Obama dompte Wall Street
Après la réforme de l’assurance maladie, celle du système financier. Pour le président, la loi promulguée le 21 juillet constitue un succès majeur… qu’une majorité d’Américains n’apprécient sans doute pas à sa juste valeur.
Barack Obama ne chôme pas. Après son plan de relance de 787 milliards de dollars (607 milliards d’euros), qui, en 2009, évita à l’économie américaine de s’effondrer, puis la réforme de l’assurance maladie, qui assure désormais à 32 millions de personnes une protection sociale dont elles étaient dépourvues, l’hôte de la Maison Blanche a promulgué le 21 juillet la loi Dodd-Frank, considérée comme la plus vaste réforme du secteur financier depuis la grande dépression des années 1930. « Les Américains n’auront plus jamais à payer pour les erreurs de Wall Street, a déclaré le président lors de la cérémonie de signature. Ces réformes prévoient des protections sans précédent dans l’Histoire. » Le régulateur qui vient d’être institué aura, a précisé Obama, une unique mission : « Faire attention aux gens et pas aux grandes banques, aux organismes de crédit ou aux investisseurs. » Conclusion : « C’est bon non seulement pour le consommateur, mais aussi pour l’économie tout entière. »
Il fallait dompter Wall Street. Tout le monde sait que la récession qui vient de balayer la planète est due aux excès du système financier américain, qui a spéculé de façon irresponsable. La crise des subprimes, qui a été à l’origine de la catastrophe, n’aurait pas été possible si la réglementation avait interdit de consentir des prêts à des familles dont on savait pertinemment qu’elles seraient incapables de les rembourser. Cette crise ne se serait pas mondialisée si les grands établissements financiers avaient été contraints de limiter leur spéculation sur ces subprimes trop rentables en raison de leur extrême dangerosité.
Un an de palabres
L’opinion américaine a mal vécu le plan de sauvetage que George W. Bush puis Barack Obama ont été contraints de mettre en place pour éviter la faillite du secteur bancaire et la tétanisation de l’économie qui en aurait découlé. Malgré les remboursements effectués depuis quelques mois, elle a toujours jugé que les 787 milliards de dollars de prêts consentis par le gouvernement fédéral aux banques étaient injustifiés, alors que celles-ci faisaient saisir par millions les demeures des Américains surendettés.
Il a fallu plus d’un an de palabres pour mettre au point un texte qui organise la transparence (en 2007, 325 shadow banks [« banques fantômes »] accordaient des prêts sans avoir été enregistrées), qui interdise les prises de risque excessives et qui rééquilibre le rapport de force entre le consommateur et sa banque.
Naturellement, Wall Street ne s’est pas laissé faire. On estime que 360 millions de dollars ont été dépensés en frais de lobbying auprès des membres du Congrès pour faire avorter le projet de réforme. Celui-ci a été qualifié de « gâchis » par Thomas J. Donohue, président de la Chambre de commerce américaine, et de « tueur d’emplois » par les républicains, en raison du frein qu’il était censé mettre à la croissance par excès de procédures bureaucratiques.
Pour obtenir, le 15 juillet au Sénat, le vote de ce document de 2 300 pages par 60 voix contre 39, Obama a été obligé de composer et de rogner le texte initial. Il y a gagné les voix de trois sénateurs républicains et perdu celle d’un démocrate qui a jugé que le projet avait été dénaturé. La loi votée demeure dans les limbes, car il faudra plusieurs mois, et dans certains cas plusieurs années, pour mettre en place les organes et les procédures qui encadreront définitivement Wall Street.
Reste que le président a accompli une œuvre majeure pour éviter le retour des errements passés. Sa réforme concerne la surveillance des banques, la limitation de leurs comportements à risque et la protection des consommateurs.
1. Surveillance des banques. Un conseil de surveillance identifiera les banques dont la taille ou l’activité représentent un risque systémique, c’est-à-dire pouvant mettre en péril l’ensemble du secteur financier. Elles seront surveillées de près et contraintes de renforcer leurs fonds propres ou de souscrire une police d’assurance.
Les établissements les plus importants (« too big to fail » : « trop importants pour faire faillite ») ne seront plus sauvés par l’argent public, mais devront préparer à froid leur démantèlement éventuel avec la Compagnie fédérale d’assurance des dépôts bancaires.
2. Limitation et transparence des activités spéculatives. Le projet de Paul Volcker, l’ancien président de la Réserve fédérale, de séparer banques de dépôts et banques d’affaires n’a pas été retenu, mais la loi limite la possibilité donnée aux banques de spéculer avec leur propre argent. Elles n’ont pas le droit d’investir plus de 3 % de leurs fonds propres dans des fonds spéculatifs ou de capital-investissement.
Les échanges de produits dérivés – dont les fameux subprimes –, qui étaient négociés de gré à gré, devront transiter par une chambre de compensation qui en gardera la trace.
Une mesure passée inaperçue a été glissée par le biais d’un amendement : les industries extractives (pétrole, gaz, mines) cotées à Wall Street devront en 2012 publier le montant des versements qu’elles effectuent au bénéfice des gouvernements des pays où elles opèrent. Saluée par les ONG comme une grande victoire de la transparence, cette obligation permettra aux citoyens des pays en développement de demander des comptes à leurs gouvernements respectifs concernant l’utilisation des revenus du sous-sol.
3. Protection du consommateur de produits financiers. Afin de protéger le client contre les crédits prédateurs, les établissements financiers devront publier les conditions d’attribution des prêts et le fonctionnement des découverts des cartes de crédit. Ils auront obligation de s’assurer de leur capacité à rembourser leur dette. Un Bureau indépendant de la protection du consommateur s’assurera du respect de ces procédures.
Ce succès n’est pas monté à la tête de Barack Obama. Il sait que la majorité de ses compatriotes n’est pas satisfaite de sa conduite des affaires du pays et juge qu’il ne s’occupe pas assez de l’économie. Aucune réforme ne trouvera grâce à leurs yeux tant que le chômage continuera de faire des ravages.
« Point n’est besoin d’être un analyste émérite pour comprendre que, si le chômage reste à 9,5 % de la population active, le parti au pouvoir va avoir des problèmes », a déclaré le président. Il redoute en effet qu’une déroute lors des élections de la mi-mandat, en novembre, le prive de sa majorité aussi bien au Sénat qu’à la Chambre des représentants.
Il va être contraint de mettre un bémol à ses volontés réformatrices pour se concilier une partie de ses adversaires républicains. Un autre de ses grands projets en a d’ores et déjà fait les frais : la loi sur l’énergie et la protection du climat attendra des jours meilleurs, car, même dans le camp démocrate, on redoute qu’elle ne compromette la compétitivité des entreprises américaines. Et donc l’emploi.
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