David Khayat : « Pas besoin d’être riche pour bien manger »

Le médecin et auteur du best-seller « Le Vrai Régime anticancer » fait le point, pour J.A., sur la manière dont le cancer est appréhendé sur le continent et sur les bienfaits de l’alimentation africaine. Il nous donne également quelques conseils diététiques. Interview.

David Khayat est considéré comme l’un des plus grands cancérologues au monde. © Vincent Fournier pour J.A.

David Khayat est considéré comme l’un des plus grands cancérologues au monde. © Vincent Fournier pour J.A.

Fawzia Zouria

Publié le 22 juillet 2010 Lecture : 8 minutes.

Né en 1956 à Sfax, en Tunisie, David Khayat compte parmi les plus grands cancérologues au monde. Aujourd’hui chef du service d’oncologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, il aurait voulu être « médecin d’Afrique ». Las ! Une grave maladie l’oblige à quitter le continent pour poursuivre ses études aux États-Unis avant de regagner la France, où il est nommé chef de service à seulement 34 ans.

Lorsque le président français Jacques Chirac crée en 2005 l’Institut national du cancer, c’est à lui qu’il en confie la responsabilité, avant que Khayat n’y renonce à la suite d’une polémique sur la gestion de cette structure. Toutefois, un rapport d’audit du Contrôle général économique et financier le blanchit. On reproche souvent au médecin son train de vie ou sa manie de fréquenter les célébrités. Ses familiers affirment que c’est là une thérapie que s’administre un homme qui a l’habitude de dire : « La mort est mon métier. » De fait, il semble que le profil de Khayat ne cadre pas avec celui du médecin censé verser dans l’ascétisme et l’abnégation, et que l’appétit de vie de ce juif né en terre d’islam, son ancrage méditerranéen, déroutent ceux qui le croisent sans le fréquenter.

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Autre thérapie : David Khayat écrit des romans et des scénarios pour téléfilms. De même qu’il avoue son penchant pour la bonne chère et affirme que la cuisine est « un art au-dessus des arts ». C’est donc tout naturellement qu’il en est venu à publier Le Vrai Régime anticancer, un ouvrage devenu best-seller en l’espace de quelques semaines. Il y fait le point sur les dernières découvertes établissant un lien entre alimentation et cancer, et dresse la liste des produits à bannir ou à privilégier, assortie de conseils simples en fonction de profils types.

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Jeune Afrique : On parle du cancer comme du « fléau du siècle ». Est-ce vrai ?

David Khayat : C’est la première cause de mortalité au monde. Le cancer tue plus que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis. En 2020, 20 millions de nouveaux cas entraîneront dix millions de morts. Oui, le cancer est un vrai fléau.

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Quelles sont les causes de cette maladie ?

Le tabac pour 30 %, et ce sont, en l’occurrence, les pays en développement qui en paient le plus lourd tribut : en Chine, c’est une épidémie annoncée du cancer du poumon, et la même plaie sévit en Afrique, où les législations contre le tabac sont plus faibles. Viennent ensuite les hormones, à 30 % responsables des cancers de la prostate chez l’homme et du cancer du sein chez les femmes. 20 % des risques sont dus à l’alimentation, 5 % à l’hérédité et 5 % à des agents infectieux. Le reste est causé par les rayonnements, l’exposition au soleil et la pollution.

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Quels sont les cancers les plus fréquents en Afrique ?

En Afrique, le cancer est la première cause de mortalité de l’adulte de plus de 15 ans. Les trois cancers les plus fréquents sont ceux du foie, de l’estomac et du col de l’utérus. Ils sont dus pour la plupart à des agents infectieux et sont donc liés à l’hygiène publique.

La disparité sociale et la pauvreté augmentent-elles les risques ?

La pauvreté, la promiscuité et le déficit d’information contribuent à la dissémination des agents infectieux cancérigènes. La misère sociale augmente le temps de la réaction d’un individu vis-à-vis des premiers symptômes : celui qui a des difficultés au quotidien ne va pas consulter tout de suite. En outre, la pauvreté s’associe à une dégradation des modes alimentaires : il y a plus de tabagisme et d’alcoolisme dans les classes démunies, qui, plus sensibles à la promotion des produits de l’industrie alimentaire, vont manger plus vite, plus gras, des aliments pas chers contenant des glucides et des lipides, et peu de protéines. Ajoutons à tout cela la déstructuration des rythmes des repas.

Peut-on dire que le continent est plus frappé par le cancer que les autres ?

La fréquence du cancer est la même partout dans le monde. Ce qui change, c’est la nature du cancer et son lien avec des causes locales. En Égypte, par exemple, le cancer de la vessie est plus répandu qu’ailleurs en raison d’un microbe qui se trouve dans l’environnement aquatique égyptien, de même que le sida induit des cancers précis en Afrique subsaharienne.

L’Afrique s’est-elle dotée des structures adéquates pour lutter contre cette maladie ?

Même si la plupart des pays africains font des efforts d’investissement dans la formation et la création d’infrastructures, les difficultés de transport, la pauvreté, l’absence de couverture sociale, la fuite des cerveaux et le fatalisme ne favorisent pas le développement d’une cancérologie adaptée aux besoins. Mais des progrès existent, notamment au Maroc et en Tunisie, qui se sont dotés de moyens importants à travers des plans nationaux du même niveau qu’en France.

Quelle est l’espérance de vie d’un malade africain ?

Il n’y a pas vraiment de statistiques au sujet de l’espérance de vie sur le continent. On sait par exemple qu’en France l’écart entre l’espérance de vie d’un cadre supérieur et celle d’un ouvrier est de dix ans.

À combien s’élève la prise en charge d’un malade africain ?

