Pius Njawé : l’adieu aux armes

Le journaliste, fondateur du « Messager », est décédé le 12 juillet. © Vincent Fournier/J.A.

Le journaliste, fondateur du « Messager », est décédé le 12 juillet. © Vincent Fournier/J.A.

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 21 juillet 2010 Lecture : 3 minutes.

Il a suffi d’un pneu crevé au hasard d’une route et d’un camion fou pour provoquer l’accident. Percuté de plein fouet, Pius Njawé est mort à l’âge de 53 ans, le 12 juillet, sur le bas-côté d’une autoroute américaine. Son décès a provoqué un déferlement d’hommages de la presse africaine, qui pleure le « héraut » de la liberté d’informer, le « pionnier » de la presse indépendante dans son pays, le « défenseur des droits de l’homme »… Des journaux de Madagascar, du Gabon, du Congo, de la RD Congo, du Tchad, entre autres, se sont fait l’écho de la disparition du journaliste dont l’aura avait franchi les frontières du Cameroun.

En voyage aux États-Unis à l’invitation d’opposants de la diaspora camerounaise, il s’apprêtait à engager un combat de plus contre le régime de Yaoundé, en cette année préélectorale : mobiliser la communauté à l’étranger pour obtenir l’alternance au pays. Encore une de ces confrontations qui lui ont causé tant de blessures, ont construit sa légende de journaliste engagé et conforté sa position de bête noire du pouvoir.

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Un jeune homme pressé

Des générations de Camerounais ont admiré son itinéraire singulier. Pius Njawé a quitté l’école à l’âge de 15 ans pour travailler comme garçon de courses au sein des éditions Semences africaines, du poète-écrivain René Philombe. Après une première expérience au journal La Gazette, le jeune homme pressé lance en 1979 – à 22 ans – Le Messager. Le périodique entre comme par effraction dans un paysage médiatique aseptisé et verrouillé par le système de parti unique mis en place depuis les indépendances par le président Ahmadou Ahidjo.

C’est le début de son combat pour les libertés, qui ne s’arrêtera pas avec l’arrivée au pouvoir de Paul Biya. Ainsi les colonnes du journal se destinent-elles à toutes les voix dissidentes. C’est lui qui publie, en 1990, « La démocratie truquée », une lettre-pamphlet écrite par Célestin Monga, alors banquier à Douala, qui vaudra à l’auteur un procès très médiatisé en janvier 1991 et au patron du journal un de ses nombreux séjours en prison pour « outrage au chef de l’État ». Il en sortira plus déterminé que jamais.

Njawé crée dans la foulée l’hebdomadaire satirique Le Messager Popoli, un journal tout en bandes dessinées, moqueur et insolent, désopilant et méchant, qui met en scène Popol, une caricature de Paul Biya, et brocarde la classe politique. C’est encore lui qui publie, en 1997, un article rapportant le « malaise » dont le président de la République aurait été la victime lors de la finale de la Coupe du Cameroun de football. Jugé quelques semaines plus tard, il le paiera par un nouveau séjour en prison.

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Combat pour les libertés

Dans son pays, Njawé a été à la fois un éditorialiste courageux et iconoclaste, un patron de presse influent, un démocrate intransigeant et un débatteur pugnace. Ses écrits étaient pris au sérieux, même si, au pays du diplôme-roi, leur auteur n’avait pas suivi de longues études. Il n’y avait pas à se forcer pour apprécier son style et sa culture, estimer son intelligence et lui savoir gré d’avoir fait sauter la chape de plomb qui recouvrait les libertés publiques. Quitte, dans le même temps, à lui reprocher un certain goût du martyre et la gestion quelque peu approximative de son entreprise…

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Personnage controversé, il aura aussi été passionnellement détesté par ceux qui le trouvaient d’une « incommensurable mauvaise foi » à l’égard du régime, dénonçant un « acharnement à critiquer » et une « fixation malsaine », proche du conflit personnel, sur la personne de Paul Biya.

Pour l’ensemble de son œuvre, les autorités de Yaoundé lui imputent directement la responsabilité du déficit d’image dont elles souffrent à l’étranger. Elles ne lui auront pas fait de cadeau. Aucun des différents ministres de la Communication ne l’a jamais laissé développer son projet de radio, Freedom FM, dont les équipements sont stockés à Douala depuis bientôt une décennie. Le Messager disparaîtra-t-il en même temps que la silhouette dense, l’accent zozotant et la tranquille assurance de Pius Njawé ? Il faut espérer que non. Que ce journal en difficulté meure ou survive à son auteur, la graine de la liberté de la presse semée par son promoteur continuera de germer.

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