Affaire El-Béchir : pourquoi la CPI est allée trop loin

Faisant fi du mandat d’arrêt émis contre lui par la Cour pénale internationale, le président soudanais est arrivé mercredi 21 juillet au Tchad où il a été accueilli avec les honneurs dus à un chef d’État. En ajoutant le génocide à la longue liste des actes qu’elle impute à Omar el-Béchir, la CPI accentue la pression pour qu’il soit arrêté. Mais, face à la réticence des États, elle n’a pratiquement aucune chance d’arriver à ses fins…

Le président soudanais Omar el-Béchir se dirige vers son avion à Khartoum le 21 juillet 2010. © AFP

Le président soudanais Omar el-Béchir se dirige vers son avion à Khartoum le 21 juillet 2010. © AFP

Publié le 21 juillet 2010 Lecture : 4 minutes.

« Des motifs sérieux portent à croire que M. El-Béchir a agi avec l’intention délibérée de détruire, en partie, les groupes ethniques des Fours, Massalits et Zaghawas », a constaté la Cour pénale internationale (CPI) dans son ordonnance du 12 juillet. Avant de retenir trois nouveaux chefs d’inculpation contre le chef de l’État soudanais : « Génocide par meurtre, génocide par atteinte grave à l’intégrité physique ou psychologique des victimes, et génocide par soumission intentionnelle de chacun de ces groupes à des conditions d’existence devant entraîner leur élimination physique ».

Ces griefs s’ajoutent à ceux qui avaient déjà valu à Omar el-Béchir un mandat d’arrêt international, émis le 4 mars 2009 par la cour et qui étaient au nombre de sept : cinq pour crimes contre l’humanité (meurtre, extermination, déportation, torture et viol) et deux pour crimes de guerre (planification d’attaques contre des civils et pillages).Mais les magistrats de la CPI ayant refusé dans un premier temps de retenir l’accusation de génocide contre le président soudanais, le procureur Luis Moreno-Ocampo avait fait appel, le 6 juillet 2009. Il vient d’obtenir gain de cause. Au-delà de la logique juridique, sa démarche procède d’un calcul politique évident : l’accusation de génocide accroît le nombre d’États qui ont obligation de coopérer avec la cour. Les États-Unis, par exemple, qui ne sont pas signataires du statut de Rome, fondateur de la CPI, mais qui ont signé et ratifié la convention de l’ONU contre le génocide (1948), se sont ainsi empressés de déclarer « [qu’]Omar el-Béchir doit rendre des comptes à la justice ».

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Tapis rouge

Si Moreno-Ocampo a gagné cette manche, il est toutefois très loin d’avoir remporté la guerre. Ce énième rebondissement de procédure a suscité de vives protestations. L’Union africaine, qui avait déjà fait savoir, en juillet 2009, que ses États membres refusaient de coopérer avec la CPI, a réitéré sa position. La Ligue arabe, qui avait répondu au mandat d’arrêt en déroulant le tapis rouge à El-Béchir à l’occasion de son sommet de la fin de mars 2009 à Doha, au Qatar, a durci le ton vis-à-vis de ce qu’elle considère comme « une grave violation de l’immunité des chefs d’État inscrite dans la convention de Vienne de 1961 ».

Omar el-Béchir lui-même, qui s’est déjà rendu dans plusieurs pays (Égypte, Arabie saoudite, Libye, Érythrée, Qatar, Zimbabwe, Éthiopie…) en dépit du mandat d’arrêt international lancé contre lui, compte réagir à la nouvelle accusation en multipliant les déplacements à l’étranger. Sur son agenda figure notamment une visite à N’Djamena­, pour rendre la politesse à Idriss Déby Itno, son homologue tchadien et ex-frère ennemi, venu récemment et à deux reprises à Khartoum.

Certes, le 12 juillet, la CPI a demandé à son greffier de « préparer une requête supplémentaire de coopération visant à arrêter Omar el-Béchir et à le remettre [à la cour] », qui devra être adressée au Soudan, aux États parties du statut de Rome et aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais, compte tenu du contexte, cette démarche n’a aucune chance d’aboutir.

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D’autant que l’inculpation pour génocide est contestable et contestée. S’il y a eu épuration ethnique au Darfour entre 2003 et 2004, la qualification employée par la CPI banalise l’usage du mot « génocide », crime suprême en droit international.

Pis, l’intensification des poursuites contre El-Béchir ajoute un ingrédient au cocktail déjà explosif du Darfour. Les déclarations de Luis Moreno-Ocampo n’arrangent pas les choses. Celle du 12 février 2009, publiée sur le site du magazine américain Foreign Policy (« Si El-Béchir est inculpé, il n’est pas l’interlocuteur avec qui négocier »), alimente la surenchère des insurgés du Darfour. Elle est reprise, tel un refrain, par Zakaria Ad-Dush, Ali Khider, Abdel Wahid Mohamed Ahmed Nur et les autres chefs rebelles.

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Dans un pays qui a besoin de panser ses plaies, accréditer la thèse qu’un génocide a été perpétré par les Arabes contre d’autres communautés ne contribuera pas à faciliter le retour à la paix. « Une vraie réconciliation n’est pas encore possible, d’autant moins que la justice internationale prive les acteurs locaux des moyens traditionnels – le pardon contre les aveux et des compensations – permettant d’y parvenir », estime le chercheur Jérôme Tubiana, dans Le Monde diplomatique de juillet 2010.

Chances gâchées

La CPI complique l’équation de la crise au Darfour sans parvenir à déstabiliser Omar el-Béchir, qui tient toujours tous les leviers du pouvoir en dépit de son élection controversée d’avril dernier. Dans un rapport publié en février 2010 (« Entre rhétorique et réalité : l’erreur dans la résolution du conflit au Darfour »), Small Arms Survey, un institut d’études international basé en Suisse, va jusqu’à conclure que la CPI a gâché les chances d’une démocratisation du Soudan. « L’objectif du Parti du congrès national [au pouvoir à Khartoum, NDLR] a changé, écrivent ses auteurs. Il est passé du maintien de son importance dans un système démocratique à la conservation du pouvoir à n’importe quel prix. Les élections, qui visaient à rendre possible un plus grand partage du pouvoir, sont devenues un instrument pour légitimer El-Béchir, convaincu qu’être réélu et demeurer dans le palais présidentiel est sa meilleure protection contre une arrestation. » 

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