BP évitera-t-il le naufrage ?

Cession d’actifs, menace d’OPA hostile, indemnisation des victimes de la marée noire… Le fleuron britannique est aspiré dans une vertigineuse descente aux enfers.

Dans le golfe du Mexique, le pétrole continue à souiller les côtes. © AP/Sipa

Dans le golfe du Mexique, le pétrole continue à souiller les côtes. © AP/Sipa

Julien_Clemencot

Publié le 2 août 2010 Lecture : 6 minutes.

Fierté nationale en Grande-Bretagne avant l’explosion, le 20 avril, de sa plateforme pétrolière Deepwater Horizon, sur le site de Macondo dans le golfe du Mexique, British Petroleum (BP) est désormais un géant blessé. Un patient dont le Premier ministre, David Cameron, a plaidé la cause quand il a rencontré Barack Obama, les 19 et 20 juillet, soucieux de préserver les intérêts de la couronne menacés par l’envolée prévisible des demandes d’indemnisation.

Très critiqué pour sa gestion de la marée noire, Tony Hayward, le PDG du groupe, pourrait jeter l’éponge à la fin de l’été, selon le Times, à condition que le puits de Macondo soit définitivement bouché. Ce qui, après trois mois d’échec, pourrait intervenir prochainement. Bien que la direction de la compagnie ait démenti tout passage de témoin à la tête du groupe, ce scénario demeure fort probable. Robert Dudley, chargé des opérations de colmatage, serait pressenti pour devenir le nouveau PDG.

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Reste que BP apparaît de plus en plus comme une bête traquée qui doit se mettre au plus vite à l’abri de prédateurs éventuels. Depuis le 20 avril, la capitalisation du groupe a presque été divisée par deux, passant du deuxième au cinquième rang mondial des valeurs pétrolières. Le prix des actions est désormais inférieur de 40 % par rapport au record enregistré le jour avant l’accident (voir infographie). Une situation d’autant plus périlleuse que la facture de la marée noire ne cesse de monter et dépasse déjà les 3 milliards d’euros. Le coût total pourrait, selon la Royal Bank of Scotland, atteindre 50 milliards d’euros : soit un quart du chiffre d’affaires de la compagnie en 2009.

Prédateurs en embuscade

Pour alimenter le fonds d’indemnisation de 15,5 milliards d’euros négocié avec le président Obama, BP a conclu le 20 juillet un accord de cession d’actifs avec son concurrent américain Apache, pour un montant de 5,4 milliards d’euros. Cette vente concerne les activités de production de pétrole et de gaz dans l’ouest du Texas et le Nouveau-Mexique, aux États-Unis, dans l’ouest de l’Égypte, ainsi que des activités d’exploration-production de gaz naturel dans l’ouest du Canada. Apache a prévu de verser 3,8 milliards d’euros dès le 30 juillet, avant même le bouclage de la transaction. Les actifs cédés représentent des réserves de 385 millions de barils équivalents pétrole. D’autres activités marginales pourraient suivre, notamment au Pakistan et au Vietnam.

La menace d’une OPA hostile avait déjà poussé le groupe britannique à chercher un chevalier blanc pour acquérir 5 % à 10 % de son capital, pour un total de 7,3 milliards d’euros, début juillet. Mais la tournée dans les pays du Golfe s’était soldée par un échec. La compagnie compte aussi sur l’appui de Goldman Sachs, du Crédit Suisse et du fonds d’investissement Blackstone.

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Pas de gel global des projets

Si Christophe de Margerie, PDG de Total, a juré ses grands dieux qu’il était hors de question de profiter de la situation, tous ne l’entendent pas de cette oreille. ExxonMobil et Royal Dutch Shell sont régulièrement cités parmi les prédateurs en embuscade. Début juillet, Chokri Ghanem, patron de la compagnie pétrolière nationale libyenne, avançait même à découvert en indiquant qu’il allait recommander à la Libyan Investment Authority (fonds souverain libyen) de prendre une participation dans le capital de la compagnie.

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Cette crise majeure jette une ombre sur toutes les opérations de BP. Au sein de la discrète division des traders, on craint la suspicion d’insolvabilité qui entoure la compagnie. Il y a aussi des interrogations sur les capacités de l’entreprise à poursuivre ses investissements les plus stratégiques, par exemple les opérations d’exploration démarrées en Libye sur un territoire équivalent à la Belgique et au Luxembourg et chiffrées à près de 800 millions d’euros. Rien n’indique cependant un gel global des projets d’exploitation de nouveaux gisements. Le 19 juillet, BP a par exemple signé avec l’Égypte un accord concernant de nouveaux champs pétroliers en eau profonde au nord d’Alexandrie et à l’ouest du pays. Le groupe évalue les investissements requis à 7 milliards d’euros.

