Le pari de l’immigration
Pour pallier une démographie en déclin, les autorités encouragent la venue d’étrangers, notamment francophones. Parmi eux, de nombreux Africains, à qui la France n’offre plus une telle hospitalité. Reportage.
« Nous devons nous rassembler pour lutter contre l’oppression ! » lance Ibrahima Diallo, Canadien d’origine sénégalaise et président de la Société franco-manitobaine. Ce n’est pas une déclaration de guerre, mais ça y ressemble. Face à l’afflux d’étrangers anglophones, les Canadiens francophones esseulés hors du Québec ont décidé de s’organiser pour… ne pas disparaître.
À Winnipeg (centre du pays), cité impersonnelle de plus de 600 000 habitants au confluent des rivières Rouge et Assiniboine, où les Amérindiens des tribus Cris, Ojibwé et Assiniboine venaient s’échanger fourrures et perles de coquillage, « les migrants francophones sont pris en charge dès leur arrivée à l’aéroport », explique Bintou Sacko. Cette native de Ségou (Mali) à la trentaine dynamique est arrivée à Winnipeg en 1994 pour suivre des études d’anthropologie. Mariée à un Canadien d’origine malienne, elle dirige aujourd’hui le service de l’Accueil francophone du Manitoba. « Notre travail consiste à aider les étrangers dans leurs démarches administratives, leur recherche de logement, l’inscription des enfants à l’école… Et nous leur proposons même un service de traduction, le temps qu’ils apprennent l’anglais, quand ils ont besoin de se rendre à l’hôpital par exemple. Tous ces services sont gratuits. »
Il faut dire que le sujet est sensible. Avec une population vieillissante et un indice de natalité extrêmement faible (1,6 enfant par femme), le Canada doit faire face à une situation démographique inquiétante. Raison pour laquelle il a mis en place une politique d’immigration volontariste destinée à accueillir chaque année l’équivalent de 1 % de sa population, soit près de 320 000 personnes. Dans les faits, le chiffre annuel est plutôt de 250 000 immigrés. En huit ans, de 2000 à 2008, le Canada a accordé le statut de résident permanent à plus de 2 millions d’étrangers.
Les universités prospectent
« Le Canada est très accueillant », reconnaît Dounia Hamoutene, une océanographe d’origine algérienne, installée à St. John’s, délicieuse bourgade de 100 000 habitants, capitale de la province Terre-Neuve-et-Labrador, dans l’est du pays. « Je me rappellerai toujours de mon arrivée à Halifax, au milieu des années 1990, poursuit-elle. Un douanier m’a souhaité la bienvenue en ces termes : “Welcome to Canada, we are happy you are here.” Rien à voir avec la France, où j’ai fait mes études : pendant trois ans, j’ai vécu avec un récépissé que je devais faire tamponner tous les trois mois à la préfecture. » À l’instar de Dounia, les Africains qui tournent le dos à une France fermée sur elle-même pour s’installer au Canada sont de plus en plus nombreux. D’autant que les universités francophones prospectent en Afrique pour attirer des étudiants, qui y voient la possibilité d’étudier en français dans un milieu anglophone. « C’est l’occasion d’améliorer son niveau d’anglais tout en étudiant en français », explique Cheick Camara, un Sénégalais inscrit en sciences politiques au collège universitaire Glendon (Toronto).
