Le secteur privé japonais se mobilise pour l’Afrique
Les entreprises japonaises redoublent d’intérêt pour le continent. En misant toujours sur les ressources humaines, elles comptent développer leurs marchés dans nombre de secteurs.
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A une centaine de mètres de Kabuki-za, temple du théâtre kabuki à Tokyo, qui a rouvert ses portes en grande pompe le 2 avril après trois ans de travaux, se trouve le siège de la Hida (Overseas Human Resources and Industry Development Association) dans un bâtiment qui n’a rien de remarquable, si ce n’est son minuscule ascenseur. La Hida pourrait pourtant prétendre à une meilleure mise en valeur compte tenu de son ancienneté et du travail qu’elle accomplit depuis plus de cinquante ans dans les pays en voie de développement. Kazuo Kaneko, qui la dirige actuellement, en est conscient. « Depuis 1959, nous avons formé plus de 358 000 personnes, dont, en Afrique, 9 797 personnes originaires de 52 pays », explique-t-il en se référant à des colonnes de chiffres. Un résultat modeste « mais en forte augmentation », précise-t-il.
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Financé en partie par le ministère de l’Économie et de l’Industrie, son organisme est la parfaite illustration de la façon dont le Japon envisage d’aider l’Afrique, comme il l’a fait dans un premier temps en Asie. « Nous accordons une place centrale à la formation des individus. Il ne s’agit pas de donner simplement de l’argent ou de construire telle ou telle infrastructure, nous estimons qu’il faut avant tout donner aux individus les moyens de se prendre en charge afin qu’ils puissent ensuite contribuer au développement de l’économie locale », assure Kazuo Kaneko.
Compétences
Le secteur de l’automobile a été particulièrement ciblé ces dernières années en ce qui concerne la formation de techniciens, en raison de l’implantation des constructeurs en Afrique, comme Nissan en Égypte, Honda au Nigeria ou Toyota en Afrique du Sud. L’accent est désormais mis sur la création et la gestion d’entreprises : « En 2011, 86,4 % des personnes que nous avons formées l’ont été dans ce domaine », confirme le patron de la Hida. Même son de cloche dans les entreprises japonaises implantées sur le continent. Les dirigeants de Toyota Tsusho, dont le rachat de CFAO, l’an passé, n’est pas passé inaperçu, soulignent l’importance à leurs yeux de mettre en valeur les ressources humaines locales. « On ne peut pas imaginer se développer sans s’appuyer sur leurs compétences », expliquent-ils en substance. Une attitude qui ne devrait pas changer à l’avenir puisque les sociétés japonaises manifestent un intérêt de plus en plus fort à l’égard de l’Afrique.
Une enquête menée auprès des 333 entreprises nippones installées dans 24 pays africains et publiée en janvier par l’Organisation japonaise pour le commerce extérieur (Jetro) montre que ces dernières sont particulièrement optimistes sur les perspectives commerciales de leur implantation. Elles sont 67,3 % à estimer que les prochaines années seront propices à leurs affaires. En Afrique du Nord, où l’on en recense 127, le pourcentage est encore plus élevé (71,4 %). Le Printemps arabe n’a, semble-t-il, pas entamé l’enthousiasme nippon. Et quand le Jetro leur demande dans quelle partie du continent ces sociétés entendent renforcer leur présence, c’est l’Afrique de l’Ouest qui arrive en tête des réponses (62,5 %) devant l’Afrique du Nord (60,4 %), l’émergence d’une classe moyenne étant l’argument le plus souvent avancé (83,3 %) pour justifier de leurs investissements. En 2011, les exportations japonaises en Afrique subsaharienne ont augmenté de 23 % par rapport à 2010, atteignant un montant de 10,7 milliards de dollars (8,2 milliards d’euros).
