La rumba de Brazza

S’il est une passion qui unit tous les Congolais, c’est celle du rythme, du chant et de la danse. Portraits de quelques-uns des ambianceurs notoires de la rive droite du fleuve Congo.

En août 2009, Les Bantous de la Capitale ont célébré leurs 50 ans de carrière Brazzaville. © Baudouin Mouanda pour J.A.

En août 2009, Les Bantous de la Capitale ont célébré leurs 50 ans de carrière Brazzaville. © Baudouin Mouanda pour J.A.

Publié le 19 août 2010 Lecture : 4 minutes.

Congo, l’âge de raison
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Congo, l’âge de raison

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Les Bantous de la Capitale en France ! Pour ceux qui s’intéressent aux musiques d’Afrique, l’annonce, en 2007, de la venue du groupe congolais, que beaucoup pensaient disparu, était l’événement du festival Musiques métisses d’Angoulême, rampe de lancement en Europe de nombreux artistes du continent depuis plus de trente-cinq ans. 

Incontournables dans l’histoire musicale du pays, Les Bantous de la Capitale (alias Bakolo Mboka, « les grands du pays », « les doyens ») ont participé à l’écriture de la bande-son du temps où les deux Congos (Congo-Brazzaville et Congo-Léopoldville) ont gagné leur indépendance. Fondé notamment par le saxophoniste Jean-Serge Essous – décédé en novembre dernier, à 74 ans, à Brazza –, l’orchestre de légende interprète la fameuse rumba congolaise, née dans les années 1950 des deux côtés du fleuve Congo, à Brazzaville et à Léopoldville (rebaptisée Kinshasa en 1966), avant de se répandre dans l’Afrique tout entière.

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La saga des Bantous de la Capitale

De passage à Angoulême en 2007, l’écrivain congolais Wilfried N’Sondé se dira bouleversé à l’idée d’entendre des chansons qui ont bercé les premières années de sa vie. « Je me souviens de la fierté de mon père à prononcer simplement le nom du groupe. » Il est, poursuit-il, « l’affirmation d’une identité congolaise enfin libérée ». En prolongement de leur passage en France, les Bantous de la Capitale sortent un album, Bakolo Mboka (2007), sur le label français Cantos (Frochot Music), et peu de temps après paraît un ouvrage racon­tant leur saga, signé Clément Ossinonde (Les Bantous de la Capitale, éd. Cyriaque Bassoka).

Pamelo Mounka, l’auteur de L’argent appelle l’argent (1981), décédé en 1996, brillera de nombreuses années au sein de l’orchestre. L’aura des Bantous de la Capitale reste intacte, comme on l’a vu en août 2009, lors du 7e Festival panafricain de musique de Brazzaville (Fespam), qu’ils ont ouvert pour célébrer leurs 50 ans de carrière.

En 1959, alors que naissent Les Bantous de la Capitale, Antoine Moundanda forme, lui, un trio de likembés, avec, notamment, Papa Kourand. Antoine Moundanda est l’un des premiers à introduire le likembé (« piano à pouces » constitué de lamelles fixées sur une caisse de résonance) dans la musique du Congo. Un instrument qu’il transformera, portant de neuf à vingt-deux le nombre des lames chantantes. Avec son likembé devenu dès lors « géant », Antoine Moundanda interprète de la polka piquée, de la rumba ou bien des mélodies purement traditionnelles.

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Après une période florissante, son groupe baptisé du nom de son instrument fétiche se trouvera mis en sérieuse concurrence avec les formations électriques, qui tiennent le haut du pavé à partir des années 1960. Accompagné de son acolyte Papa Kourand, Antoine Moundanda poursuit alors cahin-caha sa carrière, après avoir tout de même gagné un prix au Festival des arts nègres de Dakar, en 1967. Tous deux seront rejoints plus tard par Raphael Mahela, avec lequel ils feront renaître le Likembé Géant.

De Boukaka à Zao, les chansonniers

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Autre personnage clé du paysage musical congolais, le chanteur engagé Franklin Boukaka, né à Brazzaville en 1940, a marqué les esprits avec des titres comme Le Bûcheron (Manu Dibango est directeur musical de l’album, en 1970), Les Immortels ou Pont sur le Congo, appelant à l’union entre les deux Congos. Accusé d’être défavorable au président Marien Ngouabi, il est exécuté, avec d’autres « opposants », après un coup d’État avorté, en 1972. C’est l’année de naissance, à Brazzaville, du rappeur franco-congolais Passi, qui, en 1998, avec le collectif Bisso Na Bisso, fera une « spéciale dédicace » au chanteur, dans l’album Racines.

Né en 1953 près de Brazzaville, Casimir Zoba, alias Zao, va se démarquer par sa verve, son ironie, pointant maux et travers, son message politique affleurant sous le rire. Élevé dans une famille de musiciens (son père jouait du likembé), comme beaucoup de gosses du continent, il fait son apprentissage au sein des chorales religieuses, des ballets traditionnels, et rejoint en tant que percussionniste le groupe Les Anges, l’un des ensembles que les autorités marxistes-léninistes du pays envoient en tournée vers les « pays frères » (Cuba, Algérie, RDA, URSS).

Parallèlement à son ascension avec Les Anges, Zao devient instituteur. Au début des années 1980, il entame une carrière solo jalonnée de succès : Corbillard et Ancien combattant (en 1984, ce titre, dont la paternité sera revendiquée plus tard par le Malien Idrissa Soumaoro, lui vaut le surnom de « Monsieur Cadavéré »), Moustique (1988) ou Patron (1989). Il s’impose comme l’un des auteurs majeurs de la chanson africaine humoristique.

Après s’être lancé dans la production (notamment pour Antoine Moundanda), il connaît une longue traversée du désert à la fin des années 1990. Le Congo est alors en proie à la guerre civile, au cours de laquelle, menacé, Zao doit se réfugier dans la forêt et perd son fils de 4 ans. Il réapparaît en 2006 avec un nouvel album, L’Aiguille, dans lequel il montre qu’il n’a rien perdu de son piquant.

Batteur très en vue de la scène congolaise, Émile Biayenda, qui a travaillé avec Zao, crée en 1991 l’ensemble Les Tambours de Brazza, des percussionnistes capables non seulement de frapper les peaux, mais aussi de danser avec un savoir-faire irréprochable.

Les tambours de Brazza, aux racines du jazz

Autour de la batterie du leader, les rythmes fusent en rangs serrés des tambours ngouri et mwana ngoma, du lokolé, des cloches… Toute la richesse rythmique du Congo explose et dialogue avec la batterie tantôt rock, tantôt jazzy d’Émile Biayenda, inventant un langage d’une esthétique très contemporaine.

L’aventure, commencée en 1991, aurait pu brutalement s’arrêter, victime des turbulences qui déchirent le pays à partir de 1993, si Émile Biayenda qui facilitera la venue des Bantous de la Capitale au festival Musiques métisses d’Angoulême en 2007 – n’avait pris le parti de faire redémarrer son groupe à partir de la France avec des artistes congolais exilés, comme lui. Médaille d’argent au concours de danse traditionnelle des IIe Jeux de la Francophonie, à Paris, en 1994, et, l’année suivante, l’un des temps forts du Marché des arts du spectacle africain (Masa), à Abidjan, Les Tambours de Brazza sont toujours là aujourd’hui, célébrant avec panache, à l’instar de beaucoup d’artistes du Congo, l’union libre et radieuse de la tradition et de la modernité.

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