La bataille des jets privés

L’aviation d’affaires a la cote sur le continent. Au Maroc, en Tunisie et au Nigeria, les compagnies locales voient leur trafic augmenter, tandis que leurs rivales européennes lorgnent désormais le marché maghrébin.

La flotte de Tunisavia se compose de deux Bombardiers et d’un Flacon. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

La flotte de Tunisavia se compose de deux Bombardiers et d’un Flacon. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 18 août 2010 Lecture : 4 minutes.

Pour un jet privé de six à huit places – l’entrée de gamme chez Falcon ou Bombardier –, compter 5 millions d’euros. Pour les plus grands modèles (vingt places), pas moins de 20 millions d’euros. Quant à l’entretien et à la maintenance, ils coûtent chaque année au moins 8 % du prix de l’avion. Chefs d’État et grands patrons de banque, de l’immobilier et de l’industrie sont bien souvent les seuls clients d’un marché pourtant en pleine croissance. Et ce dans la plus grande discrétion, pour ne pas défrayer la chronique : début 2010, le président malawite Bingu wa Mutharika et le magnat du BTP nigérian Aliko Dangote ont tous deux été critiqués pour des acquisitions d’avions jugées dispendieuses.

Malgré tout, ces petits bijoux volants se multiplient dans le ciel africain, en particulier au-dessus du Maghreb et, dans une moindre mesure, au Nigeria et en Afrique centrale. Les voyages d’affaires de patrons de groupes privés et les déplacements de dirigeants politiques représenteraient, d’après les compagnies contactées, 85 % des vols de jets privés en Afrique, les 15 % restants étant le fait de particuliers aisés. Et le trafic est en hausse : la multiplication des petites compagnies locales, le développement de la multipropriété et, enfin, pour le Maghreb, l’offensive des compagnies européennes, expliquent ce développement, sans oublier la croissance globale du pouvoir d’achat.

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Ces dernières années, plusieurs compagnies africaines de jets privés ont vu le jour, créées le plus souvent par des patrons ou des entreprises soucieux de rentabiliser leurs propres avions : Medi Business Jet (MBJ), première compagnie marocaine du genre, a par exemple été lancée en 2004 par trois grands patrons ayant mis en commun leurs appareils. Avec la crise, ils ont été rejoints par d’autres propriétaires. MBJ affiche sept avions à ce jour.

Plus à l’est, la société Tunisavia, initialement spécialisée dans la location d’hélicoptères, s’est vu confier la gestion de deux Bombardier Challengers et un Falcon par trois chefs d’entreprise tunisiens. Au Nigeria, les groupes Dana (industrie pharmaceutique, agroalimentaire…) et Barbedos (distribution automobile, commerce pétrolier…) ont acheté des jets privés pour les déplacements de leurs cadres dirigeants. Mais afin d’optimiser les coûts, ils les louent le reste du temps via leurs filiales aériennes respectives, Dana Air et Skyjet Aviation Services.

Offensive sur le Maroc

Les compagnies européennes, de leur côté, lorgnent d’un œil gourmand le marché maghrébin, situé à moins de cinq heures de vol de leurs aéroports – c’est-à-dire dans le rayon d’action de la majorité de leurs flottes. NetJets, propriété du milliardaire américain Warren Buffett et leader européen (65 000 vols par an), a lancé une offensive sur le Maroc qui commence à porter ses fruits : la compagnie indique une hausse de 145 % de son trafic entre l’Europe et le royaume chérifien entre 2004 et 2009 (900 vols en 2009). Elle s’appuie avec succès sur le principe de la multipropriété, en vogue aux États-Unis, qui permet à plusieurs investisseurs d’être propriétaires d’une fraction d’un avion, ce qui leur donne droit à un certain nombre d’heures de vol. Le ticket d’entrée tourne autour de 100 000 euros pour 1/32e d’avion, soit 25 heures annuelles de vol. Si l’avion est déjà utilisé quand un client-propriétaire le sollicite, la compagnie lui en affecte un autre de la même catégorie.

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« Les Marocains constituent aujourd’hui 25 % de notre clientèle volant depuis le pays », indique, enthousiaste, Marine Eugène, directrice déléguée pour les marchés francophones de NetJets. Devant l’augmentation du trafic, l’Office national des aéroports du Maroc propose depuis 2008 des services dédiés à l’aviation d’affaires à Casablanca, Marrakech et Tanger : salles d’embarquement VIP, voitures pour récupérer les passagers au pied de l’avion, traitement rapide des bagages et des formalités administratives… Une palette d’offres VIP à laquelle réfléchit aussi la Tunisie, pays qui, tout comme l’Algérie, doit lui aussi faire l’objet d’un plan commercial de NetJets. Le britannique Emtjets ou le français Aéro Affaires ne cachent pas non plus leur intérêt grandissant pour le marché maghrébin.

Face à la concurrence, les compagnies locales se disent confiantes. « Le marché n’est pas mûr. Beaucoup de Marocains voient encore la location d’un jet comme une dépense superflue, mais la présence des jets européens participe à l’éducation de la clientèle », estime Amine Tazi, directeur commercial de MBJ, dont l’activité a crû de 20 % en 2009 malgré la concurrence, avec 200 vols opérés. Les compagnies africaines offrent de surcroît un avantage : située entre 4 500 et 6 000 euros pour un huit places, l’heure de vol est de 20 % à 30 % moins chère que chez les compagnies basées à l’étranger.

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Enfin, les maghrébines veulent développer leur offre vers l’Afrique de l’Ouest, plus à la portée de leurs jets que de ceux des Européens. Les compagnies nigérianes pourraient quant à elles investir l’Angola, pays aux infrastructures de transport défaillantes mais dont les grands patrons ont les moyens de louer des jets. La bataille de l’aviation d’affaires ne fait que commencer.

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