Nizar Baraka : « Nous devons remettre en marche l’ascenseur social »
Crise économique, réformes engagées, relations avec le Parlement… Bilan, à mi-parcours, de l’action du gouvernement de coalition entré en fonction en 2007 et dirigé par Abbas El Fassi, leader de l’Istiqlal.
La méthode Mohammed VI
Né en 1964 à Rabat, Nizar Baraka, petit-fils de Mohamed Allal El Fassi, l’un des fondateurs de l’Istiqlal, est aussi le gendre de l’actuel secrétaire général du parti, le Premier ministre, Abbas El Fassi. Il occupe une place importante au sein de l’Istiqlal, dont il a intégré les rangs dès l’âge de 17 ans, en 1981, avant d’être élu membre du conseil national (1989), du comité central (1998) et, depuis 2003, du comité exécutif.
Après un doctorat en sciences économiques (1992) et une première expérience dans l’enseignement universitaire, il entre en 1996 au ministère des Finances, où il occupera successivement les fonctions de chef de service des prévisions financières, de la division de la politique économique, de la division des synthèses macroéconomiques et, en 2006, de directeur adjoint à la Direction des études et des prévisions financières.
Nommé en 2005 par le roi au comité Ibn Rochd pour le renforcement de la coopération maroco-espagnole, Nizar Baraka a par ailleurs contribué à l’élaboration du rapport « Cinquante ans de développement humain au Maroc et perspectives pour 2025 » et a été nommé, en 2006, membre de l’Observatoire national pour le développement humain.
Par Cécile Manciaux.
Nizar Baraka est ministre délégué auprès du Premier ministre marocain,
en charge des Affaires économiques et générales.
© Alexandre Dupeyron
Jeune Afrique : Le gouvernement a entrepris une série de réformes structurelles, notamment dans les domaines de la justice, de la santé et de l’éducation. Comment est assurée la coordination entre ces vastes chantiers ?
Nizar Baraka : La politique des grands chantiers d’infrastructures lancée au début du règne par le souverain a permis de désenclaver les régions isolées, d’accélérer la croissance économique, de créer des emplois et d’attirer des investissements étrangers. En 2005, avec le lancement de l’Initiative nationale de développement humain (INDH), le souverain a défini le cap et a rappelé que toutes les politiques publiques devaient converger vers le développement humain.
C’est pourquoi ce gouvernement a lancé une nouvelle génération de réformes dans des domaines structurants tels que l’éducation, la santé et le système de solidarité, afin de valoriser les ressources humaines de notre pays, de faire de l’école le moteur de l’ascenseur social et de consolider la cohésion sociale. Mais, il faut le dire, tout cela a été rendu possible grâce à l’ancrage démocratique de notre pays. En effet, depuis le vote de la Constitution de 1996, nous sommes entrés dans un cercle vertueux : il y a eu l’ouverture politique, l’alternance consensuelle, et nous avons définitivement tourné la page de la falsification des élections avec l’avènement du nouveau règne. Cette évolution politique fait que nous avons pu nous concentrer sur l’essentiel, à savoir le développement humain et l’amélioration du niveau de vie des citoyens.
N’est-ce pas difficile, dans la conjoncture actuelle, de financer toutes ces réformes ?
Toutes les stratégies que je vous ai citées ont été budgétisées : on sait avec précision le niveau d’intervention de l’État dans leur financement, ainsi que les ressources humaines nécessaires. Bien sûr, il y a des risques liés au contexte économique international. Toutefois, nous disposons de marges de manœuvre, dans la mesure où nous avons bouclé l’année 2009 avec un déficit budgétaire de 2 % et où notre niveau d’endettement se situe à 47 % du PIB seulement.
Par ailleurs, nous avons développé le partenariat public-privé pour la mise en œuvre de nos politiques sectorielles, ce qui permet à la fois de réduire le poids de l’État et de faire du secteur privé un acteur et un partenaire essentiel pour le développement économique de notre pays.
La crise ne risque-t-elle donc pas de remettre en question les réformes engagées ?
Certes, la crise a eu un impact sur notre économie. Le PIB non agricole a enregistré un net ralentissement en 2009, les investissements directs étrangers ont baissé de près de 30 % et les transferts des Marocains de l’étranger ont diminué de 6 %. Mais nos stratégies ont quand même pu être financées : le budget de l’éducation a d’ailleurs presque doublé en trois ans. Dans cet environnement incertain, nous restons à la fois vigilants et ambitieux. C’est pourquoi, dans le cadre de la prochaine loi de finances, nous allons améliorer l’efficience des dépenses publiques, tout en maintenant le cap des réformes.
Vous dites que le développement humain et social est au cœur de la stratégie du gouvernement. Comment maintenir le cap dans cette direction en période de crise ?
Nous travaillons sur une série de mécanismes pour rendre l’action du gouvernement plus efficace et éviter tout gaspillage des deniers publics. Il s’agit notamment de mieux cibler les politiques publiques pour qu’elles répondent au mieux aux objectifs qui leur ont été assignés, en matière de lutte contre la pauvreté, de développement dans les zones montagneuses, de réalisation des Objectifs du millénaire, etc. D’ailleurs, l’INDH a permis de créer cette culture de la convergence et d’identifier des territoires prioritaires, où la pauvreté touche plus de 30 % de la population. C’est ainsi que nous avons pu mettre en place un programme prioritaire triennal pour répondre aux besoins de chacune de ces communes dans une parfaite articulation entre l’INDH et les différents départements ministériels concernés.
