Démagos de père en fille
Comme Jean-Marie Le Pen, Marine est une batteuse d’estrade. Mais contrairement à lui, elle évite les dérapages racistes ou xénophobes. En janvier 2011, elle devrait lui succéder à la tête du Front national. Son rêve ? Éliminer Nicolas Sarkozy au 1er tour de la présidentielle de 2012.
Avant de partir en vacances dans la résidence de sa richissime belle-famille, au cap Nègre, sur la Côte d’Azur, Nicolas Sarkozy a posé les jalons de la rentrée politique. Avec une pensée toute spéciale pour le Front national (FN). Il y a d’abord eu la stigmatisation des « gens du voyage » et des « roms ». Puis de martiales déclarations sur une possible déchéance pénale de la nationalité française pour ceux, « d’origine étrangère », qui auront attenté à la vie d’un policier ou d’un gendarme, suscitant aussitôt les hurlements de l’opposition et du monde associatif, qui dénoncent « l’inconstitutionnalité » de ces propositions « incendiaires ». On l’aura compris : l’immigration et la sécurité sont, une nouvelle fois, au centre du débat. Ce qui signifie que le chef de l’État revient chasser sur les terres, labourées depuis plus d’un quart de siècle, du FN.
Véritable épouvantail électoral depuis 1983, le parti d’extrême droite est aujourd’hui incarné par Marine, la fille cadette de Jean-Marie Le Pen, 82 ans, qui a programmé son retrait de la vie politique en janvier prochain. Gardienne du temple frontiste, Marine Le Pen, 42 ans, a immédiatement dénoncé « un plagiat » du programme de son parti, qui prévoit une réforme radicale du code de la nationalité. Selon elle, Sarkozy ne fait que reprendre « en play-back » une chanson créée par le FN. « Les Français préfèrent l’original à la copie », estimait déjà Jean-Marie Le Pen à propos des promesses électorales de Sarkozy. Ce ne fut pas le cas en 2007, ce pourrait l’être en 2012. Car plus personne ne doute que le Front national aura son mot à dire lors de la prochaine présidentielle. Et que son ambition est de faire trébucher le président sortant au premier tour, comme il l’avait fait en avril 2002 avec le Premier ministre Lionel Jospin. Reste à savoir si le président de la République sera tenté de composer avec Marine Le Pen…
Fière de son nom
Qui se cache derrière cette avocate blonde, née six ans après la fin de la guerre d’Algérie à Neuilly-sur-Seine, dynamique mère de famille et deux fois divorcée ? « Je suis fière de porter le nom de Le Pen, il n’y a que les imbéciles qui refusent de me saluer », nous confiait-elle, en 1998, en fumant une cigarette dans la salle des pas perdus du palais de justice de Paris. C’était avant son ascension météorique dans l’appareil du parti paternel, dont elle est aujourd’hui la vice-présidente.
Aujourd’hui plus ronde sur la forme que sur le fond de ses idées, elle est candidate déclarée – et grande favorite – à la présidence du FN. La désignation interviendra lors d’un congrès du parti, en janvier 2011. En attendant, Marine Le Pen pilonne à l’arme lourde un Nicolas Sarkozy qui, en 2007, avait commis un véritable hold-up électoral en réussissant à siphonner les voix frontistes. Alors, face à la surenchère sécuritaire de ce dernier, elle renvoie l’ascenseur et rappelle à l’envi que l’actuel président a été ministre de l’Intérieur dès 2002, et qu’à ce titre, il est le premier responsable du « catastrophique bilan » de la criminalité et de la délinquance depuis près de dix ans.
« La France se tribalise, grince-t-elle, on assiste à de véritables razzias, à des guerres territoriales, à des représailles, à un véritable terrorisme urbain. Et pendant ce temps-là, que fait Nicolas Sarkozy ? Eh bien il a supprimé douze mille policiers et gendarmes ! » Avec ce solide sens de la repartie et de la formule qui lui a échu en héritage, Marine, comme une boxeuse expérimentée, tape là où ça fait mal. Mais, plus prudente que son père, dont les innombrables dérapages verbaux avaient fini par ternir l’image et remplir le casier judiciaire, elle sort rarement des bornes du politiquement correct et du pénalement admissible.
Ancien officier parachutiste souvent accusé de torture pendant la guerre d’Algérie, Jean-Marie Le Pen a passé sa vie à dénoncer la censure dont il s’estimait victime de la part des médias. Mais la voix enrouée de Marine n’a jamais été bannie des ondes, loin de là. Elle commence même à devenir familière aux Français, désormais habitués aux refrains anxiogènes concernant la criminalité, la situation de « préguerre civile » dans les banlieues et le fétide débat sur « l’identité nationale ».
Si les questions liées à l’immigration constituent son fonds de commerce, elle ne s’y laisse pas confiner et, dans la grande tradition populiste, multiplie les attaques au lance-flamme pour dénoncer la corruption. Quand Sarkozy et son gouvernement s’enlisent dans une succession de scandales financiers, dont l’affaire Woerth-Bettencourt n’est que la partie visible, elle promet de lutter avec la même détermination contre « les voyous à capuche ou à col blanc ». Un écho aux déclarations de guerre de son père qui, pour séduire son électorat populaire, dénonçait naguère les dérives « mafieuses » de « l’établissement politico-financier ».
Dédiabolisation
Tout sourire devant les caméras et les micros, la jeune femme aux dents longues poursuit également sa stratégie de « dédiabolisation » du FN. Dans le même temps, l’universitaire Bruno Gollnisch, son rival déclaré à la succession de Jean-Marie Le Pen, tente lui aussi de sortir le parti du ghetto de « l’extrême droite », préférant l’appellation plus neutre de « droite nationaliste ».
Mais tout cela n’est que de la com’ politique. La vérité est que le FN reste un parti populiste, xénophobe et solidement ancré à la droite de la droite. En courtisant ouvertement l’électorat frontiste, après avoir fait les yeux doux à celui du centre et même du Parti socialiste, Nicolas Sarkozy joue un jeu dangereux et risque de se retrouver dans la situation du faussaire pris à la douane. Et il ouvre du même coup une boîte de pandore. Pourra-t-il longtemps avancer des propositions très proches de celles du FN tout en refusant, en application d’une sorte de principe de précaution républicain, toute alliance électorale avec lui ? À moins qu’il n’ait déjà décidé secrètement de franchir cette ligne rouge tracée par son prédécesseur, Jacques Chirac. À chacun son héritage…
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