Une histoire vraiment cochonne
C’est un type qui entre dans un hôpital, à Leerdam, et qui se plaint.Vous me dites : il se plaint de quoi ? Des soins ? De la nourriture ? De la propreté ? Du chewing-gum que mâche la réceptionniste ?
Non : il proteste contre trois petits tableaux accrochés dans les couloirs de l’hôpital.
Vous soupirez : ah, cette histoire se déroule bien en Europe, pas au fin fond de la Numidie. Ces gens-là ont des problèmes de luxe. Nous, on n’a même pas une seringue propre ni un cachet d’aspirine et ces enfants gâtés se plaignent du décor…
Ben ouais. Bon. Donc le gus râle et exige qu’on décroche trois tableautins qui le débectent.
Maintenant, vous aimeriez bien savoir le pourquoi de la chose, non ? Hein ? Sont-ce des croûtes obscènes, des panoramas apocalyptiques, de la fresque fluorescente ?Pas du tout. Il s’agit de portraits, si l’on ose dire ; de portraits représentant trois petits cochons. On les entendrait presque grouiner «oiiiiiiink».
Bonne fille, la direction accepte d’enlever les toiles et de les remplacer par ces fameuses biches se désaltérant au bord d’un ru qui signalent dans le monde entier le triomphe définitif du mauvais goût petit-bourgeois. Affaire classée ? Que non : la droite populiste et l’extrême droite érigent illico des barricades (c’est une image), se répandent dans la presse et dans le caniveau, hurlent que les musulmans ont pris le pouvoir et qu’ils martyrisent nos pauv’ p’tits cochons. Où va-t-on, madame, je vous le demande. C’est la fin du monde, monsieur.
Quand la poussière est retombée, après l’émotion légitime de millions de Bataves qui s’inquiètent de l’avenir de leur bacon et de leur saucisson (va-t-on désormais devoir manger de la chèvre halal ? De la viande d’otage ?), on s’aperçoit avec stupeur que le bonhomme qui a déclenché toute l’histoire est à peu près aussi musulman que Voltaire ou Houellebecq : en fait, c’est un Hollandais pur fromage, blanc et protestant.
– Mais alors ? Mais que… ? vous étouffez-vous.
Eh bien, figurez-vous que le mauvais coucheur a protesté contre les trois petits cochons parce qu’il s’inquiétait pour la sensibilité de ses concitoyens musulmans. Il l’a fait par altruisme. Là, vous êtes KO, non ?
Interrogé par la presse, Habib Elkaddouri, de l’Union des Marocains des Pays-Bas, a affirmé qu’il ne connaissait pas un seul musulman qui aurait pris ombrage du triptyque cochonou. Tous les Maghrébins et Indonésiens interrogés dans la rue ont éclaté de rire ou haussé les épaules : franchement, quand on est à l’hôpital, on a autre chose à faire que s’indigner oiseusement.
Comme disait le maréchal de Villars : «Mon Dieu, protégez-moi de mes amis…»
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