Dossier Japon : En Afrique, Tokyo a la cote

L’archipel s’apprête à accueillir, du 1er au 3 juin, la 5e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad). Vingt ans après sa création, le sommet s’annonce sous les meilleurs auspices avec la relance soutenue de l’économie nippone.

Début mai, l’indice Nikkei atteignait son plus haut niveau depuis 2008. © AFP

Début mai, l’indice Nikkei atteignait son plus haut niveau depuis 2008. © AFP

Publié le 29 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

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Ticad : quand le Japon accueille l’Afrique

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« L’avenir de la croissance économique du Japon dépend de notre courage et de notre volonté d’affronter sans hésitation les mers agitées de la concurrence internationale. » C’est en ces termes que le Premier ministre, Shinzo Abe, a justifié la politique de relance destinée à sortir son pays de deux décennies de marasme. Les Japonais n’en attendaient pas moins après avoir massivement voté en faveur du Parti libéral-démocrate (PLD) lors des élections générales du 16 décembre dernier. La récession dans laquelle le Japon semblait inexorablement s’enfoncer était devenue le sujet prioritaire pour l’opinion publique, bien plus important que la crise nucléaire liée à l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi. Dans tous les sondages, la nécessité de redonner des couleurs à l’économie dominait nettement les autres questions. Et, dans ce domaine, le PLD a fait la différence avec des propositions audacieuses visant à rendre son lustre à une économie nationale durablement fragilisée.

Il a notamment misé sur une rallonge budgétaire – 10,3 trillions de yens (90 milliards d’euros) au titre de l’année fiscale 2012 -, mais aussi sur des mesures structurelles en faveur de la croissance. L’objectif du nouveau gouvernement est de ramener la confiance chez les consommateurs et les entreprises, qui, depuis plusieurs années, broyaient du noir.

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Révolutionnaire

Pour parvenir à ses fins, Shinzo Abe a également choisi de bouleverser la très prudente politique monétaire du pays. En nommant l’un de ses proches, Haruhiko Kuroda, à la tête de la Banque du Japon, il a ainsi marqué son approche à contre-courant qui consiste à financer massivement la dette publique par la planche à billets. La Banque du Japon va racheter une partie de cette dette, investir 1 000 milliards de yens dans des actions pour faire augmenter les cours et soutenir le marché immobilier. Désormais connue sous le sobriquet d’« Abenomics », en référence à la « Reaganomics » du président américain Reagan, cette politique iconoclaste, qui tranche radicalement avec celles menées en Europe, commence à porter ses fruits.

La Bourse de Tokyo a repris des couleurs puisqu’en l’espace de quatre mois l’indice Nikkei a gagné plus de 40 %. Dans le même temps, le yen, qui s’était apprécié depuis 2008 de 50 % par rapport au dollar, a vu son taux de change baisser de 20 % face à la devise américaine. De bonnes nouvelles pour les entreprises japonaises, qui semblent prêtes à jouer le jeu puisque plusieurs d’entre elles, dont le géant de l’automobile Toyota, ont annoncé leur intention d’augmenter sensiblement les bonus de leurs salariés (traditionnellement versés en juillet et décembre) dès l’été 2013. Si les Japonais disposent de meilleurs revenus, ils seront tentés de dépenser plus, dépenses d’autant plus augmentées que les mesures du gouvernement devraient générer une inflation de 2 %.

Les consommateurs japonais avaient depuis longtemps tendance à limiter leurs achats dans la perspective d’une baisse continue des prix liée à la déflation. Avec une cote de popularité qui flirte avec les 70 %, Shinzo Abe a déjà réussi à ramener la confiance chez les industriels, notamment les PME, qui constituent la base de l’économie japonaise. « Jusqu’à présent, il n’était question que des faibles coûts de production en Chine, ce qui nous poussait à délocaliser. Désormais, la baisse du yen change radicalement la donne », estime Yasushi Nakatsuji, PDG de Daiki Metal, une PME implantée à Osaka. De nombreuses sociétés ont fait savoir qu’elles allaient réviser à la hausse leurs objectifs de production. Reste à savoir si cela permettra au Japon de tourner la page de ces deux décennies marquées par un effondrement de son économie et de son modèle social.

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Dans un pays où, au début des années 1980, plus de 90 % de la population affirmaient appartenir à la classe moyenne (churyu), la montée en puissance de la précarité, dont les travailleurs pauvres (wakingu poa) sont la partie émergée, a fragilisé l’égalitarisme qui servait de ciment à l’ensemble de la société et contribué à réduire la demande des ménages.

Le vieillissement de la population (23 % des Japonais ont plus de 65 ans) est aussi un frein à la consommation traditionnelle. Les besoins sont différents et demandent une adaptation très claire de l’offre. C’est d’autant plus important que la tendance va se renforcer et se traduire par une réduction de la population. Le 27 mars, les autorités ont publié les projections démographiques pour 2040. À cette date, il est prévu que la population japonaise s’établira à 107 276 000 habitants, soit une baisse d’environ 20 millions de personnes par rapport à 2010.

Imagination

Il est donc indispensable que les autorités tiennent également compte de ces éléments pour mettre en oeuvre une politique de relance à plus long terme. Faute de quoi la dette publique, déjà énorme (plus de 200 % du PIB), aura explosé et obligera le Japon à la financer sur les marchés extérieurs à un taux bien plus élevé qu’aujourd’hui.

Une telle perspective devrait faire réfléchir les autorités, qui ont aussi à gérer la transition énergétique. Depuis l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi, 90 % des Japonais ne veulent plus entendre parler de l’énergie nucléaire, ainsi que le montrent les diverses études d’opinion réalisées ces deux dernières années. Aujourd’hui, 52 réacteurs sur les 54 que le Japon possède sont à l’arrêt. Malgré le désir des autorités de relancer d’autres centrales, chacun sait que le pays doit trouver d’autres solutions sans avoir, comme il le fait depuis plus de deux ans, à importer en grandes quantités pétrole et charbon. La dépendance à l’égard des énergies fossiles importées accentue le déficit commercial et peut compromettre la relance.

Face à tous ces problèmes accumulés au fil des années, les autorités doivent faire preuve d’imagination. Le Japon est une sorte de laboratoire à ciel ouvert où l’on tente de soigner les maux d’une société postindustrielle. Les remèdes qui y seront élaborés devraient être analysés car, une fois de plus, les Japonais affrontent des problèmes auxquels la plupart des autres nations industrialisées seront un jour ou l’autre confrontées. Le premier défi, celui de la relance économique, est le plus ardu et le plus ambitieux. Shinzo Abe le sait bien. Désormais, les regards du monde entier sont tournés vers lui.

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