Sommet de Kampala : pourquoi le Kadhafi show n’a pas eu lieu
L’autoproclamé « roi des rois d’Afrique » ne ferait-il plus recette ? Lutte contre le terrorisme, guerre en Somalie, poursuites internationales contre Omar el-Béchir… Les chefs d’État réunis en Ouganda pour le 15e sommet de l’organisation panafricaine, du 25 au 27 juillet, se sont consacrés à l’essentiel. Et ont « retoqué » le débat sur les États-Unis d’Afrique cher à Mouammar Kadhafi. Récit d’une perte d’influence.
À peine trois minutes de discours lors de la cérémonie de clôture. Quelques tentatives de mise en scène certes remarquées mais sans conséquence. Un cortège de rois traditionnels accompagné jusque sous la grande tente dressée par les Ougandais dans les jardins du Munyonyo Speke Resort de Kampala. Quelques allers-retours dans une voiturette de golf devant une nuée de caméras et de photographes qui Lui tourne autour. « Lui », avec un L majuscule comme en rient certains pour moquer – ou craindre – son omniprésence, c’est le « Guide » libyen. Celui par qui, lors des derniers sommets de l’Union africaine (UA), le scandale arrivait. Le 15e sommet de l’organisation, qui s’est tenu du 25 au 27 juillet dans la capitale ougandaise, serait-il parvenu définitivement à inverser la tendance ?
Car au milieu des plantes luxuriantes qui bordent le lac Victoria, à mille milles de son désert étouffant, Mouammar Kadhafi a dû ravaler son chèche. Face à la détermination du président en exercice de l’UA, le Malawite Bingu wa Mutharika, il n’est pas parvenu à imposer ses sujets favoris : les États-Unis d’Afrique et la transformation de la Commission de l’institution en une Autorité de l’Union aux pouvoirs supranationaux.
Derrière son échec se dessine la domination de plus en plus flagrante, au sein de l’UA, des pays extérieurs à la zone d’influence libyenne, peu disposés semble-t-il à satisfaire ses caprices : l’Afrique australe mais aussi l’Éthiopie, dont le Premier ministre, Mélès Zenawi, a été de toutes les prises de bec lors du sommet de Kampala. C’est lui qui a « mouché » le Tchadien Idriss Déby Itno, au tout début du huis clos, le 26 juillet, quand ce dernier tentait d’imposer le débat sur les États-Unis d’Afrique au nom de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad). « Hors sujet », a-t-il lancé. C’est encore lui qui a dénoncé le premier les poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar el-Béchir. C’est enfin et surtout lui qui préside le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) depuis 2007 et, à ce titre, s’est fait le porte-parole du continent dans les instances internationales.
Sur les bords du lac Victoria, le 25 juillet (Crédit photo : Stephen Wandera/AP).
Invité au G8, participant du G20, avocat du continent sur le changement climatique, il est parvenu à se donner une visibilité à l’extérieur qui rejaillit sur son influence au sein de l’UA. Sa place de patron du Nepad, dès lors, fait des envieux. Le chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, a tenté, sans succès pour le moment, de lui ravir le poste, en l’accusant d’avoir voulu instaurer une « présidence à vie ». Il devrait revenir à la charge lors du prochain sommet du Nepad, en janvier à Addis-Abeba.
Refus d’une justice contre le continent
Une fois expédiée la question des réformes et des rivalités internes, entre deux accolades et les distractions, il restait tout de même à discuter de sujets d’actualité plus brûlants. Le débat sur l’attitude à tenir face à la CPI a ainsi duré plusieurs heures. Mais la condamnation des mandats d’arrêt émis contre Omar el-Béchir a vite fait consensus. Se défendant de prôner l’impunité, les dirigeants ont tenu, à Kampala, à marquer leur défiance face à cette justice exercée hors du continent et que l’on accuse d’être injustement dirigée contre l’Afrique. « Out », donc, la demande de la CPI d’ouvrir un bureau à Addis-Abeba, siège de l’UA.
« Soumettre un chef d’État dûment élu à ces accusations, c’est sous-estimer la solidarité africaine et mettre en danger la paix et la sécurité dans la région », a déclaré Bingu wa Mutharika dans son discours d’ouverture du sommet. « Ont-ils le droit de nous dire ce que nous devons faire ? Que dirai-je plus tard à mes petits-enfants ? Que j’ai laissé un président africain se faire juger en dehors du continent ? Impossible ! » Une antienne reprise par le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang, qui explique, cette fois-ci, au sujet du procès d’Hissène Habré que l’image de l’ex-président libérien Charles Taylor, menottes aux poignets, entouré de deux policiers européens, a suffisamment traumatisé le continent pour ne pas revivre cette humiliation.
Renfort de 2 000 hommes en Somalie
L’Organisation de l’unité africaine (OUA) avait été créée en 1963 pour libérer tous les peuples d’Afrique. En devenant Union africaine en 2002, le club des chefs d’État n’en a pas moins oublié le désir de marquer son indépendance face aux puissances occidentales. À Kampala, le refrain de l’appropriation par le continent de son avenir a une nouvelle fois été entonné. « Les partenaires extérieurs ne savent pas ou ne cherchent pas vraiment à comprendre les problèmes de l’Afrique », a regretté le président ougandais, Yoweri Museveni. « Vous avez spolié toutes nos ressources », a reproché Bingu wa Mutharika au commissaire européen au Développement, Andris Piebalgs, avec qui il s’est entretenu en privé.
Attaques faciles et de bonne guerre, pourra-t-on estimer. Car ceux qu’il faut « bouter hors du continent » aujourd’hui ne sont plus vraiment les anciens colons européens, au dire même des Africains. Mais plutôt, comme l’a exprimé Museveni, les terroristes qui, à chaque sommet et surtout à chaque nouveau crime, occupent un peu plus les esprits. Deux semaines après les attentats perpétrés par les Chabaab somaliens à Kampala, qui ont fait plus de 70 morts, et au moment de l’exécution de l’otage français Michel Germaneau par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), les chefs d’État ont réitéré leur détermination à lutter contre le terrorisme.
Un étage au-dessous du Victoria Ballroom où avaient lieu les huis clos, c’est dans une autre salle que s’est tenue l’une des rencontres les plus importantes du sommet sous haute sécurité de Kampala, le 26 juillet. Réunis autour des bailleurs de fonds européens et américains, les pays de l’Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est (Igal) ont promis 2 000 soldats en renfort au sein de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), qui en compte 6 100 actuellement. Quelle meilleure manière de prouver au reste du monde que l’Afrique n’a pas besoin du folklore Kadhafien pour se prendre en main ?
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