Il faut sauver la création tunisienne

Peu de films produits, des salles qui ferment… La situation préoccupe les professionnels, qui réclament la création d’une agence nationale chargée du développement du secteur.

Lors des Journées cinématographiques de Carthage, au Théâtre municipal de Tunis. © AFP

Lors des Journées cinématographiques de Carthage, au Théâtre municipal de Tunis. © AFP

Fawzia Zouria

Publié le 22 juillet 2010 Lecture : 5 minutes.

« Le cinéma tunisien est mort ! » déclarait, en novembre dernier dans Jeune Afrique, l’homme de théâtre tunisien Moncef Dhouib. Il s’en est fallu de peu que l’oracle ne se réalise. La Tunisie, qui brillait dans les années 1990 par une importante production cinématographique, ne sort plus que trois films par an. Une misère par rapport à son voisin marocain, qui caracole avec une quinzaine de longs-métrages annuels. Et la qualité n’est plus au rendez-vous. En 2009, hormis Les Secrets, de Raja Amari, présentés à la Mostra de Venise, pas un seul film tunisien n’a été sélectionné dans un grand festival. Pourtant l’État débourse chaque année 3 millions et demi de dinars (1,8 million d’euros) pour le secteur. Une aide qui permet de soutenir une vingtaine de courts-métrages. Les laboratoires de l’ancienne Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique (Satpec), mise en liquidation en 1992 faute de rentabilité, ont été confiés par l’État à la société Quinta Communications, du producteur Tarak Ben Ammar, qui en assure la rénovation et dont on attend une aide concrète au bénéfice des cinéastes tunisiens.

Concernant la distribution, la situation n’est guère plus florissante. Selon le directeur de l’École supérieure de l’audiovisuel et du cinéma, Hamadi Bouabid, « le problème réside dans un marché qui n’est plus générateur de recettes car les salles ont fermé les unes après les autres ». Alors que le budget alloué à la réhabilitation des cinémas n’a jamais été aussi élevé (5 millions de dinars en cinq ans, soit près de 2,7 millions d’euros), on ne compte plus que douze salles sur tout le territoire, contre quatre-vingt-dix il y a vingt ans. Et aucun multiplexe. Cette structure a pourtant permis au Maroc, qui connaissait une situation similaire à celle de la Tunisie, de relancer son industrie cinématographique. Une situation créée par des textes de lois sur les terrains « culturels » qui interdisent toute activité commerciale annexe.

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Et il ne faut pas espérer renflouer les caisses avec les recettes des quelque 70 000 vidéoclubs qui ont essaimé à travers le pays : s’ils ne se privent pas de pirater et de vendre les films sur DVD, ils ne versent pas un sou à leurs auteurs. En outre, la multiplication des chaînes satellitaires a fini de vider les quelques salles de cinéma. Et le petit écran ne finance pas encore le cinéma, comme c’est le cas en France et au Maroc. Le fait que le septième art et la télévision dépendent en Tunisie de deux ministères différents, la Culture et la Communication, complique la prise de décision.

Coopérative de production

Enfin, la brusque régression d’un système où l’État n’interférait jamais dans les scénarios est venue assombrir le tableau. « Depuis 2004 et jusqu’à la récente nomination d’Abderraouf el-Basti à la tête du ministère de la Culture, la Commission d’aide s’était transformée en commission de censure », explique Néjib Ayed, le secrétaire général de la Chambre syndicale des producteurs de films. En 2007, des cinéastes parmi les plus importants, comme Nouri Bouzid ou Moufida Tlatli, se sont vu refuser leur scénario. Le motif ? Atteinte à la morale ou à la religion.

C’est dire à quel point le cinéma tunisien a besoin de sauveteurs ! Le salut pourrait venir de jeunes réalisateurs qui se sont associés pour créer une coopérative de production, Exit. Ou de fonceurs comme le distributeur Habib Belhedi, qui a redonné vie à la salle Africa en fidélisant ses clients grâce à un ciné-club qui organise des débats. Enfin, certains réalisateurs comme Jilani Saadi (Ouinou Baba ?) et Mohamed Zran (Vivre ici) se sont décidés à tourner en vidéo à bas prix et avec les moyens du bord.

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Des producteurs sont également entrés en résistance : Abdelaziz Ben Mlouka, Néjib Ayed, Dora Bouchoucha… Ou encore Mohamed Habib Attia. Le fils du producteur Ahmed Attia (décédé en 2007) a produit son premier long-métrage, L’Anniversaire de Leila, du Palestinien Rachid Macharaoui. En l’espace de deux ans, il a pu sauver l’héritage paternel. Il a été suivi par un nouveau venu, Imed Marzouk, qui a assuré avec succès la production de deux longs-métrages, VHS Kahloucha et Le Fil.

Tout s’est accéléré avec l’arrivée au ministère de la Culture d’Abderraouf el-Basti, qui a nommé en mars 2009 une Commission consultative nationale pour la réforme et le développement du cinéma, laquelle est présidée par Férid Boughedir. Pour l’ancien collaborateur de Jeune Afrique et auteur de Un été à La Goulette, l’enjeu est crucial, car « développer en quantité un cinéma “culturel” tunisien, c’est aussi résister au déferlement satellitaire accru de toutes les formes d’extrémisme ». Pour la première fois de l’histoire du septième art tunisien, les propositions déposées par les professionnels sont soutenues directement par leur ministère de tutelle.

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Lors de la réunion de premier bilan de la commission, qui s’est tenue début 2010 à Hammamet, alors que tous les participants soutenaient unanimement la création d’un organisme national du cinéma et de l’audiovisuel, le réalisateur Ali Labidi a affirmé qu’il était trop tard pour que la Tunisie puisse réussir à créer un tel organisme. Le ministre de la Culture l’a alors vertement tancé et a saisi l’occasion pour confirmer publiquement la volonté de l’État de promouvoir le cinéma national. Dans son rapport, la commission préconise la création d’une Agence nationale du cinéma et de l’audiovisuel destinée à réguler le secteur. Une fois chiffré, ce rapport sera transmis au Premier ministre (selon certaines sources, Mohamed Ghannouchi entend faire de ce dossier « une affaire personnelle ») puis au chef de l’État, Zine el-Abidine Ben Ali, qui a déclaré, lors de la Journée nationale de la culture, le 25 février, que 2010 serait l’année du cinéma. Il était temps !

Conflit générationnel

Toutefois, si les professionnels du secteur reconnaissent la légitimité de la commission, les avis divergent quant à la répartition future des soutiens à la production. Principale pierre d’achoppement, l’argent. Il serait attribué par la « commission d’aide à la production » aux cinéastes confirmés. Les jeunes réalisateurs exigent au moins 25 % des subventions.

Les travaux de la commission nationale ont mis en exergue un conflit générationnel inédit dans le pays. « Les jeunes n’esquissent pas de courant ou d’école et se contentent de se définir par la contestation », commente un critique de cinéma. Mais, selon Néjib Ayed, « cette querelle jeunes-vieux est prématurée, car il n’y a pas assez de production et d’émulation pour cela ». « Par chance, explique Férid Boughedir, nous sommes tous d’accord sur la nécessité de créer un organisme souple de perception, de gestion et de répartition des soutiens nécessaires. C’est la base de toute la réforme. Nous sommes à un moment décisif. Il ne faut pas le rater en se laissant emporter par les querelles de clans ! ».

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