L’héritière et le scandale
On parle beaucoup en ce moment, en France, de l’affaire Bettencourt. Cette dame est en bisbille avec sa propre fille, chacune préoccupée des milliards de dollars que compte la fortune familiale. Là-dessus se greffent des histoires de fraude fiscale, de financement de partis politiques, de démence sénile, d’écoutes illégales, etc. Et chacun de monter en épingle tel ou tel aspect de l’affaire : la gauche dénonce l’éternelle collusion de l’argent et de la politique, la droite pousse des cris d’orfraie parce qu’on utilise des méthodes peu reluisantes pour mettre la Bettencourt en difficulté. Et les avocats se frottent les mains.
Il me semble que l’arbre cache la forêt et qu’on ne voit par le véritable scandale. Le véritable scandale, c’est qu’une seule personne, cinquante kilos de chair, d’os et de sang, quelques grammes de cervelle, puisse posséder des dizaines de milliards de dollars qu’elle n’a jamais gagnés. Son père a monté une affaire, L’Oréal, qui a très bien marché. Et elle ? Rien. Rien ! Elle a hérité. C’est tout. Elle se contente d’être là.
Si au moins, saisie par la honte de ne pas mériter un seul centime de ces milliards, elle en faisait bon usage ? C’est le contraire. Elle avoue maintenant posséder des comptes en Suisse, une île quelque part, une fortune soustraite au fisc – de l’argent qui permettrait, par exemple, de faire tourner les hôpitaux où échouent, épuisés, malades, finis, ceux qui n’ont rien hérité et se tuent à nourrir les parasites de la Terre.
Pour un Warren Buffett, honnête homme, qui a décidé de donner 99 % de sa fortune à des œuvres de charité (« mes enfants n’ont qu’à se débrouiller dans la vie comme je l’ai fait moi-même », a-t-il déclaré), combien de grossiums et de potentats trouvent tout à fait normal que leurs rejetons commencent le marathon de la vie avec quarante kilomètres d’avance sur leurs petits camarades ? Lorsque certains triment toute leur vie pour payer les traites de leur modeste appartement, combien de nantis mettent au nom de leurs enfants, dès leur naissance, villas, immeubles, terres ? Et l’homme étant ce qu’il est, ceux-là n’ont rien de plus pressé, ayant touché l’héritage, que de faire à leur tour suer et saigner ceux qui n’ont rien.
Le véritable scandale, c’est que ceux qui n’ont que leur talent et leur force de travail soient traités comme des valets par ceux qui n’ont jamais rien fait d’autre que se donner la peine de naître. Le véritable scandale, c’est que nous travaillons comme des bêtes, pour des clopinettes, pour les enrichir encore plus.
Évidemment, on pourrait envisager des lois confisquant à 99 % les héritages (une sorte de « jurisprudence Buffett ») mais qui les voterait ? Les hommes politiques ? Ceux qui sortent de chez les héritiers les poches bourrées de billets de banque ? Cessons de rêver…
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