Que pèsent les fleurons français face à la concurrence africaine ?
Bousculés par la concurrence locale, affectés par la crise, les groupes hexagonaux revoient leur stratégie sur le continent. Ils se renforcent sur l’activité banque de détail, sur l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb. Enquête.
Gagner de l’argent en prenant le minimum de risques. C’est plus que jamais devenu le leitmotiv des banques françaises en Afrique. Et donc l’idée directrice de la réorganisation qu’elles mènent actuellement au sein de leurs activités sur le continent. Pendant les trois dernières années, face à l’assaut lancé par les établissements marocains et nigérians, qui ont multiplié fusions et acquisitions pour conquérir le marché subsaharien, les trois principales banques françaises – BNP Paribas, Société générale et Crédit agricole – ont perdu du terrain. En zone CFA, le groupe Société générale est certes resté le leader, mais la montée en puissance d’Attijariwafa Bank (marocaine) et d’Ecobank (panafricaine, basée à Lomé) ont relégué BNP Paribas au quatrième rang.
Il faut dire que, dès 2008, les établissements français ont commencé à faire du surplace. Au plus fort de la tourmente financière internationale, le Crédit agricole, troisième banque française, avait alors annoncé le recentrage de son activité de banque de détail internationale sur l’Europe et le bassin méditerranéen. Cette décision avait été suivie dans la foulée par la cession à Attijariwafa Bank, pour un montant de 250 millions d’euros, de cinq de ses filiales subsahariennes (Congo, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon et Sénégal), en échange d’une prise de participation de 24 % dans Crédit du Maroc et de 15 % dans Wafasalaf (spécialisée dans le crédit à la consommation), deux établissements appartenant à son partenaire marocain.
Dans cette même logique, c’est sa filiale djiboutienne, Banque Indosuez Mer Rouge (BIMR), que le Crédit agricole a cédé, le 2 août, à Bank of Africa, elle-même détenue à 51 % par le groupe marocain BMCE Bank. Les deux établissements indiquent que l’opération, dont ils taisent pour l’heure le montant, devrait être bouclée avant la fin de cette année, une fois l’aval des autorités financières et réglementaires obtenu. De même, ce courant de réaménagement des filiales s’est traduit pour BNP Paribas par la décision, en mars dernier, de se retirer du marché mauritanien (sur lequel il n’était pourtant présent que depuis quatre ans), et pour la Société générale par un gel des nouvelles acquisitions depuis 2007. Ce mouvement devrait se poursuivre à la rentrée prochaine en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
Se renforcer d’un côté, se désengager de l’autre
Du côté de BNP Paribas, un cadre de la direction générale confirme qu’« il y a eu des discussions avec des partenaires sur la possibilité de céder certaines activités en Afrique subsaharienne. Mais cela ne signifie pas pour autant que le groupe envisage de se retirer ». D’après ce même dirigeant, BNP Paribas, aujourd’hui présent dans 14 pays africains et qui a réalisé un produit net bancaire de 201 millions d’euros en 2009 en Afrique subsaharienne, entend se concentrer sur la zone où il est fortement implanté, y déployer son modèle de base, c’est-à-dire la banque de détail, avant de réétudier les modalités d’une nouvelle politique d’expansion continentale. En d’autres termes, le premier groupe français compte se renforcer sur l’Afrique de l’Ouest, où il a une présence plus ancienne et plus importante. S’il n’est pour l’heure pas question d’opérer de nouvelles acquisitions, à l’inverse, des désengagements ne sont pas exclus ailleurs sur le continent. « Cette réorganisation n’est pas spécifique à l’Afrique, précise le dirigeant. C’est la stratégie globale du groupe qui a été remise en question. Nous nous sommes retirés de certains pays d’Amérique latine et avons renoncé à des projets d’acquisition dans certains pays d’Europe. »
Sa nouvelle stratégie africaine, la Société générale (produit net bancaire de 550 millions d’euros sur la zone Afrique et outre-mer en 2009) l’a quant à elle définie dans son ambitieux programme quinquennal présenté en juin. Dans son ensemble, l’approche est presque similaire à celle de son concurrent BNP Paribas. Et se traduit, elle aussi, par une croissance prévue du nombre d’agences, en Afrique de l’Ouest principalement. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, principaux marchés francophones de cette zone, le groupe table ainsi sur l’ouverture de 90 nouvelles agences d’ici à 2015. À cela s’ajoutera une politique d’innovation des produits proposés à la clientèle, avec pour principal objectif la consolidation des parts de marché déjà acquises.