Sur les 230 étudiants internationaux du collège universitaire de Saint-Boniface, à Winnipeg, 80 % sont africains. Ce collège, qui dispense un enseignement en français, a mis en place un programme de recrutement d’élèves marocains, tunisiens, ivoiriens, maliens, sénégalais, guinéens, burkinabè et mauritaniens. Et les aide à obtenir leurs papiers. « Toutefois, tempère le sociologue Marc Lesage, tout n’est pas rose. Le statut d’étudiant se détériore, les frais d’inscription augmentent de plus en plus. Et les étudiants étrangers qui doivent travailler pour financer leurs études sont de plus en plus nombreux. » Cheick Camara confirme : « Les frais d’inscription pour les étrangers sont souvent plus élevés que pour les Canadiens. J’ai dû payer 16 000 dollars canadiens [environ 12 300 euros, NDLR], et mon loyer mensuel pour une chambre chez l’habitant s’élève à 750 dollars. C’est très cher. »
Un racisme « poli »
Rien n’est gagné non plus pour les nombreux migrants venus au Canada pour travailler, car les diplômes étrangers (français ou africains) ne sont pas reconnus. « C’est mensonger de faire croire à tous ces gens qu’ils vont trouver un emploi au Canada, s’indigne l’énergique Annie Dell, directrice régionale du Réseau de développement économique et d’employabilité de l’Ontario, à Toronto. Il n’y a pas d’équivalence des diplômes. C’est honteux ! C’est mettre en danger des familles entières qui se retrouvent sous le seuil de pauvreté.» Selon le site internet investiraucanada.gc.ca, alors que plus de 42 % des immigrants ont fait des études universitaires, près de 90 % d’entre eux poursuivent ou reprennent leurs études afin d’obtenir un diplôme canadien.
Une situation paradoxale quand on sait que le niveau d’études est pourtant l’un des principaux critères de délivrance du statut de résident. Depuis 1967, le Canada choisit ses immigrés selon leurs compétences grâce à un système de sélection à points. Aujourd’hui sont pris en considération : le niveau d’études (un doctorat rapporte par exemple 25 points) ; la maîtrise de l’anglais et du français ; l’expérience professionnelle ; l’âge (avoir entre 21 et 49 ans donne 10 points, plus de 54 ans zéro) ; et la capacité à s’adapter à la société canadienne selon, là encore, le niveau d’études, la possibilité de trouver un emploi ou le fait d’avoir de la famille au Canada. Par ailleurs, dans la majorité des provinces (hormis le Québec, qui définit lui-même sa politique d’immigration) est établie une liste de corps de métiers qui ont besoin de main-d’œuvre plus ou moins qualifiée (cuisiniers, plombiers, grutiers, infirmiers, géologues, directeurs financiers, etc.). En dehors de cette liste, peu de chances d’être accepté.
Mais, une fois le nouvel immigrant admis, tout est fait pour faciliter son insertion et l’inciter à rester au Canada. Car nombreux sont ceux qui, une fois la citoyenneté canadienne acquise (au bout de trois ans), partent s’installer aux États-Unis, pays davantage urbanisé et au climat moins rude. Dans certaines régions canadiennes, comme le Yukon, les températures avoisinent régulièrement les – 40 °C au plus profond de l’hiver. Pas toujours facile à supporter quand on a grandi sous le soleil d’Abidjan ou de Douala.
D’autant que la société canadienne n’est pas exempte de racisme. « Il y en a moins qu’en France et il est plus poli, plus subtil, explique calmement John Maury, Canadien d’origine mauricienne du Bureau des services de santé en français à Toronto. Ce n’est pas toujours facile pour les musulmans. Ils peuvent être victimes de suspicion. Certains se radicalisent, d’autant qu’à la mosquée ils sont parfois en contact avec des fondamentalistes venus du Moyen-Orient. »
Ibrahima Diallo, 57 ans, reconnaît avoir parfois eu besoin de sa femme, franco-manitobaine, pour décrypter certains non-dits de la culture canadienne. « Un Sénégalais crie sa colère. Un Canadien jamais ! C’est mal vu. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, la grande force du Canada, c’est de se construire avec des gens venant de partout. On peut être Canadien et Sénégalais sans pour autant que ce soit mal vu et que l’on se sente minoritaire. »
Un avis que tempère Bintou Sacko : « Par la couleur de ma peau, même si j’ai la citoyenneté canadienne, je serai toujours considérée comme immigrante. En tant que directrice de l’accueil des francophones, je suis amenée à me déplacer dans des régions reculées. Et quelques Franco-Manitobains sont parfois surpris que je les représente. Mais les plus étonnés restent les Français qui immigrent ici : “Comment une Malienne peut-elle diriger un service de l’État qui accueille les étrangers ?” me demandent-ils. C’est la magie du Canada… »
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