Il fait trop chaud pour travailler…

Instaurée par le protectorat, reconduite d’année en année depuis l’indépendance, la séance unique a la vie dure malgré son impact négatif sur l’activité économique.

Avenue Habib-Bourguiba, à Tunis, déserte en début d’après-midi. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

Avenue Habib-Bourguiba, à Tunis, déserte en début d’après-midi. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

Publié le 12 août 2010 Lecture : 3 minutes.

Des villes fantômes à partir de 15 heures, des plages bondées, de longues files aux péages des autoroutes… C’est à croire que toute la Tunisie est en vacances. En réalité, la population met simplement à profit l’aménagement des horaires de travail spécifique à l’été, la séance unique : chaque année, du 1er juillet au 31 août, les administrations et les banques ouvrent de 8 heures à 14 heures.

Entre les Tunisiens et la séance unique, c’est une longue histoire. Confirmation de Monia, agent d’assurances, qui affirme que la séance unique est sacrée, car elle n’a pas vraiment l’impression de travailler. Du coup, elle ne prend ses congés qu’au printemps. Ce phénomène exceptionnel au Maghreb est devenu inhérent à la société tunisienne ; l’été ne se conçoit qu’en mode séance unique. Instaurée par le protectorat pour cause de canicule, elle a été avalisée par le premier gouvernement indépendant en avril 1956. Depuis, elle est reconduite chaque année, même si elle est de plus en plus controversée.

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En l’absence d’un cadre juridique spécifique, elle relève davantage d’une coutume maintenue par l’État pour la fonction publique, alors que, dans le privé, elle dépend des conventions collectives ou sectorielles. Les débats sur l’aménagement du temps de travail, en 2008, lors du septième round des négociations entre les partenaires sociaux, n’ont rien changé : tenté d’instaurer une séance continue toute l’année, le secteur public n’en a rien fait. Le code du travail tunisien autorise cet aménagement puisqu’il prend aussi bien en considération le temps de travail hebdomadaire qu’annuel.

En juillet et en août, les citoyens ont donc l’impression singulière… de chercher midi à 14 heures, puisqu’ils sont obligés, dans leurs démarches avec les banques et l’administration, de se conformer à ces horaires pour le moins contraignants. Il leur faut faire preuve de patience, mais aussi de souplesse pour pouvoir effectuer les formalités les plus anodines, car, très souvent, ces horaires ne correspondent pas à un temps de travail réel ; la machine tourne au ralenti du fait du rythme de vie estival, mais aussi des sous-effectifs dus aux congés. Le secteur privé, après avoir tergiversé pendant quelques années, a majoritairement choisi de moduler le temps de travail selon les filières, alors que les entreprises étroitement liées à l’Europe ne changent rien à leur rythme.

Beaucoup de chefs d’entreprise rongent leur frein, soulignant le paradoxe qui consiste à rechercher la compétitivité et la performance tout en conservant des horaires obsolètes, notamment pour les banques. Ils revendiquent une harmonisation des horaires de travail avec ceux de leurs partenaires européens, même si la baisse de la productivité semble être incontournable durant l’été.

Léthargie générale

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Si, comme l’affirme la professeure Riadh Zghal, sociologue et économiste, « les effets de la léthargie estivale généralisée sont énormes », cet impact négatif va s’accentuer avec la réduction de facto du temps de travail pendant le ramadan qui, pour les cinq prochaines années, tombe au cœur de l’été, avec une réelle et lourde incidence sur le rendement. En outre, à partir de cette année, la Tunisie n’adoptera pas l’heure d’été, la rupture du jeûne étant jugée trop tardive à une période de l’année où la chaleur est accablante. Beaucoup relèvent que cela est absurde, la durée du jeûne, de l’aube au crépuscule, étant toujours la même, et soulignent que la séance unique, conjuguée au décalage horaire avec l’Europe, fait subir aux entreprises un véritable jet lag au quotidien.

D’autres préfèrent voir le verre à moitié plein : la séance unique et le ramadan seraient bénéfiques à l’économie nationale, car ce sont des périodes où les Tunisiens dépensent plus en loisirs et consomment un maximum de services. Mais les mêmes oublient simplement de relever que le rythme de vie estival et la vie nocturne font aussi bien disjoncter la facture énergétique que ralentir la machine économique. 

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