Noces à crédit

L’été, tous les jours, c’est jour de mariage. Une véritable industrie pour des prestataires de plus en plus nombreux. Et un cortège de dépenses pour les jeunes couples, dont beaucoup voient leur vie commune commencer dans le rouge.

Trois soirées sont organisées dont la cérémonie du henné, entre femmes. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

Trois soirées sont organisées dont la cérémonie du henné, entre femmes. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

Publié le 3 août 2010 Lecture : 5 minutes.

Que ceux qui pensent qu’en été, en Tunisie, il fait trop chaud pour travailler se détrompent. Toute une fourmilière s’active autour de ce qui est devenu une industrie, celle du mariage. Les noces en été sont plus ou moins une habitude, étant donné que la famille et les amis sont plus disponibles et que, pour la plupart des Tunisiens, il ne peut y avoir de fête sans qu’aient été ameutés le ban et l’arrière-ban, et qu’un maximum de témoins assistent à l’heureux événement. Ce qui est une histoire à deux devient alors une affaire de familles…

Rym et Moez vont se marier en cette fin de juillet, sans trop comprendre ce qui leur arrive. « La situation nous a échappé, nous souhaitions un mariage intime, pépère, et on s’est retrouvés dans un plan organisé par les familles, qui respecte en tout point la tradition. Cela nous étonne parce que nos parents s’étaient mariés en catimini avec juste deux témoins et leurs proches. On dirait qu’ils veulent vivre, à travers nous, quelque chose qu’ils n’ont pas accompli. Ce ne serait pas grave si nous ne devions pas, aussi, supporter les coûts de tous ces rituels. »

la suite après cette publicité

Chasse aux trésors pour un trousseau

Malgré eux, Rym et Moez sont donc devenus le prototype du jeune couple convolant en justes noces. À 26 ans, Rym est ingénieure dans une SII, une société en ingénierie informatique, et Moez, 31 ans, est délégué médical. Comme la moyenne des aspirants au mariage, ils ont fini leurs études et sont autonomes financièrement. Leurs deux salaires leur permettent de vivre sans souci. Mais, comme beaucoup de futurs époux, ils sont aujourd’hui pris à la gorge par les frais engagés pour leur mariage, même si leurs parents participent aux dépenses.

La mère de Rym a depuis longtemps constitué le trousseau de sa fille. Comme c’est la troisième qu’elle marie, elle sait où et comment dénicher les petits plus à petits prix. Et il faut que tout soit au mieux pour la présentation du trousseau, puisque les familles ont décidé que toutes les traditions seraient respectées… à commencer par celle de l’installation des effets de la jeune mariée dans son nouveau logis. Là, parentes et amies scruteront le moindre drap, la moindre serviette, et il faut en mettre plein la vue.

Rym est épuisée. « J’en ai assez d’accumuler des choses inutiles, de bons draps en coton feraient plus l’affaire que les improbables broderies que l’on me somme de choisir… » Rien que pour son trousseau, Rym a dépensé – de sa poche – près de 1 000 euros, sans compter les babioles offertes par les uns et les autres. Elle est affolée car elle ne reconnaît plus sa mère : « Je ne pensais pas qu’elle pouvait focaliser autant sur ce qui devrait être le plus beau jour de ma vie. Elle est tout le temps sur le sentier de la guerre, elle veille au moindre détail, comme si la survie de la planète en dépendait. Mon père m’a offert ma robe de cérémonie, mais j’ai dû suivre ma mère chez les meilleurs couturiers pour choisir des tenues pour les autres festivités, j’y ai laissé près de deux salaires. Je ne compte pas la course pour réserver le meilleur traiteur et les polémiques autour des dragées, des invitations… Je l’ai freinée sur les bijoux, j’en emprunterai à mes sœurs, sinon je ne m’en sortirai jamais. Entre les robes et le maquillage, il y en a pour environ 3 000 euros. Je conçois qu’elle souhaite le meilleur pour moi, mais j’aurais été tout aussi heureuse avec des choses plus modestes, moins de stress et moins de dépenses. »

la suite après cette publicité

Famille, quand tu nous tiens…

Moez ne se sent guère mieux. D’autant qu’il supporte le plus gros des dépenses, puisque, en tant qu’époux, il prend en charge la réception, la location de la voiture, la décoration florale, l’animation musicale, le photo­graphe et le vidéaste. « J’ai l’impression de monter une superproduction hollywoodienne. On dirait que tout le monde ne pense qu’aux cérémonies, mais il nous faut aussi meubler un appartement et commencer une nouvelle vie, puisque nous quittons nos familles. Je suis choqué par le prix que demandent les prestataires de services, rien que pour les photos et la vidéo, on m’a demandé 500 euros ! » Moez confie que ses économies ont fondu et qu’il a dû contracter un crédit auprès de sa banque pour pouvoir boucler un budget qu’il estime à 6 000 euros pour la cérémonie et à 8 000 euros pour l’aménagement de l’appartement.

la suite après cette publicité

Si les jeunes couples aspirent à des noces moins m’as-tu-vu, sont pragmatiques et préféreraient investir plus dans leur futur logement que dans les fastes du « plus beau jour de leur vie », ils n’en sont pas moins romantiques. Rym et Moez sont ainsi d’accord sur une chose : ils ne sacrifieront pas leur voyage de noces, comme tant d’autres le font. « Au point où nous en sommes, sourit Rym, cela vaut le coup d’investir dans une semaine en amoureux, loin des familles… »

La confrérie des prestataires de services s’en donne à cœur joie et fait flamber les prix, d’autant que la demande dépasse largement l’offre pour une saison de plus en plus courte, le ramadan s’invitant au cœur de l’été. La tendance actuelle est de mêler le traditionnel et l’occidental, d’où la multiplication des cérémonies : celle du henné, celle de l’adieu au célibat, celle du mariage, qui ne peut se conclure sans une fête mémorable. Certaines salles de réception sont réservées plus d’un an à l’avance, et l’agenda des chanteurs et troupes musicales compte deux ou trois fêtes par jour. Fleuristes, traiteurs et pâtissiers croulent sous les commandes.

Ces dernières années, une nouvelle corporation à fait son nid, celle des organisateurs de mariages, qui livrent tout clés en main – ou à la carte – et évitent aux couples et à leurs familles de se perdre dans le dédale des propositions de services. Là aussi, la facture est salée, mais leur clientèle, si elle est exigeante, est généralement de celles qui peuvent se permettre de débourser des sommes importantes pour peu que le service soit exclusif et original. Ce jour-là étant, a priori, unique pour les clients, il s’agit de ne pas faire comme les autres, et de faire d’un mariage la soirée dont tout le monde parlera.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires