Campbell – Taylor : la belle et la brute
Entre Naomi Campbell et Charles Taylor, c’est l’histoire d’une rencontre improbable, avec Mandela dans le rôle de l’entremetteur. Début août, la top-modèle doit aller témoigner face à l’ex-président libérien jugé à La Haye pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Liberia : Charles Taylor, itinéraire d’un tueur
Plongée dans la vie et les œuvres de Charles Taylor à travers toute une série d’articles d’époque issus des archives de Jeune Afrique.
Les paparazzis se feront un plaisir d’immortaliser la scène : Naomi Campbell et ses jambes interminables gravissant les quelques marches qui mènent au portillon de la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye. D’habitude, les photos montrent la top-modèle mettant un pied devant l’autre sur le podium d’un défilé de mode ou étendue en bonne compagnie sur la proue d’un yacht.
Parfois aussi, un sac Louis Vuitton en main – elle est l’une des ambassadrices du malletier parisien –, on peut la voir pressant le pas dans un aéroport (« Je ne passe jamais plus de quarante-huit heures au même endroit », dit-elle souvent). Cette fois-ci, le décor sera plus raide, moins glamour : le perron d’un building blanc qui fut autrefois le siège d’une compagnie de télécoms, bordé par une voie rapide, dans l’austère métropole des Pays-Bas.
Attendu pour le début du mois d’août, l’improbable rendez-vous entre la diva et la justice internationale devrait se produire sous les yeux d’un autre personnage. Il est lui aussi haut en couleur, mais dans un registre macabre : Charles Taylor, 62 ans, président sanguinaire du Liberia de 1997 à 2003. Naomi Campbell, 40 ans, dont vingt-cinq à afficher en une des magazines sa silhouette idéale et son visage métissé (de nationalité britannique, elle est d’origine afro-jamaïcaine par sa mère, sino-jamaïcaine par son père), a en effet reçu, le 30 juin, une très officielle assignation à témoigner devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), qui juge l’ex-dictateur aux verres fumés.
L’institution, indépendante de la CPI mais hébergée dans ses locaux, a été créée par les Nations unies et le gouvernement sierra-léonais pour identifier les responsables de la seconde partie de la guerre (1996-2002) qui a ravagé le pays, faisant près de 100 000 morts et autant de mutilés (« Manche courte ou manche longue ? » était une question souvent posée par les rebelles aux victimes, pour définir le niveau où leur bras allait être coupé). Sous le coup de onze chefs d’inculpation relevant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, Charles Taylor est le dernier accusé à être jugé. Soupçonné d’avoir activement soutenu la rébellion du Front révolutionnaire uni (RUF) dans cet État voisin du Liberia, notamment en vendant des diamants pour acheter des armes, il plaide non coupable.
Un simple caillou
Que vient faire la jet-setteuse dans une affaire hantée par les assassinats, les viols et l’esclavage sexuel ? Naomi Campbell n’a jamais mis les pieds en Sierra Leone. Elle est plus célèbre pour son tempérament volcanique et ses conquêtes (l’acteur Robert De Niro, les chanteurs Eric Clapton et Prince en font partie) que pour sa maîtrise de la géopolitique ouest-africaine de la fin des années 1990.
De l’Afrique, elle connaît surtout les nuits de Marrakech, où elle possède une maison, et les plages de la côte kenyane, où elle a passé des vacances avec l’un de ses ex, Flavio Briatore (un ancien patron d’écuries de Formule 1) et un jour caressé l’idée de construire un casino huppé (le projet a déclenché la crainte des associations locales de protection de l’environnement). Dans son album photo du continent, il y a aussi Nelson Mandela, qu’elle appelle « grand-père ». Et puis l’Égypte. En août 2008, le directeur des antiquités, Zahi Hawass, lui a remis un prix après une visite des pyramides à ses côtés. Les égyptologues en sont encore intrigués. On reste en tout cas loin, très loin du cortège des horreurs sierra-léonaises.
C’est en fait un simple caillou, certainement pas plus gros qu’une balle de ping-pong, qui conduit aujourd’hui la « panthère » devant la justice. Selon la procureure du TSSL, l’Américaine Brenda Hollis, Charles Taylor aurait offert un diamant brut à Naomi Campbell lors d’un dîner chez Nelson Mandela, en Afrique du Sud, en septembre 1997. En confirmant l’information, la top-modèle apporterait la preuve que Charles Taylor ment. Depuis le début de son procès, il affirme n’avoir jamais transporté, possédé ou vendu des diamants. Les seuls qu’il ait jamais détenus, explique-t-il, sont des bijoux de famille. L’accusation, pourtant, le soupçonne d’avoir profité de son séjour en Afrique du Sud pour y vendre des diamants donnés par la rébellion sierra-léonaise et, en retour, organiser des livraisons d’armes. Le diamant offert à Naomi aurait fait partie du lot destiné à la vente.
Dans leur assignation, les juges disent vouloir éclaircir les « interactions » entre la top-modèle et Charles Taylor. Pour eux, sa participation à l’enquête est « cruciale ». Gênée d’être mêlée à une affaire impliquant le monstre du Liberia, la belle s’est longtemps cabrée. Mais de multiples frasques ont écorné son image – comme insulter des agents de la compagnie British Airways pour un bagage perdu –, et Naomi se surveille. Sollicitée par le TSSL depuis juin 2009, elle a d’abord refusé de parler à l’accusation. Interrogée sur le cadeau empoisonné par la chaîne américaine ABC, en février dernier, elle a lancé : « Je n’ai pas reçu de diamant et je ne parlerai pas de cela, merci beaucoup », avant de donner un coup dans la caméra.
