Gabon : partenaires particuliers…

Depuis l’indépendance, petits services et grosses affaires ont ponctué les relations entre Paris et Libreville. La France n’a jamais hésité longtemps avant d’y envoyer ses paras, et les présidents gabonais – Léon Mba d’abord, puis Omar Bongo Ondimba – ont su se montrer reconnaissants. À la mort du « Vieux », en 2009, une page s’est tournée, et l’ancienne puissance coloniale a pris soin de se tenir, officiellement du moins, à l’écart des querelles de succession. Retour sur cinquante années d’une entente privilégiée.

Libreville, de nos jours. © J.L Dolmaire/J.A.

Libreville, de nos jours. © J.L Dolmaire/J.A.

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Publié le 11 août 2010 Lecture : 5 minutes.

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Gabon, partenaires particuliers

Sommaire

Entre la France et le Gabon, c’est une longue histoire d’amitié, faite de petits services et de grosses affaires. Au point que, cinquante ans après l’indépendance, Libreville donne l’impression de n’avoir jamais vraiment voulu rompre le lien. Pas plus que Paris, d’ailleurs.

Le 15 juillet 1960, un mois avant que le Gabon n’accède à l’indépendance, le Premier ministre français Michel Debré écrivait à son homologue, Léon Mba : « On vous donne l’indépendance à condition que l’État, une fois indépendant, s’engage à respecter les accords de coopération. L’un ne va pas sans l’autre. » Le ton était donné, comme pour sceller durablement leurs relations futures. Pour le meilleur et pour le pire.

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De fait, très vite, la France intervient au Gabon. Le 17 février 1964, Léon Mba est renversé. Lui qui ne voulait pas de l’indépendance et qui ne s’y était résolu que parce que le général de Gaulle n’avait pas souhaité faire du Gabon un département français, est devenu un « hyperprésident ». Il a passé moins de quatre années au pouvoir quand des militaires s’emparent du Palais et annoncent la mise en place d’un gouvernement provisoire dirigé par Jean-Hilaire Aubame, l’ennemi de toujours – et fondateur de l’Union démocratique et sociale du Gabon (UDSG). Paris réagit aussitôt et envoie des parachutistes stationnés à Dakar et Brazzaville. Le 20 février, toute résistance cesse. Aubame est arrêté et condamné à dix ans de prison.

Léon Mba revient donc aux affaires. Impopulaire et malade, le chef de l’État organise sa succession. En 1965, son choix se porte sur son jeune directeur de cabinet, dont il a remarqué la fougue et l’intelligence : Albert Bernard Bongo. Ce dernier est envoyé à Paris (« Tu vas aller en France, tu vas rencontrer le général de Gaulle », lui dit Léon Mba) et nommé ministre délégué à la Présidence, chargé de la Défense et des Affaires gouvernementales. Jacques Foccart, le Monsieur Afrique de l’Élysée, s’intéresse à ce « jeune autoritaire, qui sait ce qu’il veut, qui aurait de la fermeté mais pas la capacité à gouverner ». L’aggravation de l’état de santé de Léon Mba, hospitalisé à Paris en août 1966, a raison de ses hésitations. En novembre, Albert Bernard Bongo est nommé vice-président, et lorsque Léon Mba s’éteint, un an plus tard, Albert Bernard devient logiquement président. Il a 32 ans.

 

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Le jeune chef de l’État crée, dès le mois de mars 1968, le Parti démocratique gabonais (PDG), « pour en finir avec les divisions », balayant les dernières traces d’un multipartisme moribond (l’UDSG de Jean-Hilaire Aubame ne s’est jamais remis de la tentative de coup d’État de 1964).

De 1968 à 1980, Albert Bernard Bongo est seul maître à bord. L’élection présidentielle de 1973 tourne au plébiscite (99,6 % des voix). La confrontation avec Paul Mba Abessole, un jeune prêtre devenu opposant, va certes animer la vie politique, mais sans que jamais le contrôle de la situation échappe à Omar Bongo, entretemps converti à l’islam et réélu, en 1979, avec 99,8 % des voix. Il faut attendre 1981 pour que la création du Mouvement pour le redressement national (Morena) marque le retour de la contestation politique, sans empêcher toutefois que le chef de l’État soit réélu, en 1986, avec 99,97 % des suffrages.