Par ailleurs, nous avons réactivé le Fonds de développement rural, qui n’était utilisé qu’en cas de sécheresse. Il va à présent pouvoir financer différents projets de développement intégré. Enfin, le gouvernement va développer les mécanismes de transferts monétaires directs conditionnels et le régime d’assistance médicale aux populations démunies.
Dans un discours de 2008, le roi a rappelé que l’une des orientations de votre gouvernement devait être l’élargissement de la classe moyenne…
C’est une thématique importante. Le Premier ministre préside d’ailleurs une commission interministérielle qui travaille sur le sujet. Pour élargir cette catégorie, nous devons remettre en marche l’ascenseur social, améliorer le niveau de vie des citoyens, créer des services publics à l’intention de la classe moyenne et, enfin, assurer la cohérence des politiques publiques.
Nous avons déjà mené plusieurs actions significatives. La plus importante est la baisse de l’impôt sur le revenu. On a également mis en place des services dédiés, comme les logements à 600 000 et 800 000 dirhams [54 000 et 72 000 euros, NDLR], avec un fonds de garantie de l’État. La classe moyenne est très importante : en développant des modèles éthiques de réussite individuelle, elle donne de l’espoir à nos jeunes. Elle renforce la croissance endogène de notre pays grâce à la consommation intérieure. Et elle est essentielle pour la stabilité sociale du pays.
Lors du bilan du gouvernement, le Premier ministre a été très critiqué par l’opposition, notamment par le Parti Authenticité et Modernité (PAM) et par le Parti de la justice et du développement (PJD)…
C’est aussi cela le jeu de la démocratie. L’opposition est dans son droit lorsqu’elle apporte la contradiction. Mais elle ne doit pas se contenter de critiquer. Il faudrait aussi qu’elle propose des alternatives aux politiques menées. En tous les cas, cela a été un bel exercice de débat démocratique. Et les partis de la majorité gouvernementale, au terme du mandat du gouvernement, sont prêts à rendre des comptes aux citoyens, qui auront, en dernier lieu, le pouvoir de juger notre action à travers les urnes.
Comment le gouvernement opère-t-il l’indispensable harmonisation entre les orientations royales et les propositions de loi qui émanent du Parlement ?
Il y a une articulation parfaite, étant donné que Sa Majesté le Roi est, de par la Constitution, le chef de l’exécutif. Toutes les lois sont approuvées en Conseil des ministres, présidé par le souverain. Et puis il y a la pratique démocratique, avec un Parlement qui amende, adopte et rédige des propositions de loi. D’ailleurs, sous ce gouvernement ont été approuvées, à mi-mandat, deux fois plus de propositions de loi que lors de la dernière législature. Et celles-ci ont été le fait de la majorité, mais aussi de l’opposition.
Les législatives de 2012 approchent. La campagne est-elle déjà engagée ?
Je dirais même que la campagne a commencé dès 2007. À partir du moment où Sa Majesté a choisi d’appliquer la méthodologie démocratique en nommant un Premier ministre ayant la légitimité des urnes et issu du premier parti du pays en termes de sièges, beaucoup de partis ont pour ambition d’arriver en tête lors des prochaines législatives. C’est ce qui explique que les élections communales de juin 2009 ont été particulièrement disputées, puisqu’elles constituent un moyen de bien se positionner pour les prochaines législatives. Aujourd’hui, nous sommes donc clairement en précampagne…
La principale bataille de 2012 n’est-elle pas aussi la lutte contre l’abstention ?
Bien entendu. Et, sur ce point, notre gouvernement a fait un pari : pour que les Marocains s’intéressent de nouveau à la politique, il faut coller au programme présenté par les partis de la majorité lors des élections et montrer au citoyen que son vote a du sens. Si les citoyens voient les résultats concrets de leur vote, ils retourneront aux urnes. Par ailleurs, pour lutter contre l’abstention, il me semble essentiel de clarifier la carte politique et de mettre fin à la confusion actuelle pour éviter que le politique ne nous détourne de la voie du développement humain tracée par le souverain.
Mais comment faire pour que le citoyen perçoive les résultats de vos politiques ?
Qu’on le veuille ou non, il y a des chiffres qui ne trompent pas et qui prouvent que la situation des Marocains s’est améliorée. La consommation électrique par habitant a doublé en dix ans, le revenu par habitant a augmenté de 4 % par an et les bas salaires ont augmenté de 10 % à 40 % ces deux dernières années. Par ailleurs, on a observé que les gens s’acquittaient plus facilement de leurs impôts, ce qui prouve qu’avec les grands chantiers et les politiques menées en faveur du développement humain les Marocains font plus confiance à l’État pour la gestion de leur argent. Le civisme est en train de prendre, et c’est pour nous un grand sujet de satisfaction.
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