De fait, la Société générale, dont le réseau est le plus grand avec 838 agences réparties dans 15 pays du continent, s’est lancée, fin juin, dans le mobile banking au Sénégal via Yoban’tel, un service de transfert d’argent et de paiement de facture par téléphone mobile. Et il ne s’agirait là « que d’une première étape vers un déploiement généralisé sur l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne », selon Patrick Le Buffe, responsable Afrique, Méditerranée et Outre-mer à la Société générale. Sauf que, sur ce terrain, BNP Paribas a pris deux ans d’avance en inaugurant dès 2008 en Côte d’Ivoire, en partenariat avec France Télécom, Orange Money, un service de paiement qui permet aux clients d’effectuer des transactions grâce à leurs téléphones portables, à partir d’un compte qu’ils peuvent recharger à hauteur de 100 000 F CFA (150 euros), auprès de distributeurs partenaires. Orange Money a été étendu en avril dernier au Sénégal. Dans le viseur de ces deux banques, les populations non bancarisées, car moins de 10 % des Subsahariens ont accès aux services financiers.
« Les banques françaises, contrairement aux marocaines, sont dans une logique de marché. Elles s’adaptent au contexte local en ciblant les activités les plus rentables », explique Dhafer Saidane, expert auprès des Nations unies pour les questions liées au secteur financier en Afrique, pour qui l’efficacité de la politique d’expansion rapide des banques marocaines reste à prouver. « Les établissements marocains sont entièrement conscients que le retour sur leurs investissements subsahariens prendra du temps », lui rétorque un analyste de MediCapital Bank, filiale de BMCE. Mais selon ce dernier, ces groupes ont basé leur vision panafricaine sur les perspectives de croissance qu’offre l’Afrique subsaharienne pour les 20 prochaines années, et ont voulu la développer dès maintenant. « Au Maroc, aussi bien BMCE Bank qu’Attijariwafa comptent tirer 20 % de leurs revenus nets de leurs entités étrangères à moyen terme », ajoute-t-il.
L’Afrique du Nord, région hautement stratégique
Si certaines analyses ont évoqué un effet d’éviction face à la montée des banques africaines, et si la rumeur a, entre-temps, prêté aux banques françaises l’intention de vouloir quitter la partie subsaharienne du continent, Alain Le Noir, directeur général de l’association Finances sans frontières (FSF), estime que « la tendance des banques hexagonales est à la concentration de leurs activités sur certaines niches, le “corporate” par exemple ». Et ces établissements seront par ailleurs de plus en plus attirés vers l’Afrique du Nord. Car cette région, désormais hautement stratégique pour les groupes français, draine des flux financiers importants : les investissements directs étrangers dans la région ont atteint 18,3 milliards de dollars (environ 12,8 milliards d’euros) en 2009. « Après les acquisitions au Maroc et en Égypte l’année dernière, d’autres engagements sont encore envisageables en Afrique du Nord », affirme pour sa part un porte-parole du Crédit agricole.
« Outre le potentiel plus intéressant qu’offre l’Afrique du Nord aux établissements français, il faut aussi dire, poursuit l’analyste de MediCapital Bank, que le manque de liquidités [argent disponible, NDLR] ces deux dernières années en Occident a forcé les banques de la zone euro à réduire considérablement les risques et à opter pour une approche plus prudente en Afrique subsaharienne. » Offrant ainsi des opportunités aux établissements africains qui, en général, ont suffisamment de liquidités. Ceux-ci devront désormais réussir à gérer leur expansion qui, selon les experts, n’a été que « trop » rapide.
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