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Clientélisme

Les années 1980 s’écoulent, moroses. En janvier 1990, fatigués par les inégalités et l’absence de démocratie, les étudiants descendent dans la rue à Libreville et Port-Gentil. Omar Bongo réagit et propose la tenue d’une conférence nationale, qui s’achève sur une concession majeure : le retour au multipartisme. Les règles du jeu politique s’en trouvent modifiées. Désormais, pour peser sur l’échiquier, tout homme politique doit être élu dans son département ou sa province d’origine. L’heure est au clientélisme.

En mai 1990, la mort de l’un des ténors de l’opposition, Joseph Rend­jambe, dans des circonstances non élucidées, déclenche une nouvelle vague de violences. Port-Gentil est en état d’insurrection et la France y envoie ses paras pour ramener l’ordre. Fragilisé, Bongo tient bon et son parti remporte, avec une courte majorité, les législatives de septembre 1990. Au fil des mois, il obtient le ralliement de ses adversaires, en prônant « le consensus ». Quitte à anesthésier le jeu politique. Le 5 décembre 1993, Bongo participe à sa première élection présidentielle concurrentielle et passe – de justesse – au premier tour avec 51 % des suffrages face à Paul Mba Abessole. Au scrutin de 1998, il fera mieux : 66 %.

Bongo, que la politique intérieure ne passionne plus, est devenu le doyen des chefs d’État. Malgré les affaires médiatico-judiciaires qui agitent Paris, les relations avec Jacques Chirac, l’ami devenu président, sont au beau fixe. Un lien privilégié qui lui permet, en juillet 2003, de faire sauter le verrou limitant le nombre de mandats. L’opposition, elle, est apathique. Mba Abessole a fini par entrer au gouvernement. Quant à l’autre opposant historique qu’est Pierre Mamboundou, il s’est considérablement rapproché d’Omar Bongo Ondimba (OBO ; le nom de son père a été rajouté par décret en 2003) après la présidentielle de 2005.

Rumeurs

Les années ont passé, et OBO est un homme fatigué. Depuis plusieurs années déjà, Libreville bruisse de rumeurs de maladie. À Paris, Nicolas Sarkozy succède à Jacques Chirac. Le nouveau président français n’a pas d’autre choix que de s’arrêter à Libreville lors de sa première tournée africaine, mais, entre les deux hommes, la complicité n’est plus de mise. Le 8 juin 2009, après une longue agonie, OBO s’éteint.

Ses obsèques, deux jours plus tard, se déroulent sur fond de luttes intestines entre les différents clans, qui tous prétendent à la succession. Le choix du PDG se porte vite sur le fils du défunt président, Ali Bongo Ondimba (ABO), et c’est lui qui remporte la présidentielle du 30 août. Des violences éclatent dans la ville de Port-Gentil ; la France est accusée d’avoir soutenu ABO. La Cour constitutionnelle se prononce pour un nouveau décompte des voix et confirme l’élection d’ABO, avec 41,79 % des voix. Une page vient de se tourner.

Quel bilan après un demi-siècle d’indépendance ? En dépit de sa petite taille (1,5 million d’habitants), le pays a acquis une réelle influence diplomatique sur la scène internationale. Sa voix est écoutée et respectée. Grâce à la manne pétrolière (17,5 millions de tonnes en 1999), ses habitants ont le revenu par tête le plus élevé du continent (10 941 dollars par an et par habitant), après la Libye et la Guinée équatoriale. Le taux de fréquentation de l’école primaire se situe à 94 % ; 88 Gabonais sur 100 disposent d’un téléphone. Mis à l’épreuve d’une transition, le système politique a montré sa capacité à gérer une succession à la tête du pays. Les institutions gabonaises sont perfectibles, mais elles fonctionnent. La presse bénéficie d’une relative liberté. Mais si on choisit de juger le pays à l’aune de ses formidables potentialités (pétrole, manganèse, fer, uranium, bois), nul doute qu’il aurait pu faire mieux.

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