À pas grand-chose. Pas de médicaments ni d’appareils de radiothérapie, donc un recours plus fréquent au traitement chirurgical. À titre d’exemple, le coût du cancer en France est de 30 milliards d’euros par an. On peut dire que la prise en charge d’un seul malade européen équivaut à celle d’une dizaine de malades africains.

Comment le malade d’origine africaine ou arabe se comporte-t-il vis-à-vis de cette maladie ?

Il n’y a pas une typologie géographique de la souffrance. Il y a des silences plus fréquents, de la pudeur, mais la douleur est la même. La religion console les familles, pas les malades. J’ai vu des patients très croyants mourir dans la peur et des animistes mourir en rigolant. Les patients du monde arabe témoignent d’une plus grande acceptation du destin. La force des structures familiales et claniques est importante chez eux, ainsi que le support financier et moral, alors que leur participation aux processus de choix thérapeutique et la discussion sur le pronostic réel sont moins fortes.

De fait, on peut dire que le malade français est seul, alors que le malade arabe est accompagné sur tout le parcours. On peut ajouter que le premier est un patient-sujet qui a conscience d’avoir des exigences et que le second est un patient-objet, mais qui a des structures familiales plus puissantes.

Je ne peux pas me prononcer quant aux Subsahariens : j’en reçois une quinzaine par an, car les centres internationaux sont trop loin de chez eux. Ils se déplacent peu pour la recherche de soins. Sauf ceux qui travaillent dans des sociétés pétrolières et qui sont couverts par des conventions sociales.

Vous venez de publier Le Vrai Régime anticancer. Pourquoi ce livre ?

J’ai voulu répondre à des malades qui me demandaient tout le temps ce qu’il fallait manger ou ne pas manger pour se prémunir contre le cancer. J’étais également excédé par les fausses idées répandues à ce sujet. Et poussé par le souci de la prévention.

Qu’est ce que cet ouvrage apporte de nouveau ?

Il apporte la vérité en se référant à tout ce qui est dit et certifié par des références scientifiques. Il donne une évaluation complète des consommations alimentaires qui va de l’origine de l’aliment, à la façon de le cuire et de le consommer. Il conteste l’idée selon laquelle il existerait un seul régime qui peut convenir à tout le monde, alors que nous n’avons pas tous les mêmes besoins, ni un recours obligatoire à certains apports.

De fait, le thème clé de ce livre consiste à dire : réfléchissez et suivez le bon sens. Pensez-vous qu’une attitude culinaire ayant cours pendant des siècles dans un certain environnement et qui a permis à un pays, à une tribu ou à un peuple de se développer soit néfaste à la santé ? Non.

En revanche, méfiez-vous des environnements qui n’ont pas de traditions culinaires. Les peuples sans histoire culinaire essaient de nous imposer des aliments peu diversifiés. Or nous appartenons à des traditions qui ont passé au crible tous les régimes alimentaires et qui, avec le temps, ont sélectionné des aliments, des recettes, des modes de cuisson en fonction de leurs ressources et de leur environnement. Autrement dit, vous ne risquez pas grand-chose avec ce que votre grand-mère met dans votre assiette.

Peut-on parler d’un régime africain ?

Oui, parce que c’est un régime typique où l’apport de glucide est différent. Ce régime panafricain est fait de manioc et de riz – l’essentiel de l’apport calorique –, plus des matières grasses, peu de viande, beaucoup d’épices, pas de congélation et une espèce d’autosuffisance quotidienne : on achète et on prépare ce qu’on va manger dans la journée, on ne va pas chez le traiteur, puisqu’on importe peu, on consomme donc des produits de saison. Enfin, c’est une alimentation qui répond à un besoin nutritionnel : l’Africain mange pour se nourrir alors que l’Européen mange pour se faire plaisir.

Dans ce livre, vous allez contre des idées convenues…

Effectivement. Je dis, par exemple, qu’il est inutile de vanter les mérites de la vitamine E, elle induit 30 % de risque de plus de cancer de la prostate. Les vitamines A et le bêta-carotène multiplient par 3 à 4 le risque du cancer du poumon chez les fumeurs. L’excès de laitage est mauvais pour les hommes de plus de 50 ans, mais bon pour les femmes de cette tranche d’âge. Je dis aussi que la règle des cinq fruits et légumes par jour est caduque. Quand on affirme que ce régime réduit de 30 % le cancer de l’œsophage et de 80 % le cancer de la bouche, c’est faux. C’est un scandale. L’étude récente de l’Epic a démontré que cette règle ne peut réduire les risques que de 2 % au minimum. Donc ce sont là des surpromesses qui font perdre la crédibilité des recherches futures.

Et manger bio ?

Ça coûte cher. Mais de manière générale, il est préférable d’éviter les pesticides, les additifs alimentaires, la pollution, les conservateurs, qui sont des agents à risque environnementaux. Il faut se méfier également des poissons gras qu’on dit riches en oméga 3 mais qui sont bourrés de mercure, comme le thon rouge, l’espadon ou le saumon, par exemple.

En revanche, on peut abuser du thé vert, de toutes les sortes de chou, des pruneaux, de la tomate, du bar et, enfin, du jus de grenade, qui a la vertu de ralentir les cellules cancéreuses de la prostate chez les hommes et a des effets bénéfiques sur le cancer du sein chez les femmes. Et consommer du vin… modérément.

Le bar et le jus de grenade, c’est peut-être un peu cher pour les bourses africaines ?

Pourquoi ? Il y a des poissons pas chers à consommer comme la sardine, le hareng et le cabillaud. Et le jus de grenade se trouve en abondance dans les pays du Maghreb. Pas besoin d’être riche pour bien manger.

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