Edmond Kwedi Ekambi, homme-orchestre

Né au Cameroun, tour à tour guitariste, homme d’affaires et notaire, Edmond Ekambi a déjà vécu dix vies. Son truc ? Travailler toujours, sans jamais se prendre au sérieux.

Edmond Kwedi Ekambi devant la cathédrale Notre-Dame de Chartres (France). © Vincent Fournier/J.A.

Edmond Kwedi Ekambi devant la cathédrale Notre-Dame de Chartres (France). © Vincent Fournier/J.A.

Publié le 22 juillet 2010 Lecture : 5 minutes.

Études, métier, costume, tout chez Edmond Kwedi Ekambi annonce un homme sérieux. Mais derrière le chef d’entreprise tiré à quatre épingles se cache une personnalité inattendue, que seul signale le rire énorme de quelqu’un… qui ne se prend pas au sérieux. L’homme en impose : convaincant, excellent communicant, il a tout pour incarner la réussite.

Depuis la ville de Chartres où il a posé ses valises il y a maintenant quinze ans, il dirige un groupe de sociétés, dont la Sodestel. En façade, l’entreprise est discrète. Elle est pourtant le leader français des logiciels pour les professionnels de l’immobilier. Un agent immobilier sur cinq et un notaire sur dix utilisent ses services. Ses licences ont été achetées par d’importants réseaux de la banque et de l’assurance.

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« Je sais d’où je viens, cela me permet de savoir où je vais »

Le patron pourrait en être fier. Mais Edmond Kwedi Ekambi a toujours gardé les pieds sur terre. « Je sais d’où je viens, cela me permet de savoir où je vais », déclame-t-il sur un ton faussement professoral et avec un large sourire. Kwedi Ekambi est né le 26 juin 1963 à Dibombari, à 30 km de Douala (Cameroun), avant-dernier d’une fratrie qui a donné deux ingénieurs, un cadre de banque et quelques artistes. Son frère aîné, Ekambi Brillant, est d’ailleurs un chanteur connu.

« Je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche, concède-t-il, mais le destin me l’a vite arrachée. » Le père, commerçant aisé, avait réussi dans le commerce de l’huile de palme. Il meurt alors qu’Edmond n’a que 4 ans. Selon la coutume sawa, l’héritage est ventilé entre les diverses prétentions familiales, laissant le garçon et sa mère dans le dénuement.

 Après avoir raté son bac au Cameroun, le jeune Kwedi Ekambi débarque à 19 ans en France, à Blois, chez des cousins. Premier déclic : l’ado rebelle devient celui à qui tout réussit. Bac mention bien, licence, maîtrise de droit privé à la fac de Tours. L’argent manque pour financer ses études ? Le futur juriste est musicien. Cela tombe bien, les Coton Pickers, un groupe de jazz, recherchent leur guitariste. Pendant des années, il sera donc chaque soir Edmond Chirot, chantre du mélo-bluesy, écumant les festivals de la région Centre, les lieux de fête et les restos branchés. « J’avais même des bulletins de paie, la prospérité, quoi. Au point que j’ai hésité à en faire ma carrière », raconte-t-il.

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« J’ai envoyé 3 000 courriers, reçu 200 réponses négatives et décroché deux entretiens »

En 1991, il épouse une Française rencontrée sur les bancs de la fac. La naissance, l’année suivante, de leur premier enfant sert de deuxième déclic. Edmond décide de passer le concours du notariat. Parmi les 2 000 candidats, il est admis à occuper l’une des 30 places du Centre supérieur d’études notariales de Paris, rue Villaret-de-Joyeuse. Il en sort avec un diplôme d’aptitude aux fonctions de notaire. Mais il faut trouver du travail. Dans le métier, on appelle ça « notaire assistant » et la place est très convoitée. « J’ai envoyé 3 000 courriers, reçu 200 réponses négatives et décroché deux entretiens, rien à faire. »

