Le Burkina sur le qui-vive
On pensait le pays à l’abri des salafistes. Mais parce qu’il jouxte le Mali et le Niger, le Nord est désormais surveillé de près. Les enjeux financiers sont énormes.
Mali, Mauritanie, Niger. Un territoire immense, majoritairement désertique, où salafistes, Touaregs et trafiquants se jouent des frontières. C’est là que les combattants d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) sont le plus actifs. Là que le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’est rendu les 26 et 27 juillet, après la mort de l’otage Michel Germaneau – enlevé au Niger et vraisemblablement tué par ses ravisseurs au Mali. Là que l’on essaie – avec plus ou moins de succès – de régionaliser la lutte contre le terrorisme.
Plus au sud, le Burkina Faso. Rarement consulté sur la question, il prend lui aussi très au sérieux la menace. Il n’est pas au centre des activités des combattants salafistes, mais « n’est pas à l’abri » d’une incursion, reconnaît aujourd’hui le ministre burkinabè de la Sécurité, Émile Ouédraogo.
Ses services sont en alerte depuis que, le 1er juillet, 114 ressortissants américains, pour la plupart des jeunes volontaires des Peace Corps, ont, à la demande de leur ambassade, quitté la région de Ouahigouya, dans le nord du pays. À l’origine de cette décision : une information recueillie par les services de renseignements américains, selon laquelle des activistes islamistes qui se seraient trouvés dans la ville de Koro, de l’autre côté de la frontière avec le Mali, auraient planifié l’enlèvement d’Américains.
Entre Koro et Ouahigouya, il n’y a qu’une cinquantaine de kilomètres. Et, selon Émile Ouédraogo, « les États-Unis sont mieux placés que quiconque dans la région pour avoir des informations » sur les déplacements des groupes armés. Pourtant, la décision de l’ambassade américaine laisse circonspects nombre d’observateurs. « Ouahigouya est très loin de la zone où se trouvent les chefs d’Aqmi, actuellement au nord-ouest de Kidal », note Mohamed Ould Mahmoud, vice-président du Réseau de plaidoyer pour la paix, la sécurité et le développement dans le nord du Mali (une structure créée dans le but de surveiller les déplacements des islamistes). « Cela paraît difficilement crédible qu’ils aillent si bas. » Une opinion que partage Alain Rodier, du Centre français de recherche sur le renseignement : « Généralement, les chefs de groupes d’Aqmi ne s’aventurent pas trop loin des zones géographiques qu’ils connaissent depuis des lustres. Pour l’instant, ils ne sont pas engagés au sud de Gao, au Mali. »
Après l’annonce du départ des Américains, le gouvernement burkinabè a tenté de minimiser la menace. La plupart des représentations occidentales n’ont pas jugé utile de suivre les États-Unis. Dans un avis publié sur son site, le ministère français des Affaires étrangères se contente de déconseiller à ses ressortissants « de se rendre dans l’extrême nord » du pays. Le Canada a fait de même.
Complicités locales
Au ministère de la Sécurité, on estime que si Aqmi devait pénétrer dans le pays ce ne serait certainement pas à Ouahigouya. « Des activistes ne passeraient pas inaperçus dans cette région peuplée de Mossis », indique Émile Ouédraogo. Dans cette ville, la troisième du pays, l’État peut compter sur un réseau de citoyens qui recueillent bénévolement des informations sur des « individus suspects » et les transmettent à la police. La donne est différente plus à l’est, dans la région de Dori, près de la frontière avec le Niger. « S’ils sont capables d’enlever tout près de Niamey, ils le sont aussi dans cette zone », estime un collaborateur du ministre. Ici, les activistes peuvent compter sur des complicités locales parmi les Touaregs. La zone a toujours été au cœur de tous les trafics : d’armes, de drogue, d’êtres humains. Les islamistes pourraient aussi tabler sur des initiatives individuelles de groupuscules locaux attirés par l’appât du gain, dans une zone que les Occidentaux n’ont pas encore fuie. « On sait comment Aqmi fonctionne. Ce ne sont pas forcément eux qui kidnappent. Souvent, ils achètent les otages à des groupes mafieux », précise Mohamed Ould Mahmoud.
Un vaste dispositif a donc été mis en place dans la région. Huit patrouilles armées couvrent le territoire quotidiennement ; deux gyrocoptères le survolent, ainsi que des avions américains. « Contrairement au Niger et au Mali, le Burkina Faso a anticipé parce qu’il y a beaucoup d’argent à la clé », note un conseiller du président Blaise Compaoré.
L’enjeu est de taille : c’est dans cette zone frontalière que se trouve la mine d’Essakane, où la production d’or vient tout juste de débuter et dans laquelle l’État fonde beaucoup d’espoir – il s’agit de la plus grande mine du pays, susceptible de doubler la production annuelle du Burkina Faso. Aujourd’hui, l’usine est particulièrement sécurisée. Le personnel doit respecter des consignes strictes, plusieurs postes de police l’encadrent et un bataillon de gendarmes y est affecté. Outre Essakane, la région compte d’autres gisements importants bientôt exploités.
Reste que sans une véritable coopération avec les pays voisins et sans l’aide financière des puissances occidentales, « tout cela ne servira à rien », note Émile Ouédraogo. Dans son ministère, on regrette l’absence de concertation. En dépit des déclarations officielles, « il n’y a pas de politique sous-régionale. C’est triste à dire, mais aujourd’hui ce sont les États-Unis qui jouent le rôle de transition entre nous ! » témoigne un collaborateur du ministre. « On va vers une plus grande coopération. Bilatérale dans un premier temps, puis régionale », assure pourtant Moctar Ouane, le ministre malien des Affaires étrangères.
Patrouilles
Pour l’heure, chaque pays tente tant bien que mal – et plus ou moins sérieusement – de mieux quadriller son territoire. Au Niger, les points fixes et les patrouilles ont été multipliés afin de « boucher les trous », selon les termes d’un membre des renseignements. Longtemps réticent à l’idée de s’opposer frontalement aux salafistes, le Mali donne l’impression de vouloir agir depuis les affaires Camatte (enlevé en novembre 2009, puis libéré en échange de prisonniers islamistes) et Germaneau. Une nouvelle stratégie a été adoptée en mars. Elle consiste à consolider les capacités de renseignement et de défense tout en autorisant les forces de sécurité algériennes et mauritaniennes à intervenir au Mali. En avril, l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger ont mis en place un quartier général pour lutter contre le réseau terroriste, à Tamanrasset, dans le Sud algérien. Fin juillet, Alger a en outre décidé de renouer diplomatiquement avec Bamako, en renvoyant un ambassadeur sur place. Mais tout cela ne suffira pas. Il faudra aussi limiter la circulation d’armes légères, nombreuses dans la bande sahélo-saharienne, et accélérer le développement d’une région trop longtemps oubliée des pouvoirs publics, au Mali comme au Burkina Faso. « La misère est le terreau du terrorisme », insiste Abdoulaye Abdoulkader Cissé, le ministre burkinabè des Mines, qui rappelle que des Burkinabè figurent déjà parmi les combattants d’Aqmi.
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