Pour les dirigeants, un chantier gigantesque s’ouvre. Dans les mois à venir, il faudra non seulement rétablir la santé et l’image de la compagnie, mais également restaurer le moral des troupes et éviter l’exode des collaborateurs les plus talentueux. Pour ses 80 000 employés, BP a perdu de son magnétisme, alors que le groupe figurait parmi les plus attrayants, offrant la sécurité de l’emploi, des perspectives de carrière, une retraite généreuse et la fierté d’appartenir à une entreprise innovante et performante.

Selon Stewart Johnson, consultant pour le cabinet de conseil britannique Molten, une pénurie de talents pourrait avoir des conséquences désastreuses. « Ils ont 40 projets majeurs dans les cinq à sept ans à venir, qui représentent une production d’un million de barils par jour. Sans les ressources internes pour gérer cela, ils vont devoir externaliser et cela aura un coût. »

Fait aggravant, la crise est venue des activités d’exploration et de production (E&P), celles qui emploient les meilleurs ingénieurs, le cœur même du système BP. Une branche amont devenue un pivot de la nouvelle stratégie mise en place par Tony Hayward, lui-même ancien numéro un de la division E&P, après le départ de Lord Browne, en 2007. Les équipes E&P étaient perçues comme les protégées du patron et, de fait, étaient souvent mieux payées. Et particulièrement l’unité chargée du golfe du Mexique, qui était considérée comme l’élite capable d’accomplir des prouesses irréalisables par les ingénieurs lambda.

Une succession d’incidents

Les ressentiments en interne sont aussi alimentés par la succession d’incidents rencontrés depuis quelques années par la filiale BP America, notamment l’explosion en 2005 de la raffinerie de Texas City, qui a provoqué la mort de 15 personnes, et les fuites sur les oléoducs en Alaska. Des problèmes de prévention des risques qui figuraient au premier rang des missions confiées au PDG. La sécurité a toujours été une priorité, mais Tony Hayward a redoublé d’effort en la matière, introduisant une standardisation des procédures pour l’ensemble des activités du groupe dans le monde. Cependant, le patron de BP a aussi fait la chasse aux coûts pour améliorer la performance financière de l’entreprise. « Chaque dollar compte », disait-il l’an dernier. Néanmoins, des sources proches de la compagnie expliquent qu’il est peu probable qu’un lien soit établi entre la réduction des coûts et l’accident.

Dans le vaste restaurant d’entreprise du campus de BP, à Sunbury, dans la banlieue ouest de Londres, Tony Hayward a essayé le mois dernier de rallier ses troupes avec un message d’espoir. Certes la compagnie est en soins intensifs, mais le fondement de ses activités demeure solide. Parmi les présents, quelques-uns saluèrent ce discours optimiste. Mais beaucoup n’ont pas décoléré, sidérés par l’incapacité de leur dirigeant à affronter la réalité de la crise qui submerge la compagnie.

Un conseiller de BP défend l’approche de Tony Hayward. « Je peux vous assurer que les dirigeants ne sont pas déconnectés de la réalité. Le problème est qu’ils ne contrôlent plus la situation, ce sont les États-Unis qui le font désormais. » Les critiques, il les réserve plutôt à Carl-Henric Svanberg, président du conseil d’administration, à qui il reproche d’avoir cédé trop facilement aux exigences américaines en matière d’indemnisation. « BP avait encore beaucoup d’arguments à faire valoir aux États-Unis. La compagnie emploie des dizaines de milliers de personnes, paie de grosses taxes et est un poids lourd de l’économie. N’était-il pas possible de mieux défendre les intérêts du groupe ? »

Tous les yeux sont maintenant braqués sur le puits de Macondo. Quand la fuite sera définitivement arrêtée, un long travail de redressement de la compagnie pourra débuter. Avec, dans les cartons, un plan de sauvetage articulé autour de nouvelles relations d’affaires, un nouveau management et des finances rétablies. Des annonces pourraient intervenir autour du 27 juillet, date de la publication des résultats du deuxième trimestre. Mais tout dépend pour le moment du colmatage du puits. En cas d’échec, dit un conseiller, la compagnie s’enfoncera un peu plus en enfer.

* © Financial Times et Jeune Afrique 2010.

James Boxell et Ed Crooks (Financial Times), avec Julien Clémençot (Jeune Afrique).

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