États sauvages
Quand la revue « Foreign Policy » épingle des chefs d’État africains, tout se mélange et rien n’est vérifié.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 5 août 2010 Lecture : 1 minute.
Prestigieuse revue fondée il y a quarante ans par Samuel Huntington, Foreign Policy nous avait habitués à mieux. Annoncé en couverture de la dernière livraison de ce bimensuel américain, « le Comité pour détruire le monde » (rien que cela) fait voisiner Kim Jong-il et sa bombe avec… François Bozizé, le président de la Centrafrique ! Selon quelle logique ? Celle des « États faillis », concept fourre-tout à la mode dans les universités US, qui donne lieu à un inévitable classement – une vraie manie – en tête duquel se trouve… la Somalie.
FP, qui affirme avoir consulté « 90 000 sources disponibles » (!) pour en arriver là, nous donne sous le titre « How bad are they ? » une idée des critères retenus pour repérer ces États sauvages – en majorité africains : l’espérance de vie, le taux de mortalité infantile, le produit national brut par tête, mais aussi le nombre d’abonnés aux réseaux de téléphonie mobile, celui des utilisateurs d’internet et bien évidemment le nombre d’enfants par femme. Plus une femme est fertile, moins la société à laquelle elle appartient est civilisée. Manque juste à cette panoplie la densité des franchises McDonald’s et la consommation des cannettes de Coca-Cola ! Mais il y a pire. Cette longue « cover story » illustrée de photos chocs, à laquelle Mo Ibrahim et Paul Wolfowitz apportent leur caution, est ponctuée d’articles condescendants et expéditifs dans lesquels les chefs mafieux du « Comité pour détruire le monde » sont exécutés en quelques phrases méprisantes, le plus souvent fausses, sans aucun argument à l’appui.
Moubarak ? « autocrate sénile » ; Déby Itno ? « tyran paranoïaque » ; Zenawi ? « pire que Mengistu » ; El-Béchir ? « responsable de la mort de millions [sic] de Soudanais » et lui-même ex-propriétaire d’esclaves ; Compaoré ? « dictateur en carton-pâte sans vision ni agenda » ; Biya ? « brigand affable », Kagamé ? « pratique l’apartheid ethnique » ; Bozizé ? « dernier de sa classe à l’école d’officiers » ; etc. Tout se mélange, rien n’est vérifié, encore moins expliqué. Seule compte la petite phrase qui tue et qui conforte le lecteur dans ses fantasmes de rois nègres et de Républiques bananières. Inquiétant.
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