Tu ne haïras point

Un an et demi après avoir perdu trois de ses filles, tuées par un obus israélien lors de l’opération Plomb durci, à Gaza, le docteur Ezzeddine Aboulaïsh publie une autobiographie en forme de profession de foi.

Ezzeddine Aboulaïsh, avec l’un des ses enfants qui a survécu au bombardement © AP

Ezzeddine Aboulaïsh, avec l’un des ses enfants qui a survécu au bombardement © AP

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Publié le 4 août 2010 Lecture : 3 minutes.

Fils de réfugiés palestiniens, figure appréciée de l’opinion israélienne pour ses positions modérées, le docteur Ezzeddine Aboulaïsh, 56 ans, travaillait depuis 1993 au complexe hospitalier de Tel Hashomer, près de Tel-Aviv. Bloqué dans sa résidence de Gaza pendant l’opération Plomb durci (décembre 2008-janvier 2009), il était régulièrement sollicité par les médias israéliens pour apporter son témoignage sur la guerre. Le 16 janvier 2009, son ami Shlomi Eldar, journaliste de la chaîne Aroutz 10, tente de le joindre par téléphone sur le plateau du journal télévisé et branche le haut-parleur. Mais il ne décroche pas. Eldar fait une nouvelle tentative. Aboulaïsh répond enfin… en hurlant : « Ya Allah ! Mes filles, mes filles ! » Avant de pleurer en direct à chaudes larmes la mort de trois de ses filles – Bissan, 21 ans ; Mayar, 14 ans ; et Aya, 13 ans – et d’une nièce – Nour, 16 ans –, tuées dans leur chambre par un obus israélien. Les téléspectateurs sont sous le choc. Aboulaïsh vient de briser le plafond de verre de l’indifférence. Son témoignage déchirant a-t-il accéléré la fin de la guerre ? Toujours est-il que deux jours plus tard, Israël décrétait un cessez-le-feu unilatéral.

Installé aujourd’hui à Toronto, au Canada, le gynécologue palestinien a toujours refusé de verser dans la haine ou de crier vengeance, résolu à faire de cette tragédie « quelque chose de positif pour les civils de Gaza, qui souffrent d’injustice depuis tant d’années. […] Le sang de mes filles aura au moins ouvert les yeux de l’opinion israélienne. Les gens ont réalisé qu’il y avait des êtres humains, comme eux, dans la bande de Gaza ». Dans une interview au journal Haaretz publiée le 27 juillet à l’occasion de la parution de son autobiographie, I Shall Not Hate (« Je ne haïrai point »), il réitère sa profession de foi.

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« En tant que musulman croyant et homme de science, ma réponse à la haine et à la vengeance est ma capacité à les surmonter. […] Mes trois filles et ma nièce sont mortes. La vengeance, si caractéristique du Moyen-Orient, ne les ramènera pas. Il est important de ressentir la colère dans une telle situation, mais on peut choisir de ne pas la transformer en haine. […] Il existe dans les deux camps des gens qui ne demandent qu’à vivre en paix et dans la dignité. Je ne peux défendre les droits légitimes des Palestiniens sans défendre en même temps ceux des Israéliens. Le destin des deux peuples est intimement lié, à l’instar de celui de deux frères siamois. Si vous en frappez un, l’autre fera aussi l’expérience de la souffrance. Et nous partagerons tous la même douleur. […] Israéliens et Palestiniens doivent apprendre à se regarder dans un miroir et cesser de voir la paille dans l’œil de l’autre sans apercevoir la poutre dans le leur. Le temps qui passe ne fait que gonfler le rang des extrémistes. Mais la balle est aujourd’hui dans le camp israélien. […] Les deux peuples ont besoin de s’immuniser contre la haine. […] Nous devons apprendre à nous parler avec respect et cesser de nous rejeter mutuellement la responsabilité de notre malheur. »

« À mes yeux, la vie et la liberté individuelle sont essentielles. Je veux que Gilad Shalit [le soldat franco-israélien enlevé par le Hamas en 2006, NDLR] soit libéré et je comprends la détresse de ses parents. J’ai perdu trois filles et aucun membre du gouvernement israélien ne m’a présenté des excuses – au contraire, ils en sont même fiers. […] Mais que dire du refus du gouvernement israélien de libérer les prisonniers palestiniens ? Cela ne facilite pas les choses. Tous devraient être libérés et commencer une nouvelle vie. Nous sommes les deux faces d’une même pièce. […] Les enfants israéliens et palestiniens sont égaux. Un million et demi de Gazaouis souffrent quotidiennement. Chacun d’entre eux est un être humain comme Ehoud Barak et comme chaque citoyen israélien. Si nous voulons avancer, nous devons nous traiter mutuellement comme des êtres humains égaux. »

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