Relancer les agricultures sahéliennes
Le développement agricole de l’Afrique a toujours été proclamé comme étant une priorité, mais il est frappant de constater que, dans les faits, il a été négligé par des gouvernants essentiellement soucieux de nourrir à bas prix les populations urbaines par des importations. Or, nous avons constaté en 2008 que les marchés céréaliers dysfonctionnent dès qu’il y a risque de pénurie, chaque pays exportateur bloquant ses exportations pour assurer sa propre autosuffisance. L’Afrique doit en tirer des conclusions : elle ne peut plus faire confiance aux marchés mondiaux pour garantir durablement sa sécurité alimentaire. De plus, ce constat s’inscrit dans un contexte où le réchauffement climatique va fragiliser cette agriculture, tout particulièrement au Sahel, où l’accroissement de population sera le plus important.
La population de l’ensemble Mali, Niger et Burkina passera de 44 millions d’habitants aujourd’hui à plus de 127 millions en 2050. Nous avons là, sur la base des tendances démographiques et des politiques agricoles actuelles, un drame malthusien en préparation. Si rien de sérieux n’est fait pour relancer les agricultures sahéliennes, les tensions sur les terres deviendront ingérables entre pasteurs et agriculteurs sédentaires, et la descente vers la côte des populations sahéliennes en recherche de terres et d’emplois s’accroîtra au point de rendre dramatiques les tensions que l’on connaît déjà en Côte d’Ivoire et au Nigeria. Pourtant, contrairement à une opinion courante, relancer les agricultures sahéliennes est possible, et y multiplier les rendements par des facteurs de 2 ou 3 est techniquement envisageable. Dans son petit livre Pour des agricultures écologiquement intensives (éditions de l’Aube, 2010), Michel Griffon, le directeur adjoint de l’Agence nationale de la recherche (ANR), nous rappelle que la reconstruction des fonctionnalités écologiques de base est parfaitement envisageable dans les régions arides, en organisant le retour de l’eau dans le paysage par la canalisation patiente des flux hydriques. Cela se fait par « ré-emboisement », embocagement, plantations de haies, réalisation de terrasses, traitement du lit des rivières, etc. Certes, ces travaux sont coûteux, mais ils représentent essentiellement de la main-d’œuvre qui est localement abondante.
En fait, il n’y aura pas à terme d’agriculture viable au Sahel, capable de nourrir la population et de freiner un exode inéluctable autrement, sans des investissements fonciers considérables que, ne rêvons pas, seule l’aide publique au développement pourra financer, et ceci par des subventions massives. De tels investissements devront aussi s’accompagner de politiques agricoles adaptées, et le problème de la parité monétaire se posera pour protéger ces agricultures vivrières et leur permettre de reconquérir leurs marchés urbains.
Au moment où la France se glorifie à tort de ses chiffres d’aide publique au développement gonflés par des remises de dettes exceptionnelles, on se prend à rêver que l’aide bilatérale française aux pays pauvres du Sahel, qui a aujourd’hui pratiquement disparu, se reconstitue au plus vite grâce à des arbitrages budgétaires tels que ceux que je suggère dans notre récent livre*. Elle pourrait ainsi ouvrir la voie aux grands donateurs multilatéraux. Il ne s’agit plus ici de charité, mais d’équilibres géopolitiques et de prévention des conflits dans une région très sensible où, déjà, l’effondrement progressif des systèmes de production commence à nourrir l’insécurité.
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* Notre maison brûle au Sud. Que peut faire l’aide au développement ? (en collaboration avec Alexis Bonnel), éditions Fayard/Commentaire, Paris, 2010, 23 euros.
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