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Racisme, conservatisme, un mélange des deux ? « Un notaire m’a avoué qu’il ne pouvait m’engager car je n’aurais pas pu recevoir tous ses clients, certains auraient refusé que leur dossier soit traité par un Noir. » Troisième déclic. Même si Kwedi parle plutôt de claque. « Depuis ce jour, on n’a plus jamais réussi à me freiner. Je me suis dit que le seul métier que je savais faire en dehors de pincer une guitare, c’était de donner des conseils. J’ai décidé de monter ma boîte. »

C’était l’époque du Minitel. Il y avait un créneau à prendre, pas besoin de fonds, juste une idée concrète. Ainsi est né en 1995 le service Evaluatel, du conseil fiscal et patrimonial pour les particuliers. Des débuts tellement peu rentables que le jeune patron envisage de rentrer au pays. En 1997, il dépose même un dossier pour y devenir notaire, mais sa demande se perd dans les méandres de l’administration camerounaise. Tant pis, Edmond s’accroche à son idée, recentre son activité sur les professionnels. Bingo, le marché est prêt, la demande s’envole. Edmond se mue en homme-orchestre, à la fois commercial et formateur, recrute son premier informaticien, sillonne les routes de France. L’affaire devient enfin rentable.

Des revers, il en a connu deux, retentissants. Il les raconte aujourd’hui en riant. L’ex-guitariste a monté une boîte de production musicale et produit le CD urban music du chanteur Devally. Le bide est total et lui coûte un bras. Il laisse aussi des plumes dans une autre affaire : il crée une société, Omega Investissement, pour répondre à la demande d’une banque. Le contrat ne sera jamais signé…

« L’échec ne m’a jamais atteint et m’a plutôt fortifié. »

De ses revers, Edmond tire toujours les leçons. « Ce qui manque aux autres, je l’ai. La France m’a appris que l’on pouvait ne pas être d’accord, tout en respectant la pensée de l’autre. À l’Afrique, j’ai emprunté la notion d’insouciance qui me permet de me détacher des détails et d’aller à l’essentiel. C’est pour cela que l’échec ne m’a jamais atteint et m’a plutôt fortifié. » On l’aura compris, avec Edmond Kwedi Ekambi, un échec n’en est jamais vraiment un. Omega Investissements, la société devenue coquille vide par la force des choses, s’est mué, en 2007, en agence immobilière en ligne d’un genre nouveau.

« On fait de l’immobilier ethnique, s’amuse-t-il. C’est incroyable ! Dès que les clients ne sont pas français et ne maîtrisent pas la langue, les agences traditionnelles ne cernent ni l’offre ni la demande. » Alors sa société recrute des collaborateurs issus des minorités visibles, qui conseillent des gens de leur communauté pour vendre ou acheter un bien. En février dernier, l’agence a par exemple trouvé la maison de ses rêves à un Indien de Pondichéry. « Avec un traducteur, on a géré la transaction et trouvé un financement. On aide les gens qui ne poussent pas facilement la porte des agences immobilières. » Et ça marche.

Mais la suite du parcours est assez inattendue. On le croit chef d’entreprise en France ? Le voilà notaire au Cameroun, à Ngaoundéré, une ville située à 900 km de Douala. « C’est un honneur pour moi d’exercer cette charge, mais ma nomination fut aussi une grande surprise. J’avais déposé mon dossier en 1997. Dix ans plus tard, mon téléphone sonne. Ma sœur restée au pays m’annonce qu’un homonyme a été nommé notaire dans cette ville. J’ai éclaté de rire, l’homonyme, c’était moi ! Le dossier avait tout bonnement suivi son cours. » 

Ce que Me Kwedi Ekambi ne dit pas, c’est qu’il a trouvé dans un premier temps la nouvelle bien embarrassante. Que faire ? Quelle réponse donner ? Lui qui n’envisage rien comme les autres a finalement trouvé. Sur place une fois par mois, il tente de régler les problèmes de logement et d’insalubrité, en rompant avec le système de l’indivision et en transformant les propriétés en copropriétés. Fort de son expertise technique, il s’est assuré de l’existence de l’arsenal juridique nécessaire et, depuis la France, il mobilise la diaspora camerounaise de l’Union européenne pour l’inciter à investir dans le pays en partenariat avec des banques locales. Un homme sérieux, on vous dit.

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