Sur les traces de l’Arabie éternelle

Avec « Routes d’Arabie », le musée du Louvre à Paris crée l’événement en regroupant 300 pièces toutes plus exceptionnelles les unes que les autres. La majorité d’entre elles n’ont jamais été présentées au public et révèlent l’existence d’une culture préislamique et anthropomorphe.

Tombe à Mad’in Salih (nord-ouest de l’Arabie saoudite). © Musée du Livre

Tombe à Mad’in Salih (nord-ouest de l’Arabie saoudite). © Musée du Livre

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Publié le 30 juillet 2010 Lecture : 5 minutes.

Cédant aux cyniques de l’époque, philosophes, anthropologues et historiens répètent à l’envi que le monde n’a plus rien à cacher et que les explorateurs sont une espèce en voie de disparition. Avec l’exposition « Routes d’Arabie* », qui s’est ouverte le 14 juillet, le Louvre prouve qu’il n’en est rien et que les endroits même familiers peuvent receler de grands mystères.

Loin des clichés sur l’Arabie saoudite, pays associé aux pétrodollars, à l’islam rigoriste et au désert, le musée parisien invite le visiteur à un voyage aux origines de la péninsule. De la préhistoire au début du XXe siècle, en passant par l’Antiquité et le Moyen Âge, l’on découvre l’histoire d’un pays fascinant, façonné par les grandes routes du commerce puis du pèlerinage et constitué d’abord d’oasis et de cités indépendantes.

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De g. à dr. : tête lihyanite, IVe-IIe siècle av. J.-C., statue lihyanite, IVe-IIIe siècle av. J.-C., stéle anthropomorphe, IVe millénaire av. J.-C. (Musée du Louvre/Saudi Commission for Tourism ans Antiquities/Musée du Louvre).

 

L’exposition, dont la scénographie alterne pièces archéologiques, cartes et photographies en noir et blanc, est d’autant plus exceptionnelle que « la majorité des 300 pièces n’ont jamais été vues non seulement en Occident mais également en Arabie saoudite pour la plupart d’entre elles », indique Béatrice André-Salvini, directrice du département des antiquités orientales au Louvre. Les œuvres proviennent essentiellement du musée de Riyad, du département d’archéologie de l’Université du roi Saoud et de musées régionaux.

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« C’est une première mondiale, ajoute Carine Juvin, co-commissaire de l’expo­sition. Certaines pièces étaient dans des réserves en Arabie saoudite et restaient inconnues. D’autres ont été publiées dans des catalogues en arabe très confidentiels et peu accessibles au grand public. » Et pour cause… Les deux tiers de l’exposition sont consacrés à la période préislamique, qui a longtemps constitué un tabou dans l’histoire de l’Arabie saoudite. Pour les Saoudiens les plus extrémistes, leur pays est né par et avec l’islam. L’époque préislamique, où régnait le cosmopolitisme, les échanges avec le monde chrétien et surtout le paganisme, se trouve frappée de nullité, voire d’inexistence. Au cours des cinquante dernières années, de nombreuses pièces archéologiques auraient même été détruites par méconnaissance ou intégrisme religieux.

Lors de l’inauguration de l’exposition le 12 juillet, beaucoup se sont donc étonnés de voir le ministre des Affaires étrangères, le prince Saoud al-Fayçal, se féliciter de cette exposition exceptionnelle qui non seulement dévoile un passé longtemps caché, mais va même jusqu’à l’exalter. Il y a ­encore quelques années, il était impossible d’imaginer qu’un ministre du royaume wahhabite puisse poser pour les photographes devant des stèles anthropomorphes ou des statues de colosses nus. Dans un article paru dans le quotidien saoudien Okaz, le journaliste Abdo Kahl, tout en se félicitant de cette ouverture d’esprit et de ce signe fort adressé aux extrémistes religieux, regrette que les Saoudiens ne puissent pas eux-mêmes voir cette exposition.

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Idoles païennes

Pour l’heureux visiteur du Louvre, ce voyage en Arabie n’en est que plus fascinant, voire émouvant. Dès l’entrée de l’exposition se dévoile une péninsule fondée sur le nomadisme, le voyage et le commerce. Cette mobilité incessante a fait du pays un carrefour d’influences. Les stèles funéraires, datant du IVe millénaire avant J.-C., rappellent que l’anthropo­morphisme n’a pas toujours été interdit. Certaines sculptures en grès rouge, qui n’ont rien à envier aux œuvres des maîtres cubistes, étonnent par leur modernité. L’une d’entre elles, présentée pour la première fois, a longtemps été interprétée comme « une de ces idoles païennes que le prophète a détruites », précise Béatrice André-Salvini. Les commissaires de l’exposition ne manquent pas d’ailleurs de remarquer qu’à cette époque déjà il y avait une nette sous-représentation des stèles féminines. De quoi couper l’herbe sous le pied de ceux qui prétendent que le machisme est né avec l’islam…

Entretenant des relations commerciales avec tous les grands comptoirs de la Méditerranée, l’Arabie est très influencée par les cultures hellénistique et romaine. En témoignent les représentations de scènes de banquet, mais aussi, et surtout, un masque en bronze datant du IIe siècle, qu’on ne serait pas étonné de trouver dans un musée de Pompéi ou d’Athènes. La partie consacrée à la culture islamique est d’une richesse saisissante. Privilège exceptionnel, l’Arabie saoudite a prêté au Louvre la porte de la Kaaba réalisée à la demande d’un sultan ottoman entre 1630 et 1636. Devant ce chef-d’œuvre de l’art islamique, richement décoré, on ne peut s’empêcher de penser aux milliers d’hommes et de femmes qui y ont posé leurs mains, réalisant ainsi le rêve le plus sacré de chaque musulman.

Certes, d’aucuns ont regretté l’absence du roi Abdallah pour inaugurer cet événement exceptionnel. Mais quel que soit l’état réel des relations politiques entre la France et l’Arabie saoudite, la coopération culturelle entre les deux pays reste intense, et le Louvre y joue un rôle central. En 2004, le musée signait un accord de collaboration culturelle avec le prince Sultan Ben Salman, président du Haut Comité du tourisme.

En 2006, Jacques Chirac admirait les « chefs-d’œuvre de la collection de l’Islam du Louvre » présentés au musée de Riyad et c’est à cette époque qu’est née l’idée de l’exposition « Routes d’Arabie ». La famille royale saoudienne n’a jamais caché son intérêt pour le musée parisien et le prince Sultan Ben Salman a même déclaré à la presse que La Joconde était une œuvre qui lui « nourrissait l’âme ». Le prince Al-Walid a d’ailleurs donné 17 millions d’euros au Louvre pour construire de nouvelles salles consacrées à l’art de l’Islam. Un don qui a encore accéléré la coopération scientifique entre le Louvre et les services d’archéologie saoudiens. De nombreuses pièces de l’exposition, notamment les statues colossales des anciens rois de Lihyan, ont d’ailleurs été restaurées au sein du musée parisien.

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