L’importance grandissante de l’Afrique en termes de ressources naturelles n’est pas non plus absente des motivations nippones. Sojitz, maison de commerce née de la fusion de Nichimen et Nissho Iwai, est très active en Angola, au Nigeria et au Gabon dans le domaine de l’extraction, tandis que Mitsui se révèle impliqué dans l’un des champs de gaz les plus prometteurs du Mozambique. Voilà des exemples, parmi d’autres, de l’intérêt des entreprises japonaises qui ont aussi besoin des matières premières africaines : 85 % du platine utilisé au Japon, en particulier dans l’industrie automobile, est importé d’Afrique. C’est également le cas pour 67 % du manganèse.
Les sociétés japonaises participent par ailleurs à l’établissement d’infrastructures, qui permettent que les ressources nécessaires au pays puissent soit transiter, soit être exploitées. En Algérie, Itochu et IHI construisent un complexe de gaz naturel, tandis que Kajima, Taisei, Nishimatsu Construction et Hazama, acteurs de premier plan dans le BTP, mettent à disposition leur savoir-faire pour la construction d’autoroutes.
Concurrence
Les Japonais sont conscients des efforts à fournir et de la concurrence qu’ils doivent affronter, surtout celle venue de Chine ou de Corée du Sud. En 2000, les exportations japonaises vers l’Afrique étaient équivalentes à celles de la Chine. Onze ans plus tard, cette dernière exporte près de cinq fois plus que les entreprises nippones.
Face aux coréens Samsung ou LG, qui contrôlent déjà 60 % du marché des téléviseurs sur le continent, les producteurs japonais ne baissent pas pour autant les bras. Toshiba est présent en Égypte avec une usine. Panasonic et Sony ont manifesté leur volonté d’investir pour améliorer leurs ventes en Afrique de l’Ouest, et notamment au Nigeria. La tenue de la 5e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad, lire encadré ci-dessous), du 1er au 3 juin à Yokohama, devrait confirmer cette tendance. Ce sera aussi l’occasion de sensibiliser davantage l’opinion publique japonaise aux sujets africains. La publication fin avril de Shin Gendai Afurika Nyumon (« nouvelle introduction à l’Afrique contemporaine »), de Makoto Katsumata, dans la prestigieuse collection « Shinsho » (équivalent de « Que sais-je ? ») chez Iwanami Shoten et, surtout, sa quatrième place en termes de ventes dans sa catégorie montrent que les Japonais sont déjà réceptifs.
« Je voudrais juste faire remarquer que les investissements directs en Afrique ont dépassé en 2007 les sommes fournies au titre de l’aide publique au développement. Ce changement traduit le fait que l’on croit désormais davantage dans les chances du continent et dans ses opportunités économiques », confie Makoto Ito, ambassadeur pour la 5e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad V), qui se tiendra du 1er au 3 juin à Yokohama. « Néanmoins, l’instabilité politique et la violence auxquelles le continent est encore confronté doivent être traitées pour qu’il parvienne à profiter de tous ses atouts », ajoute-t-il. En deux phrases, le diplomate japonais résume les deux points sur lesquels les participants plancheront (en 2008, ils étaient plus de 3 000, dont 41 chefs d’État et de gouvernement du continent).
La Ticad V par le menu
Sur le plan économique, le Japon entend mettre l’accent sur la nécessité pour les pays africains de prendre davantage en main leur développement. Il s’agit de confirmer les efforts entrepris depuis la Ticad IV, en 2008. Les engagements alors pris par le Japon ont été atteints, voire dépassés. Les tragiques événements sur le site gazier algérien d’In Amenas au cours desquels dix Japonais ont trouvé la mort ont modifié en partie l’ordre du jour, en plaçant parmi les sujets prioritaires la question de la stabilité et de la sécurité. Sans garantie en la matière, il sera bien difficile pour les Japonais de s’engager davantage. Début 2013, dans une étude réalisée par l’Organisation japonaise du commerce extérieur (Jetro), 88 % des entreprises nippones implantées en Afrique exprimaient leur inquiétude à cet égard.
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