Mélodies de l’indépendance

Le label Discograph sort un coffret exceptionnel de 18 CD retraçant cinquante ans de musiques africaines. Et célèbre la créativité de tout un continent.

Le Nigérian Fela Anikulapo Kuti, le « Black President ». © D.R.

Le Nigérian Fela Anikulapo Kuti, le « Black President ». © D.R.

ProfilAuteur_TshitengeLubabu

Publié le 15 août 2010 Lecture : 4 minutes.

L’idée relève de l’audace. Elle a consisté à rassembler en 155 titres et 18 CD ce que le continent a produit de mieux ces cinquante dernières années, voire au-delà. L’originalité de la démarche vient du fait que l’éditeur, Discograph, a ouvert plusieurs cases inattendues : Afrique du Nord, Afrique australe, Afrique de l’Est, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique lusophone. Pour une fois, le continent, en quelques CD, semble plus uni que jamais.

Les mélomanes ont ainsi l’occasion d’écouter Oum Kalsoum (Égypte), E.T. Mensah (Ghana), Bi Kidude (Zanzibar), Luambo Makiadi (Congo-Kinshasa), Les Bantous de la capitale (Congo-Brazzaville), Miriam Makeba (Afrique du Sud) ou encore Cesaria Evora (Cap-Vert). Anciens et nouveaux talents se côtoient, chacun apportant sa pierre à l’édifice. Toutefois, quelques erreurs de date sont à signaler. Mais surtout le Congo-Brazzaville est confondu avec la RD Congo. Dommage, car cette compilation est l’expression de la vitalité et de la diversité musicales du continent. On y découvre la virtuosité des chanteurs éthiopiens, qui, sur des voix qui rappellent l’Orient, ajoutent des rythmes venus d’outre-Atlantique (jazz, soul, funk…).

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Découverte aussi, le tarab, rythme mélancolique de Zanzibar, symbole de la diversité ethnique de cette île de l’océan Indien, qui remonte à la nuit des temps, depuis que l’Afrique a croisé sur son chemin les Perses et les Arabes. Le tarab, ce sont ces histoires d’amour ou de la vie quotidienne narrées sur des rythmes lents, mais néanmoins dansants. La presque centenaire Bi Kidude incarne mieux que quiconque cette tradition zanzibarite. Avec sa voix dense et chargée d’émotion, elle a porté haut le flambeau de ce genre musical sur plusieurs scènes du monde. Les nuits enchanteresses de Zanzibar n’auraient plus de sens si elles n’étaient pas rythmées par cette musique qui appelle au rêve, à l’évasion, aux fantasmes enfouis dans les cœurs. Les rythmes des autres îles de l’océan Indien, comme les Comores et Maurice, également lieux de métissages, apportent le même ravissement.

Highlife mémorable

On pourrait se demander, à juste titre d’ailleurs, quel rôle les musiques africaines, plurielles dans leurs identités, ont joué pour l’émancipation du continent. C’est surtout un rôle d’accompagnateur de l’action des politiques, un rôle de mémoire, presque de griot. Dans ce registre, on écoutera avec un certain émerveillement E.T. Mensah chantant en 1959, dans un highlife mémorable, l’accession du Ghana à l’indépendance (obtenue en 1957) sous la houlette de l’Osagyefo (le « Rédempteur ») Kwame Nkrumah. Et aussi le célèbre Indépendance Cha Cha, du Congolais Joseph Kabasele, qui relate le succès de la table ronde entre la Belgique et sa colonie dont l’aboutissement est l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960. Dans ces deux cas, la chanson sert surtout à faire vibrer la fibre patriotique et à enflammer les nuits d’Accra et de Kinshasa, entre autres.

Mais les indépendances seront remises en question une fois les limites des dirigeants postcoloniaux démontrées. Cette tendance, plutôt rare, est représentée par un chanteur du Congo-Brazzaville, Franklin Boukaka. Dans son titre Le Bûcheron, il se demande à qui profite l’indépendance alors que les élus se battent pour l’enrichissement facile et les belles voitures. Boukaka mourra assassiné lors des conflits idéologiques qui ensanglantèrent son pays au début des années 1970. L’attaque frontale, permanente et sans concession de nouveaux régimes sera incarnée par le Nigérian Fela Anikulapo Kuti, le Black President, maître incontesté de l’afrobeat, cette symbiose réussie entre highlife, jazz et soul façon James Brown. Tout au long d’une carrière mouvementée, Fela aura été un grand pourfendeur devant l’Éternel des dictateurs militaires, à la fois prédateurs et liberticides, qui se sont succédé à la tête du Nigeria. Un engagement payé très cher. Dans la lignée de Fela, on trouve deux Ivoiriens adeptes de Bob Marley : Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, mais sans la même envergure.

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Dans la cour des grands

L’histoire des musiques africaines de ces cinquante dernières années est également marquée par leur sortie d’une certaine ghettoïsation. Qu’on se rappelle le succès planétaire de Yéké Yéké, le tube du Guinéen Mory Kanté, ou encore celui de Manu Dibango, le Camerounais, avec Soul Makossa. Les musiciens du continent jouent désormais dans la cour des grands, à l’instar d’un Youssou N’Dour ou d’un Salif Keita. Grâce au travail réalisé dans cette compilation, l’on se rend compte que les influences extérieures ne sont pas déterminantes dans l’évolution des musiques africaines : elles ne sont qu’un appoint. Mais quand l’Afrique emprunte à elle-même, cela donne l’extraordinaire mainmise des rythmes congolais en Afrique de l’Est, notamment. On découvre cette influence au Kenya et en Tanzanie où, fait rarissime, les groupes vont jusqu’à chanter en lingala.

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Créativité, inventivité, originalité… Le génie des musiciens est présent dans ces 18 CD. Mais il manque une voix, celle d’un homme qui, dans les années 1950 déjà, a joué un rôle de précurseur, de visionnaire, au moment où personne n’osait y croire. Il s’appelait Adou Elenga et était originaire du Congo belge. Avec la simplicité du poète et la gravité du prophète, il chantait déjà l’inimaginable, l’impensable : Ata ndele mokili ekobaluka (« Tôt ou tard, le monde bougera »). Et il a bougé en 1960 !

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