Une main de fer dans un gant de velours
Le Coran contre Al-Qaïda
Le premier président de la République tunisienne, Habib Bourguiba, a d’emblée serré la bride aux dignitaires religieux. En deux ans, de 1956 à 1958, il a réduit à néant leurs prérogatives, promulguant coup sur coup une série de décrets pour abolir la polygamie, la justice islamique, les écoles coraniques et les habous (biens de mainmorte), dont les ressources abondantes permettaient à la hiérarchie religieuse d’échapper au contrôle de l’État. Il a aussi recommandé aux femmes d’abandonner le safsari (voile) et n’a pas hésité à déclarer que le « djihad contre le sous-développement » prime le ramadan (qui entraîne un ralentissement général de l’activité économique pendant un mois).
Mais pour faire échec aux mouvements gauchistes et communistes, le parti unique a cru bon, à la fin des années 1960 et dans le courant des années 1970, d’encourager l’émergence de groupuscules d’obédience islamiste. Ces derniers finirent par créer leur propre parti – dans la clandestinité – en 1981. L’État a eu beau interdire le mouvement islamiste, celui-ci a pu s’épanouir dans la société, provoquant des manifestations, des agressions au vitriol contre les femmes jugées trop légèrement vêtues, voire des attentats (contre un bureau du parti et des hôtels) qui provoquèrent la chute du régime bourguibien, en 1987.
Son successeur, Zine el-Abidine Ben Ali, ne reviendra pas sur les « acquis » des femmes ni sur l’interdiction des partis religieux, mais réhabilitera l’islam – religion officielle de l’État depuis la Constitution de 1959 – dans ses prérogatives formelles : les appels à la prière sont diffusés à la radio et à la télévision, les fêtes religieuses sont célébrées avec solennité, l’université islamique est rouverte…
« L’islam auquel nous croyons, affirme Ben Ali, est l’islam de l’ijtihad [“effort d’interprétation”, NDLR], l’islam du renouveau perpétuel. C’est un islam qui assimile les innovations de l’époque et se met à leur diapason, qui prend position sur les grands problèmes auxquels sont confrontés les musulmans d’aujourd’hui. » Son objectif est de protéger les Tunisiens contre « toute manipulation religieuse » et tout « extrémisme », de prôner des « valeurs de juste milieu, de modération et de tolérance » et de bannir le repli identitaire, le fanatisme et l’obscurantisme. Cet objectif passe par un contrôle étroit des prêches et du financement des mosquées, l’interdiction de porter le voile et de se réunir dans l’enceinte des lieux de culte en dehors des heures de prière, la formation permanente des imams et des éducateurs. Celles ou ceux qui s’écartent de ce « juste milieu » sont mal vus (dans l’administration publique) et, dans certains cas, arrêtés ou poussés à l’exil.
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