crimes de guerre et de crime contre l’humanité par la Cour pénale internationale. Bête noire de feu Mobutu, le chef de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Étienne Tshisekedi, 78 ans, est bien fatigué. Dans ces conditions, l’opposition a-t-elle vraiment intérêt à participer à une élection en 2011 ? Le calcul est inavouable, mais elle peut avoir avantage à faire traîner les choses. C’est l’inverse pour la majorité.

Le scrutin peut être explosif : de chaque côté, des partisans parfois fanatiques sont prêts à en découdre avec leurs adversaires. De sa réussite dépend la consolidation des très fragiles institutions congolaises.

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