Deux mois et demi plus tard, sur le plateau de la vedette Oprah Winfrey, elle s’adoucit et, les yeux humides, dit craindre pour sa famille si elle témoigne. Puis Gideon Benaim, son représentant légal (spécialisé dans l’image, il a notamment défendu le réalisateur Roman Polanski), signifie au TSSL que sa cliente se soumettrait à une assignation. Le TSSL s’y est résolu. La dérobade est désormais impossible pour Naomi, un refus de témoigner pouvant entraîner une peine de sept ans de prison.
Showbiz
La date de la comparution, qui sera publique, a d’abord été fixée au 29 juillet. Mais, pour des raisons qu’elle n’a pas expliquées, Mme Campbell a demandé un report via son avocat. Elle devrait finalement avoir lieu le 5 août.
Charles Taylor a beau être le premier ancien chef d’État africain à se retrouver devant la justice internationale, l’enfer de la Sierra Leone n’a jamais attiré les foules à La Haye. Mais, avec Naomi Campbell dans la salle d’audience, les bancs réservés à l’assistance se rempliront sûrement. Les « spectateurs » de cette pièce insolite découvriront alors une intrigue dont les personnages secondaires sont aussi célèbres que les protagonistes.
Parmi les seconds rôles, il y a d’abord une icône : Nelson Mandela, dans la peau de l’entremetteur malgré lui. Madiba, qui vient de fêter ses 92 ans, est en effet à l’origine de la rencontre – vraisemblablement la seule – entre Charles Taylor et Naomi Campbell. Nous sommes en septembre 1997. Le héros de la lutte contre l’apartheid préside l’Afrique du Sud. « Superglu » (un surnom de Taylor, les billets passant entre ses mains ayant l’habitude d’y rester), lui, a été élu deux mois plus tôt à la tête du Liberia, avec 75 % des voix et après des années de rébellion.
Son slogan de campagne est prémonitoire : Il a tué mon père, il a tué ma mère, je vais voter pour lui » (sous-entendu, sinon, cela continuera). Tout juste investi, il commence une tournée sur le continent, qui le conduira ensuite au Nigeria, au Burkina Faso, au Niger, en Tunisie et en Libye. À Pretoria, il est invité en tant que chef d’État au dîner de charité que son homologue sud-africain organise dans sa résidence, le 26 septembre 1997.
Autour de Mandela, de son épouse, Graça Machel, et de Charles Taylor, qui, malgré des manières de boucher dans son pays, sait se montrer fin et plaisant dans les soirées mondaines, il y a aussi ce soir-là le showbiz : l’actrice américaine Mia Farrow, le joueur de cricket pakistanais Imran Khan, le compositeur et producteur (de Michael Jackson) Quincy Jones et… Naomi Campbell. La top-modèle, 27 ans à l’époque, se dit très attachée à Nelson Mandela.
Elle vient de voyager avec lui, Mia Farrow et Graça Machel à bord du luxueux Blue Train à travers l’Afrique du Sud. Elle finance sa fondation pour les enfants (avec des dons de 50 000 dollars en 1997 et 1998) et aime poser à ses côtés. Pour les magazines, l’explication de cet attachement est simple : la princesse un peu garce est en fait un cœur fragile. Celle qui fut la première mannequin « black » à avoir fait la une de Vogue aurait trouvé en Madiba le père qui l’a abandonnée quand elle était petite fille.
Cargaison d’armes
Ce 26 septembre 1997 donc, on dîne, on boit, on rit. On pose même pour une joyeuse photo souvenir. Puis chacun regagne ses appartements pour la nuit, les invités étant logés sur place. La suite a été rapportée par Mia Farrow dans une déclaration signée au TSSL, en décembre dernier, puis devant les caméras d’ABC. Selon l’actrice américaine, au petit-déjeuner, Naomi Campbell lui a raconté sa nuit. Elle fut plus inattendue que torride : plusieurs hommes se réclamant de Charles Taylor l’ont réveillée en frappant à sa porte. Ils lui ont ensuite offert un diamant brut de la part de leur boss. Tout simplement.
Bien élevée, la top-modèle a accepté et, le lendemain, a assuré à son amie Mia qu’elle en ferait don à la fondation de Nelson Mandela (qui dit ne l’avoir jamais eu). Agent de Naomi Campbell à l’époque et présente au fameux dîner, Carole White a confirmé, révélant au bureau du procureur avoir entendu Charles Taylor annoncer, pendant la soirée, son intention d’offrir des diamants à sa patronne. Elle assure même avoir vu la pierre en question. La version de l’ex-chef d’État diffère. Interrogé par le TSSL sur le cadeau, il a nié en bloc, lâchant, un sourire aux lèvres : « C’est totalement faux, totalement faux. »
Une coïncidence trouble pourtant le bureau du procureur : en octobre 1997, juste après la tournée africaine de Charles Taylor, une cargaison d’armes et de munitions a été débarquée à l’aéroport de Magburaka, en Sierra Leone, alors sous embargo. Elle provenait du Burkina Faso, utilisé comme base arrière pour l’approvisionnement des rebelles du RUF. Selon le procureur, c’est avec le produit de la vente de diamants pendant le périple de Charles Taylor que le chargement a été acheté. S’il est démontré que l’affreux a joué au père Noël avec Naomi, il faudra donc en conclure qu’il a menti. Et que, si puissant soit-il, Charles Taylor a succombé aux beaux yeux d’une gravure de mode.
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