Sang d’encre

Publié le 19 juillet 2010 Lecture : 2 minutes.

Alors que les contingents africains battaient le pavé des Champs-Élysées sous le regard attendri de leurs chefs, une bonne partie du Cameroun et tout ce que l’Afrique francophone compte de citoyens libres de leurs opinions, de leurs pensées et de leurs rêves d’avenir avaient la larme à l’œil. On imagine mal, vu de Paris, l’émotion suscitée par la disparition de Pius Njawé sur une route de Virginie, ce 12 uillet. Douala, sa ville, est en deuil, et notre diffuseur camerounais nous a envoyé un long message suppliant J.A. de consacrer un numéro spécial à celui que la mort vient de transformer en icône. Rarement on avait autant perçu le profond décalage qui, cinquante ans après les indépendances, sépare les sociétés civiles africaines de leurs présidents accourus place de la Concorde le temps d’un défilé : les tragédies sont toujours révélatrices…

Il y a six mois, alors que le fondateur du Messager, pionnier de la presse indépendante en Afrique centrale, était à deux doigts du dépôt de bilan, j’écrivais ici même à quel point la survie de ce journal mythique au Cameroun était indispensable à la démocratie. Et cela même si ce self-made-man de Njawé confondait plus qu’à son tour la passion avec l’excès, l’invention avec la maladresse et la gestion avec le système D. En pages 18-19, Georges Dougueli, qui l’a bien connu, retrace l’itinéraire chaotique et citoyen de l’ancien garçon de courses de Babouantou confronté aux moulins à vent de la censure, à la condescendance des pouvoirs, aux gardes-chiourmes de la prison de New Bell et aux fins de mois acrobatiques, sans jamais solder sa dignité. S’il existe au paradis une place pour les journalistes, Pius y siège déjà à la droite du Père…

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Notre métier, hélas, s’écrit encore trop souvent la plume trempée dans un sang d’encre : à l’heure où nous mettions sous presse, l’un de nos collaborateurs en Côte d’Ivoire, Théophile Kouamouo, était toujours détenu à Abidjan par la police judiciaire pour avoir publié une enquête sur la filière café-cacao. Mais le journalisme s’écrit aussi, fort heureusement, avec du courage et de la fraternité. En témoigne le récit de Jean Daniel que nous publions cette semaine. Le fondateur du Nouvel Observateur y raconte comment, il y a quarante-neuf ans, lors de la bataille de Bizerte, sanglante queue de comète de la décolonisation de la Tunisie, pris sous le feu d’un avion français, un certain Béchir Ben Yahmed lui a sauvé la vie. Une histoire que Pius Njawé aurait aimé lire, lui qui vécut sa vocation comme un sacerdoce, les poches trouées et la tête dans les étoiles. 

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